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Les Juifs de Bolechow, continue l'auteur de ce livre, pouvaient voter pour l'élection du Burgmeister (lequel, en prenant ses fonctions, devait jurer de protéger les droits des trois nationalités qui vivaient à Bolechow) et des magistrats du conseil municipal.

Publié le 06/01/2014

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Les Juifs de Bolechow, continue l'auteur de ce livre, pouvaient voter pour l'élection du Burgmeister (lequel, en prenant ses fonctions, devait jurer de protéger les droits des trois nationalités qui vivaient à Bolechow) et des magistrats du conseil municipal. Ils bénéficiaient de protections légales : le tribunal municipal polonais ne pouvait trancher une dispute entre un Juif et un Gentil sans la présence des représentants de la communauté juive (mon grand-père m'a raconté que son père, autrefois, était intervenu naturellement auprès des autorités autrichiennes, avec lesquelles il entretenait d'excellents rapports, sans doute à cause de toutes ces bouteilles de Tokay, afin d'aider un Juif sans le sou à sortir de prison. Un mot de lui avait du poids, m'avait dit mon grand-père). Il n'est donc pas étonnant, comme l'indique Vishnitzer, que « l'harmonie ait prévalu dans les relations entre les Juifs et leurs voisins chrétiens ». De manière peu surprenante, compte tenu de ses enthousiasmes d'érudit et de son succès comme marchand de vin, les Mémoires de Ber Birkenthal oscillent entre l'obscur et le profane (bien plus souvent). Il y a, c'est certain, des allusions savantes aux versets de la Bible. « Une nuit, écrit-il, une phrase de la Bible m'est venue à l'esprit. Elle était tirée des Psaumes, 58, verset 5 : "Leur poison est comme le poison d'un serpent : ils sont sourds comme l'aspic qui se bouche l'oreille ; qui ne prêtera pas l'oreille à la voix des charmeurs... Comme la limace qui fond, laisse chacun d'eux passer : comme l'avorton d'une femme, qu'ils ne voient pas le soleil". » Mais, le plus souvent, Ber se préoccupe des choses ordinaires, depuis la politique (« Après que Poniatowski a été nommé commandant en chef... ») aux agacements des affaires (« J'ai été très déçu de ne pouvoir obtenir aucun des vieux vins. J'ai discuté du problème avec mon partenaire en route pour Miskolcz, puisque je n'avais pas eu l'occasion de le faire, parce qu'il fallait que je retourne à Lemberg ») et aux drames locaux (« Avec beaucoup de difficultés et grâce à des efforts incessants et de nombreuses intercessions, ils ont été libérés de prison... ») jusqu'aux problèmes domestiques (« Lorsque ma soeur et la belle-soeur, Rachel, ont appris que je désirais épouser cette veuve, elles ont parlé à Yenta, de telle sorte que l'arrangement pourrait se faire très vite »). En d'autres termes, une vie ordinaire, en dépit de l'intellect extraordinaire du mémorialiste. Cependant, il faut dire que, à l'époque où Ber de Bolechow jouait un rôle éminent dans la ville, le monde était moins stable qu'il ne l'avait été un siècle et demi auparavant, quand la petite ville avait été fondée par le noble polonais. L'instabilité politique régnait dans toute la Pologne au cours du XVIIIe siècle et les incursions des Russes, des Tatars et des Cosaques dévastaient la communauté juive dans la petite ville. Et, en juillet 1759, il s'est trouvé que Ber Birkenthal de Bolechow avait fait un rêve horrible, un rêve de douleur qui s'est révélé être un rêve prémonitoire : il avait rêvé, écrit-il angoissé, que sa femme était douloureusement entrée « en travail ». Il savait que c'était un signe et, bien évidemment, il avait appris le lendemain que vingt-huit Ruthènes étaient descendus de leurs montagnes boisées au-dessus de la ville et avaient attaqué par surprise le quartier juif, mettant à sac plusieurs maisons et tuant un homme. La propriété et la famille de Ber n'avaient pas été épargnées par la destruction, ce que Ber décrit avec force détails dans ses Mémoires. Compte tenu de l'existence de ce témoignage oculaire d'événements qui sont éloignés de tout ce que j'aurais pu avoir connu, et que j'ai par conséquent du mal à « imaginer » ou à « envisager », je préfère éviter toute paraphrase et me contenter de citer sa description :   Entre-temps, deux autres voleurs sont entrés dans ma maison et ont trouvé ma femme Leah encore au lit. Ils ont réclamé une importante somme d'argent et ma femme leur a immédiatement donné un ducat et 20 guldens, en s'excusant de ne pas avoir sous la main un sou de plus. L'un d'eux lui a donné de violents coups du plat de sa hache sur le bras et le dos, qui ont laissé la chair et la peau meurtries et noires pendant longtemps. Ils ont exigé qu'elle leur donne des perles et des objets d'ornementation en or. L'un d'eux a dit que les habitants chrétiens de notre ville les avaient informés qu'ils trouveraient de telles choses dans ma maison. Ma femme a dû leur donner tout ce qu'elle possédait de précieux : deux colliers de magnifiques perles fines, un de quatre rangs et l'autre de cinq, une coiffe de grande valeur et de grande beauté, et dix anneaux d'or sertis de magnifiques diamants rares. Toutes ces choses s'élevaient à l'époque à une valeur de 3000 guldens. En dehors de cela, les voleurs ont emporté les meubles et brûlé la maison.   L'attaque-surprise, les informateurs chrétiens, le vol et la violence, l'envie et l'appropriation des bagues de diamants rares : tout cela aurait lieu de nouveau (le surnom polonais pour Leah, le nom de l'épouse de Ber, est, je devrais le mentionner, Lorka). Mais il y avait aussi des gentillesses inattendues et inexplicables. Ber loue la prévenance d'une bonne chrétienne qui est restée pour sauver de l'incendie les livres de son maître. « Elle a pris les livres en pitié, écrit-il, parce qu'elle savait que j'y étais tant attaché. » De telles actions se répéteraient, elles aussi, des siècles plus tard. La terreur que Ber décrit dans ce passage, tout en étant connue à Bolechow et dans d'autres villes austro-hongroises, n'était cependant pas la règle. The Memoirs of Ber of Bolechow n'est pas une oeuvre particulièrement littéraire, et les détails des négociations d'affaires et des procès au tribunal, pour ne rien dire des considérations ésotériques sur les premiers temps de l'édition moderne, sont peu susceptibles de fasciner beaucoup de lecteurs. Mais la dimension ordinaire de la vie documentée dans ce livre étrange et oublié est ce qui semble à présent, sachant ce que nous savons, tout à fait précieux. Après tout, le seul autre livre, à ma connaissance, qui a jamais été écrit sur Bolechow et ses Juifs jusqu'à présent, est Sefer HaZikaron LeKedoshei Bolechow, ou « Livre-mémorial des martyrs de Bolechow », édité par Y. Eshel et publié en 1957 par un groupe de personnes regroupées dans l'Association des Anciens Résidents de Bolechow. C'est, en d'autres termes, ce qu'on appelle un livre Yizkor : une des centaines de livres compilés après la Seconde Guerre mondiale, remplis des souvenirs des gens qui étaient partis avant la guerre et les témoignages de ceux qui n'étaient pas partis, afin de conserver une trace des communautés -  petites villes, grandes villes -  qui avaient été détruites, et commémorer, naturellement, autant qu'il était possible, un mode de vie qui avait été perdu. J'ai un exemplaire de ce livre, qui appartenait autrefois à mon grand-père ; il est relié dans une couverture en tissu bleu, aujourd'hui très délavé, et le texte est en hébreu et en yiddish. Je me demandais, quand j'étais un petit garçon et que mon grand-père me laissait, très rarement, prendre en main cet objet précieux, pourquoi ils l'avaient publié dans une langue que (comme je le pensais alors) seules les victimes comprenaient. Mon grand-père me montrait les photos dans le livre et, sur une feuille de papier à en-tête de l'entreprise qu'il possédait autrefois -  mon grand-père aussi avait cette compulsion de garder les choses, de les préserver -, feuille qu'il a placée par la suite entre les pages qui séparaient la section en hébreu de la section en yiddish, il a écrit le numéro de toutes les pages où sa famille était mentionnée. Voici ce qu'il a écrit, parfois en lettres capitales, parfois de son écriture à grandes boucles, en faisant à l'occasion une faute d'orthographe :   44 - école juive baron hirsh 57 - ci-dessou la mairie à droite 67 - ci-dessous notre boutique à gauche 110 - un incendie dans le centre de la ville 282 - ISAK et SHMIEL mes deux frères 189 - l'école publique où j'a été élève   Les mots soulignés sont, de manière inhabituelle, la seule accentuation. C'est en effet bizarre de voir l'écriture de mon grand-père que je connaissais si bien -  d'entendre sa voix, pour ainsi dire - décrire quelque chose de manière aussi laconique, privée à ce point de ses cadences serpentines et de ses ornements, de ses ajouts qui rendaient autrefois toutes ces histoires sur son monde, son enfance, cette ville, tellement mémorables pour moi. Au bas de cette feuille de papier est imprimée la devise de son entreprise : les parures donnent toujours meilleure allure. Et je vois là quelque chose d'autre : je remarque à présent la façon dont mon grand-père, lorsqu'il me parlait, appelait toujours sa soeur aînée, Ruchele, « Ray », et sa soeur cadette, Neche, « Jeanette », et son frère, Yidl, « Julius », mais se référait toujours au frère disparu en l'appelant Shmiel, comme il l'avait fait en écrivant cette liste. Ce qui veut dire qu'il n'employait pas le nom public, « officiel », de Sam (qui était le prénom que Shmiel utilisait lui-même, comme je l'ai appris bien plus tard), qui était l'équivalent des Ray, Jeanette et Julius, mais uniquement le prénom yiddish de Shmiel. Je crois que, pour mon grand-père, les autres avaient deux identités, l'une qui appartenait à l'enfance perdue dans un empire qui n'existait plus, l'époque où l'on parlait le yiddish, et l'autre qui était celle de l'âge adulte, l'époque où les noms de tant de choses s'étaient modifiées. Mais, bien entendu, la dernière fois que mon grand-père avait vu son frère aîné, c'était en 1920, à l'époque où, âgé de dix-huit ans, il était parti à l'aventure et avait quitté Bolechow pour toujours, et cette incapacité de penser à son frère autrement que comme Shmiel, son recours constant au prénom yiddish, suggère, selon moi, à quel point ce frère assassiné a été véritablement égaré, comme un visage qui ne sourit pas dans une photo qui a perdu sa légende. La chose intéressante, pour le présent, est de répondre à la question soulevée en premier lieu par la déclaration ferme de mon grand-père selon laquelle sa famille avait vécu à Bolechow avant même qu'il y ait eu un Bolechow où vivre. C'était donc il y a combien de temps ? Nos deux livres, conjointement, nous fournissent la réponse. Du premier livre, les Mémoires de Ber Birkenthal, le sage de Bolechow, nous apprenons quand tout a commencé ; du second, nous savons, bien sûr, quand tout a fini. Les Jäger ont vécu à Bolechow pendant la totalité des trois siècles et demi de son existence en tant que communauté qui, comme l'avaient souhaité ses fondateurs, réunissait dans une harmonie relative Juifs, Polonais et Ruthènes. C'est-à-dire depuis l'année 1612, lorsque l'impartial comte Giedsinski en a posé les fondations, jusqu'à l'année 1941, lorsque les Allemands sont arrivés de l'ouest et que les Ruthènes sont redescendus des montagnes.   Et donc, pendant longtemps, la somme totale de nos connaissances s'est élevée à ceci : Nous savions pas mal de choses sur la famille Jäger, en remontant aux noms de mes arrièrearrière-grands-parents, Hersh et Feige Mittelmark, et Isak et Neche Jäger. Nous savions quels

« qui ont laissé lachair etlapeau meurtries etnoires pendant longtemps.

Ilsont exigé qu'elle leur donne desperles etdes objets d'ornementation enor.

L'un d'eux adit que leshabitants chrétiens denotre villelesavaient informés qu'ilstrouveraient detelles choses dansma maison.

Mafemme adû leur donner toutcequ'elle possédait deprécieux :deux colliers de magnifiques perlesfines,undequatre rangsetl'autre decinq, unecoiffe degrande valeuret de grande beauté, etdix anneaux d'orsertis demagnifiques diamantsrares.Toutes ces choses s'élevaient àl'époque àune valeur de3000 guldens.

Endehors decela, lesvoleurs ont emporté lesmeubles etbrûlé lamaison.

  L'attaque-surprise, lesinformateurs chrétiens,levol etlaviolence, l'envieetl'appropriation des bagues dediamants rares:tout celaaurait lieudenouveau (lesurnom polonais pour Leah, le nom del'épouse deBer, est,jedevrais lementionner, Lorka). Mais ilyavait aussi desgentillesses inattendues etinexplicables.

Berloue laprévenance d'une bonne chrétienne quiestrestée poursauver del'incendie leslivres deson maître.

« Elleapris les livres enpitié, écrit-il, parcequ'elle savaitquej'yétais tantattaché. » Detelles actions se répéteraient, ellesaussi, dessiècles plustard. La terreur queBerdécrit danscepassage, toutenétant connue àBolechow etdans d'autres villes austro-hongroises, n'étaitcependant paslarègle.

The Memoirs ofBer ofBolechow n'est pas une œuvre particulièrement littéraire,etles détails desnégociations d'affairesetdes procès autribunal, pournerien diredesconsidérations ésotériquessurlespremiers tempsde l'édition moderne, sontpeususceptibles defasciner beaucoup delecteurs.

Maisladimension ordinaire delavie documentée danscelivre étrange etoublié estcequi semble àprésent, sachant ceque nous savons, toutàfait précieux. Après tout,leseul autre livre,àma connaissance, quiajamais étéécrit surBolechow etses Juifs jusqu'à présent, est Sefer HaZikaron LeKedoshei Bolechow, ou « Livre-mémorial des martyrs deBolechow », éditéparY.Eshel etpublié en1957 parungroupe depersonnes regroupées dansl'Association desAnciens Résidents deBolechow.

C'est,end'autres termes,ce qu'on appelle unlivre Yizkor :une descentaines delivres compilés aprèslaSeconde Guerre mondiale, remplisdessouvenirs desgens quiétaient partisavantlaguerre etles témoignages de ceux quin'étaient paspartis, afindeconserver unetrace descommunautés – petites villes, grandes villes– qui avaient étédétruites, etcommémorer, naturellement, autantqu'ilétait possible, unmode devie qui avait étéperdu.

J'aiunexemplaire decelivre, quiappartenait autrefois àmon grand-père ;il est relié dans unecouverture entissu bleu, aujourd'hui très délavé, etletexte estenhébreu eten yiddish.

Jeme demandais, quandj'étaisunpetit garçon et que mon grand-père melaissait, trèsrarement, prendreenmain cetobjet précieux, pourquoi ilsl'avaient publiédansunelangue que(comme jelepensais alors)seules lesvictimes comprenaient.

Mongrand-père memontrait lesphotos danslelivre et,sur une feuille de papier àen-tête del'entreprise qu'ilpossédait autrefois– mon grand-père aussiavaitcette compulsion degarder leschoses, deles préserver –, feuillequ'ilaplacée parlasuite entre les pages quiséparaient lasection enhébreu delasection enyiddish, ila écrit lenuméro detoutes les pages oùsafamille étaitmentionnée.

Voicicequ'il aécrit, parfois enlettres capitales, parfois deson écriture àgrandes boucles, enfaisant àl'occasion unefaute d'orthographe :   44 -école juivebaron hirsh. »

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