J'errais un soir dans l'enceinte de Bhir Mound, délimitée par un talus de déblais.
Publié le 06/01/2014
Extrait du document
«
En
visitant àCalcutta lecélèbre templejaïn,construit auXIX esiècle parunmilliardaire dansunparc plein destatues
en fonte barbouillée d’argentouenmarbre sculptépardes Italiens maladroits, jecroyais reconnaître, danscepavillon
d’albâtre incrustéd’unemosaïque demiroirs ettout imprégné deparfum, l’imagelaplus ambitieuse quenosgrands-
parents auraient puconcevoir, enleur prime jeunesse, d’unemaison closedehaut luxe.
Mais enme faisant cette
réflexion, jene blâmais pasl’Inde debâtir destemples semblables àdes bordels ; plutôtnous-mêmes, quin’avons pas
trouvé dansnotre civilisation d’autreplaceoùaffirmer notreliberté etexplorer leslimites denotre sensualité, cequi est
la fonction mêmed’untemple.
DanslesHindous, jecontemplais notreexotique image,renvoyée parcesfrères indo-
européens évoluéssousunautre climat, aucontact decivilisations différentes, maisdont lestentations intimessont
tellement identiques auxnôtres qu’àcertaines périodes, commel’époque 1900,ellesremontent cheznous aussi en
surface.
Rien desemblable àAgra, oùrégnent d’autres ombres : cellesdelaPerse médiévale, del’Arabie savante, sousune
forme quebeaucoup jugentconventionnelle.
Pourtant,jedéfie toutvisiteur ayantencore gardéunpeu defraîcheur
d’âme denepas sesentir bouleversé enfranchissant, enmême tempsquel’enceinte duTaj, lesdistances etles âges,
accédant deplain-pied àl’univers desMille etune Nuits ; moinssubtilement, sansdoute, qu’àItmadud Daulah,perle,
joyau, trésorenblanc, beigeetjaune ; ouaurose tombeau d’Akbar,peupléseulement parlessinges, lesperroquets etles
antilopes, aubout d’une campagne sableuseoùlevert trèspâle desmimosées sefond dans lesvaleurs dusol : paysage
animé lesoir parlesperroquets vertsetles geais couleur turquoise, levol pesant despaons etles palabres dessinges
assis aupied desarbres.
Mais, comme lespalais duFort-Rouge etcomme letombeau deJehangir quiestàLahore, leTaj reste unéchafaudage
drapé, imitéenmarbre.
Onreconnaît encorelesmâts destinés àporter lestentures.
ÀLahore, celles-ci sontmême
copiées enmosaïque.
Lesétages nesecomposent pas,ilsse répètent.
Quelleestlaraison profonde decette indigence où
se devine l’origine del’actuel dédaindesmusulmans pourlesarts plastiques ? Àl’Université deLahore, j’airencontré une
dame anglaise, mariéeàun musulman, quidirigeait ledépartement desBeaux-Arts.
Seuleslesfilles sontautorisées à
suivre soncours ; lasculpture estprohibée, lamusique clandestine, lapeinture estenseignée commeunart d’agrément.
Comme laséparation del’Inde etdu Pakistan s’estfaiteselon laligne declivage religieux, onaassisté àune exaspération
de l’austérité etdu puritanisme.
L’art,dit-on ici,« a pris lemaquis ».
Ilne s’agit passeulement derester fidèleàl’Islam,
mais plusencore, peut-être, derépudier l’Inde :ladestruction desidoles renouvelle Abraham,maisavecunesignification
politique etnationale toutefraîche.
Enpiétinant l’art,onabjure l’Inde.
Car l’idolâtrie –en donnant àce mot sonsens précis quiindique laprésence personnelle dudieu dans sonsimulacre –
on latrouve dansl’Inde, toujours vivante.Aussibiendans cesbasiliques deciment arméquisedressent dansles
faubourgs lointainsdeCalcutta, vouéesàdes cultes récents dontlesprêtres, têterasée, piedsnusetvêtus d’unvoile
jaune, reçoivent derrièreleurmachine àécrire danslestrès modernes bureauxquientourent lesanctuaire, occupésà
gérer lesbénéfices deladernière tournéemissionnaire enCalifornie, quedans lesbas quartiers, àKali Ghat : « Temple
du XVII esiècle », medisent les business-like prêtres-cicerones ;
maisplaqué defaïence datantdelafin duXIXe.
À cette
heure-ci, lesanctuaire estfermé ; sije reviens unmatin, jepourrai, d’unendroit précisqu’onmemontre, apercevoir la
déesse parlaporte entrebâillée, entredeuxcolonnes.
Icicomme augrand temple deKrishna desbords duGange, le
temple estl’hôtel d’undieuquinereçoit quelesjours defête ; leculte ordinaire consisteàcamper danslescorridors età
recueillir desdomestiques sacréslesragots relatifs auxdispositions dumaître.
Jeme contente doncdeflâner aux
alentours, dansdesvenelles farciesdemendiants attendantl’heured’êtrenourris auxfrais duculte, alibid’un commerce
avide –chromos etstatuettes deplâtre figurant lesdivinités –avec, çàetlà, des témoignages plusdirects : cetrident
rouge etces pierres levéesadossées autronc intestinal d’unbanyan, c’estSiva ; cetautel toutrougi, Laksmi ; cetarbre
aux branches duquelsontsuspendues d’innombrables offrandes :caillouxetbouts d’étoffe, esthabité parMamakrishna
qui guérit lesfemmes stériles ; etsous cetautel fleuri veilleledieu del’amour, Krishna.
À cet artreligieux depacotille, maisincroyablement vivant,lesmusulmans opposentleurpeintre uniqueetofficiel :
Chagtai estunaquarelliste anglaiss’inspirant desminiatures rajput.Pourquoi l’artmusulman s’effondre-t-il si
complètement dèsqu’il cesse d’être àson apogée ? Ilpasse sanstransition dupalais aubazar.
N’est-ce pasune
conséquence delarépudiation desimages ? L’artiste,privédetout contact avecleréel, perpétue uneconvention
tellement exsanguequ’ellenepeut êtrerajeunie nifécondée.
Elleestsoutenue parl’or, ouelle s’écroule.
ÀLahore,
l’érudit quim’accompagne n’aque mépris pourlesfresques sikhquiornent lefort : Too
showy, nocolour scheme, too
crowded :
et sans doute est-ce trèsloindufantastique plafonddemiroirs duShish Mahal, quiscintille àl’égal d’unciel
étoilé ; mais,comme sisouvent l’Indecontemporaine enface del’Islam, c’estvulgaire etostentatoire, populaireet
charmant.
Sil’on excepte lesforts, lesmusulmans n’ontconstruit dansl’Inde quedestemples etdes tombes.
Maislesforts
étaient despalais habités, tandisquelestombes etles temples sontdespalais inoccupés.
Onéprouve, iciencore, la
difficulté pourl’Islam depenser lasolitude.
Pourlui,lavie est d’abord communauté, etlemort s’installe toujoursdansle
cadre d’une communauté, dépourvuedeparticipants.
Il ya un frappant contraste entrelasplendeur desmausolées, leursvastes dimensions, etlaconception étriquéedes.
»
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