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j'ai oublié ?

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

j'ai oublié ? J'ai dit, Hé bien, c'est ça le lien. Vous savez, les Jäger aussi étaient des bouchers. Ils ont parlé. Alena a tiré une bouffée de sa cigarette, a soufflé et dit, Il sait où se trouvait la boucherie de Shmiel, à côté de la Magistrat. A cinq mètres de la Magistrat. J'ai hoché la tête. Dans mon esprit, j'ai vu une feuille de papier à l'en-tête de parker-JAEGER company, qui avait été soigneusement rangée, il y a bien longtemps, dans un livre à la reliure au tissu bleu délavé. 67 -- En bas. Notre boucherie, A gauche. A côté de la Magistrat, a répété Alena, c'est là que Shmiel avait sa boucherie. Pendant les années 1930, a-t-elle continué, traduisant les souvenirs de son père, Shmiel avait acheté un camion et s'était mis à expédier sa viande à Lwôw, à d'autres boucheries juives ; il avait la réputation d'être très bon en affaires. Il était très intelligent, très intelligent pour les affaires. Et - elle a écouté pendant que son père ajoutait quelque chose - il était plutôt très connu dans la ville, dans la petite ville. J'ai souri, mais je ne l'ai pas interrompu. Adam expliquait à présent que son oncle, le frère de son père, avait été le chauffeur de Shmiel. Il s'appelait Wolf Kulberg. Alena a dit, Et non seulement il travaillait pour Shmiel, mais ils vivaient là, dans la maison de Shmiel ! Il vivait chez Shmiel ? Adam a agité les mains, dessinant le plan de la maison. Alena a dit, Ils ont fait une addition à la maison de Shmiel. Il vivait là, le frère de son père vivait dans cette addition. Et il avait amené sa femme de Lwów et il louait cette pièce à Shmiel, et il vivait là avec sa femme et sa fille. Il m'a semblé clair, à ce moment-là, que c'était le lien familial entre les Jäger et les Kulberg dont Adam avait gardé le souvenir depuis son enfance ; cela expliquerait pourquoi il avait passé du temps, petit garçon, dans la maison de Shmiel, et les avait connus si bien : Shmiel, le premier dans son village, la jolie Ester, les filles - pas deux, pas trois, mais quatre -, se souvenant clairement de Lorka et de Frydka. L'une au teint clair, l'autre au teint mat. Adam avait l'air de lire mes pensées et il a dit quelque chose à Alena. Elle a dit, Mais si nous sommes liés aux Jäger, il dit que ce n'est pas ça, il dit que c'est familial, les Jäger et les Kulberg. Son père a corrigé ce qu'elle venait de dire et elle l'a écouté pendant un petit moment avant de dire, Non, pas Kulberg... Kornblüh. Adam m'a regardé et il a dit, Kornblüh ! Kornblüh ! ai-je répété d'une voix excitée. Nous sommes parents avec eux ! Non ! a dit Alena, incrédule. Lui aussi ! Sa grand-mère était une Kornblüh. Ryfka Kornblüh était la mère de son père. J'ai dit, Hé bien, c'est ce qui nous lie. La grand-mère de mon grand-père était une Kornblüh. Neche Kornblüh. Elle venait d'une famille de bouchers, elle aussi. Adam et Zofia observaient cet échange avec un sourire hésitant. A présent, Alena le traduisait pour ses parents et leur sourire s'agrandissait à mesure qu'elle parlait. Adam a alors parlé à sa fille, qui a hoché la tête de temps en temps, avant de me transmettre l'histoire racontée par son père. Ryfka Kornblüh, a-t-elle dit, elle vivait... Euh, il y avait la Magistrat et puis l'église russe, et elle vivait dans le quartier de l'église russe. Il parle d'elle très souvent. Ils avaient un étal dans le marché, avec des légumes. Et elle avait seize... non, dix-sept petits-enfants ! Alors les petits-enfants, lorsqu'ils se rencontraient, faisaient toujours des plaisanteries sur le fait qu'ils mangeaient toujours les légumes avariés lorsqu'ils lui rendaient visite... les légumes qu'elle n'avait pas vendus. Ce n'était pas vrai, bien sûr ! Elle est morte avant la guerre, mais son mari était mort très jeune. Mon père porte son nom, il s'appelait Abraham Kulberg. Adam a dit quelque chose. Alena a traduit, Mais il dit que son grand-père, lorsqu'il est né, a été inscrit sur les registres d'état civil comme enfant illégitime, avec le nom de la mère, pas celui du père - Abraham Kornblüh et pas Abraham Kulberg. Naturellement, j'ai pensé à ce moment-là à un autre document que je connaissais depuis très longtemps : le certificat de naissance de 1847 de l'oncle de mon grand-père, Ire Jäger. Der Zuname der unehel, Kindes Mutter ist Kornblüh. Le nom de la mère de l'enfant illégitime est Kornblüh. J'ai demandé à Alena de dire à son père que, par une curieuse coïncidence, dans notre famille aussi, il y avait eu ces histoires d'enfants « illégitimes » ; et que, dans notre cas aussi, la mère était une Kornblüh. Nous sommes donc parents, a dit Alena en souriant. Je l'ai regardée, puis son père, les murs couverts de livres, pas si différents de ceux de mon appartement. Je me suis dit, Si tu avais inventé cette histoire, ça paraîtrait trop étudié : l'homme que nous avons failli ne pas entendre, le voyage que nous avons failli ne pas faire, la sensation ressentie immédiatement d'être lié à cette famille, le professeur d'université et le musicien, une famille avec laquelle ma propre famille aux Etats-Unis, une famille d'écrivains, de journalistes, de cinéastes, de pianistes et de clavecinistes, et autrefois de luthiers, avait tant de choses en commun. Et puis la découverte, presque accidentelle, que cette famille était notre famille. J'ai regardé Alena et son père. Nous sommes cousins ! ai-je répliqué.     Le même soir, après que nous nous sommes déplacés du salon à la table de la salle à manger, sur laquelle nous attendait le canard rôti qu'avait préparé Alena, Adam nous a raconté ce qu'il savait de Frydka et Ciszko. Il a dit qu'il connaissait très bien les Szymanski, qu'ils vivaient dans le même quartier que les Jäger. Alena s'est interrompue et Adam a alors raconté une anecdote que j'avais déjà entendue : les Szymanski, qui avaient toujours eu la réputation d'entretenir des relations amicales avec les Juifs de la ville, étaient aussi connus pour faire une excellente saucisse polonaise. Mais, comme l'a dit Adam, ne pas manger cascher ou manger du jambon, c'était une chose terrible ! (Oh oui, me suis-je dit, nous le savions) ... une chose terrible. Mais dans la boucherie des Szymanski, il y avait une pièce secrète où les Juifs venaient déguster du jambon avec un morceau de pain. Adam a ri en racontant l'histoire, et Matt a dit, Une pièce secrète ! Les Szymanski, une pièce secrète. J'ai demandé, A quoi ressemblait Ciszko ? Adam a répondu que Ciszko était énorme, très fort. Pas très grand, pas petit non plus. Il entretenait de très bons rapports avec les enfants juifs de la ville. Il n'était pas étonné que ce soit Ciszko qui ait essayé de sauver Frydka. J'ai demandé à Alena de demander à son père quelle histoire il avait entendue exactement. Puis, j'ai ajouté, Non, demandez-lui d'abord comment il en a entendu parler. Immédiatement après la guerre, a dit Adam, tout de suite après, tout le monde était avide d'informations. Les gens cherchaient donc à obtenir des informations, à connaître les histoires. Il a dit que quelqu'un de Bolechow avait donné rendez-vous à tous les anciens de Bolechow pour se retrouver à Katowice après la guerre, au début de 1946. C'est là, a dit Adam, que tous ont parlé de ce qui était arrivé aux gens qu'ils avaient connus, échangeant les histoires qu'ils avaient entendues, et c'est à ce moment-là qu'il a entendu pour la première fois l'histoire de Frydka, de Shmiel et de Ciszko. Avec un sourire gêné, il a ajouté qu'il ne se souvenait plus de la personne qui la lui avait racontée pour la première fois. Mais Meg Grossbard était présente à cette réunion, a-t-il dit. J'ai dit à Alena, Dites-lui que Meg refuse de raconter l'histoire. Alena m'a jeté un regard troublé et a dit, Elle ne s'en souvient pas ? Je lui ai expliqué ce qui s'était passé avec Meg, comment elle avait refusé d'en parler en Australie. Je lui ai raconté ce qui s'était passé plus récemment encore, le mois dernier seulement, deux semaines après mon retour d'Israël...   Le téléphone avait sonné tard, un soir, dans mon appartement de New York : c'était Meg. La connexion n'était pas très bonne, mais j'avais quand même pu sentir la tension dans sa voix. Il faut que je prenne la défense de Frydka, m'avait-elle annoncé après que nous nous étions dit bonjour. Il n'y a plus personne pour la défendre. J'avais immédiatement compris ce qui se passait. D'une façon ou d'une autre, elle avait su que j'avais entendu l'histoire de Frydka enceinte. Ce ne sont que des histoires, avait dit Meg. Personne n'en a la preuve. N'écrivez que sur les faits. Je lui avais répondu que, moi aussi, je ne m'intéressais qu'aux faits, que nous avions commencé cette longue série de voyages uniquement parce que nous voulions découvrir les faits. Mais j'avais dit que, en raison de ce que nous avions entendu au cours de nos voyages, j'avais commencé à m'intéresser énormément aux histoires, à la façon dont ces histoires se multipliaient et donnaient naissance à d'autres histoires, et que même si ces histoires n'étaient pas vraies, elles restaient intéressantes en raison de ce qu'elles révélaient des gens qui les racontaient. Ce qu'elles révélaient des gens qui les racontaient, avais-je dit, faisait aussi partie

« fille, quiahoché latête detemps entemps, avantdeme transmettre l'histoireracontée par son père.

Ryfka Kornblüh, a-t-elledit,elle vivait...

Euh,ilyavait la Magistrat et puis l'église russe, etelle vivait danslequartier del'église russe.Ilparle d'elle trèssouvent.

Ilsavaient un étal dans lemarché, avecdeslégumes.

Etelle avait seize...

non,dix-sept petits-enfants ! Alors les petits-enfants, lorsqu'ilsserencontraient, faisaienttoujoursdesplaisanteries surlefait qu'ils mangeaient toujoursleslégumes avariéslorsqu'ils luirendaient visite...leslégumes qu'elle n'avaitpasvendus.

Cen'était pasvrai, bien sûr ! Elleestmorte avantlaguerre, maisson mari était mort trèsjeune.

Monpèreporte sonnom, ils'appelait AbrahamKulberg. Adam adit quelque chose.Alenaatraduit, Maisildit que songrand-père, lorsqu'ilestné, aété inscrit surlesregistres d'étatcivilcomme enfantillégitime, aveclenom delamère, pascelui du père – Abraham Kornblühetpas Abraham Kulberg. Naturellement, j'aipensé àce moment-là àun autre document quejeconnaissais depuistrès longtemps :le certificat denaissance de1847 del'oncle demon grand-père, IreJäger.

Der Zuname derunehel, KindesMutter istKornblüh.

Le nom delamère del'enfant illégitime est Kornblüh.

J'aidemandé àAlena dedire àson père que,parune curieuse coïncidence, dans notre famille aussi,ilyavait euces histoires d'enfants « illégitimes » ;et que, dans notre cas aussi, lamère étaituneKornblüh. Nous sommes doncparents, adit Alena ensouriant. Je l'ai regardée, puissonpère, lesmurs couverts delivres, passidifférents deceux demon appartement.

Jeme suis dit,Situ avais inventé cettehistoire, çaparaîtrait tropétudié : l'homme quenous avons faillinepas entendre, levoyage quenous avons faillinepas faire, la sensation ressentieimmédiatement d'êtreliéàcette famille, leprofesseur d'université etle musicien, unefamille aveclaquelle mapropre familleauxEtats-Unis, unefamille d'écrivains, de journalistes, decinéastes, depianistes etde clavecinistes, etautrefois deluthiers, avaittantde choses encommun.

Etpuis ladécouverte, presqueaccidentelle, quecette famille étaitnotre famille. J'ai regardé Alenaetson père. Nous sommes cousins ! ai-jerépliqué.     Le même soir,après quenous nous sommes déplacés dusalon àla table delasalle àmanger, sur laquelle nousattendait lecanard rôtiqu'avait préparéAlena,Adamnousaraconté cequ'il savait deFrydka etCiszko. Il adit qu'il connaissait trèsbien lesSzymanski, qu'ilsvivaient danslemême quartier queles Jäger.

Alenas'estinterrompue etAdam aalors raconté uneanecdote quej'avais déjàentendue : les Szymanski, quiavaient toujours eularéputation d'entretenir desrelations amicalesavec les Juifs delaville, étaient aussiconnus pourfaireuneexcellente saucissepolonaise.

Mais, comme l'adit Adam, nepas manger cascheroumanger dujambon, c'étaitunechose terrible ! (Oh oui, mesuis-je dit,nous lesavions) ...

une chose terrible.

Maisdanslaboucherie desSzymanski, ilyavait unepièce secrète oùles Juifs venaient déguster dujambon avecunmorceau depain.. »

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