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J'ai donc envoyé la liste des noms de ma famille.

Publié le 06/01/2014

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famille
J'ai donc envoyé la liste des noms de ma famille. Lorsque je l'ai fait, j'ai décidé d'être plus que scrupuleux et j'ai mis sur ma liste non seulement les noms et les villes d'origine de mes trois grands-parents nés à l'étranger (MENDELSOHN,  RIGA; JÄGER JAEGER   YAGER   YAEGER,   BOLECHOW ;   STANGER, CRACOVIE), mais aussi les noms de chaque personne que je croyais, pour ainsi dire, liée à mes parents. Sur ma liste, figuraient par conséquent : RECHTSCHAFFEN, KALUSZ (le mari de ma grand-tante Sylvia), BIRNBAUM, SNIATYN (les parents de ma grand-mère paternelle),  WALDMANN,  BOLECHOW (mon grand-père m'avait dit, quand j'avais environ treize ans, que son père avait eu une soeur nommée Sarah qui s'était mariée avec un homme du nom de Waldmann), BEISPIEL, KALUSZ (des parents de « Tante »), MITTELMARK, DOLINA (la famille de la mère de mon grand-père), KORNBLÜH, BOLECHOW (la famille de la grand-mère paternelle de mon grand-père). Et même si je savais que c'était parfaitement inutile, j'ai ajouté SCHNEELICHT, STRYJ. Lumière de neige. Peut-être qu'il neigeait ce jour-là. Et ce qui s'est passé, c'est que quelques-uns ont marché. Presque immédiatement, j'ai été contacté par une gentille dame de Long Island dont le père était le petit-fils de cette Sarah Jäger qui avait épousé un certain Waldmann, et même si cela peut paraître idiot et sentimental, même si la parenté était lointaine, cette découverte m'a fait exulter de joie pendant des semaines. Puis, à peu près un an plus tard, une découverte encore plus remarquable : nous avons retrouvé toute une branche perdue de la famille de mon père, parce que  j'avais   remarqué   que   quelqu'un   d'autre   cherchait  des BIRNBAUM de SNIATYN (et nous l'avons manqué de peu : au départ, j'avais mis BIRNBAUM de CRACOVIE, parce qu'il me semblait me souvenir que c'était de là que venaient les parents de ma grand-mère. Un an environ après que j'ai envoyé ma liste, je fouillais dans de vieilles lettres de ma tante Pauly et j'ai vu qu'elle avait écrit dans l'une d'elles, Je crois qu'ils venaient de Cracovie, mais j'ai aussi le vague souvenir de quelqu'un parlant d'une ville appelée Sniatin ou Snyatyn, peut-être que cela pourra t'aider. Voilà à quoi ça s'est joué -- nous avons failli ne jamais rencontrer ce couple merveilleux du Colorado qui, de son côté, avait envoyé sur le site BIRNBAUM, SNIATYN, et qui sont nos cousins). Mais la plus étrange réponse de toutes a été celle que je ne m'attendais absolument pas à recevoir, la réponse à SCHNEELICHT, SRYJ. Je rendais visite à mon frère aîné chez lui, près de San Francisco, il y a quelques années, et de là-bas j'ai écouté un message sur mon répondeur à New York de la part d'un type qui disait avoir vu ma liste et vouloir me parler du nom de Schneelicht de Stryj. J'étais tellement excité que je ne voulais pas attendre mon retour à New York, et j'ai eu la bonne idée de l'appeler de la maison de mon frère, ce soir-là. Il vivait en Oregon. Il m'a dit que son père décédé - ce gentleman était mort quelques années auparavant seulement, en 1994, à l'âge de cent trois ans - était né Emil Schneelicht, à Stryj, et avait perdu plusieurs de ses six frères et soeurs pendant l'Holocauste. Il m'a dit que les noms des parents de son père étaient Leib Herz Schneelicht et Tauba Lea Schneelicht, noms qui sont restés sans la moindre résonance pour moi, à ce moment-là. Puis, il m'a donné les noms des enfants de ce couple inconnu. Il s'agissait de :   Hinde Moses Eisig (son père) Mindel Ester Saul Abraham   J'écoutais et, lorsqu'il a prononcé le nom d'Ester, j'ai eu le souffle coupé. Elle avait semblé appartenir si absolument à la partie lointaine et intouchable du passé de notre famille, l'épouse de mon oncle Shmiel, que le fait de parler à quelqu'un qui avait avec elle un lien de parenté plus proche que le mien -  à son neveu, en fait, au cousin germain des filles que je m'étais habitué à considérer comme « nos » cousines -, de parler à quelqu'un qui avait peut-être des disparus une connaissance glanée du fait d'une relation dont je n'avais même pas rêvé qu'elle pût exister (comment l'aurais-je pu, sachant si peu d'elle, ne sachant même pas qu'elle avait eu des frères et des soeurs ?) -, le fait de parler à cette personne était à la fois excitant et, d'une certaine façon, sidérant. J'ai commencé à me demander alors combien d'autres traces elle avait laissées derrière elle, combien d'autres indices étaient dispersés, flottant sur les sites Internet, ou bien enterrés dans des archives dont j'aurais été incapable de savoir si elles étaient utiles, parce que je disposais de si peu d'informations pour continuer que je n'aurais pas pu savoir si elles étaient pertinentes quand bien même je les aurais eues sous le nez. Toutefois, je brûlais peut-être les étapes : après tout, il pouvait: très bien y avoir eu plus d'une Ester Schneelicht, née dans les années 1890 à Stryj. Mais pendant que je me disais cela, l'homme à l'autre bout de la ligne disait quelque chose d'autre. Il me racontait que certains de ces frères et de ces soeurs de son père, qui étaient, pour autant que je sache, les frères et les soeurs de ma grand-tante Ester, avaient tous eu des surnoms, chose que, naturellement, j'imaginais fort bien puisque cela avait été le cas dans ma famille : son père, Eisig, par exemple, m'a-t-il dit, était aussi appelé Emil. Je prenais des notes pendant qu'il parlait et, sur le morceau de papier que j'avais à la main, j'ai écrit EISIG = EMIL. Puis, il a dit qu'une de ses tantes, Mindel, ou Mina, n'avait pas, en fait, péri dans l'Holocauste, mais était arrivée bien avant aux Etats-Unis et vivait  à  New York avec son  mari.  Il était photographe. Mina, a répété cette voix à l'autre bout de la ligne. Ils l'appelaient aussi Minnie. Je m'apprêtais à écrire Mindel = Mina = Minnie, lorsque mes mains sont devenues moites et que mon coeur s'est mis à battre à tout rompre. Attendez, ai-je dit. Attendez. Je me suis éclairci la gorge et j'ai dit ensuite, Elle était mariée à un photographe et elle s'appelait Minnie ? Ouais, a dit le type. Son mari s'appelait Spieler, Jack ou Jake. Spieler. Mon oncle et ma tante. Jack et Minnie Spieler.   Ecoutez :   PEU de temps après que j'ai commencé à utiliser régulièrement le site jewishgen.org, j'ai établi un contact avec une femme qui, comme moi, avait un lien familial avec Bolechow. Cette femme qui, lorsque je l'ai finalement rencontrée, s'est révélée aussi vivante, ouverte et généreuse que ses premiers e-mails l'avaient laissé supposer et dont la masse opulente de boucles rousses semblait en quelque sorte exprimer ces qualités, ce matin de mars 2001, quand je suis finalement descendu dans Greenwich Village pour la rencontrer, s'était portée volontaire pour le projet du Livre Yizkor du site Internet (bon nombre de livres Yizkor, y compris le Sefer HaZikaron LeKedoshei Bolechow, sont écrits en hébreu ou en yiddish, ou les deux, et jewishgen.org a financé un projet de traduction de ces textes en anglais, qui seront ensuite disponibles sur le site). La femme, qui se prénommait Susannah, avait aussi fait un voyage à Bolechow -  quand bien même, comme elle devait me le dire par la suite, aucun membre de sa famille immédiate, pas une personne qu'elle ait vraiment connue, n'ait été originaire de la ville, détail qui m'avait ému et impressionné -  et avait posté ses photos de la ville sur le site ShtetlLinks. Je lui avais envoyé un e-mail pour lui dire combien j'avais apprécié ses photos et nous avons commencé une correspondance, au cours de laquelle elle m'a donné deux informations d'une importance cruciale. Tout d'abord, elle m'a mis en relation avec un jeune chercheur ukrainien, Alex Dunai, qui avait été son guide à Bolechow -  ou, comme il faut le dire maintenant, Bolekhiv -  et avait aussi fait, m'a-t-elle dit, un travail de recherche dans les archives de diverses administrations locales. Muni de ce renseignement, j'ai envoyé un e-mail à Alex pour lui demander d'explorer les archives juives de Bolechow qui, miraculeusement, n'avaient pas été détruites pendant la guerre. Deux mois environ après notre premier contact, j'ai reçu un volumineux paquet d'Ukraine contenant plus d'une centaine de documents : des photocopies des originaux, accompagnées des laborieuses traductions d'Alex, tapées à la machine. De ces documents, je dirai pour le moment qu'ils constituent les registres les plus anciens qui aient survécu de la communauté juive de Bolechow, conservés aujourd'hui aux Archives municipales de L'viv, qu'ils remontent au début du XIXe siècle, et que, parmi ces registres, se trouve un certificat de décès, daté du 26 novembre 1835, qui fait état du décès, à l'âge de quatre-vingt-neuf ans, d'une certaine Sheindel Jäger, le 24 du même mois. Cette Sheindel, veuve de feu Judah Jäger, était morte (note sans doute inutilement le certificat) de « son grand âge», à l'adresse suivante : Maison 141. Pour des raisons administratives, toutes les maisons dans le village étaient numérotées, et ces numéros, plutôt que les noms des rues, étaient utilisés dans tous les documents officiels, même si je peux vous, dire, puisqu'une femme qui le sait me l'a dit, quelques années plus tard, pendant que nous déjeunions à Tel-Aviv, que la rue s'appelait Schustergasse, rue du Cordonnier. Elle était née, comme nous pouvons le déduire, en 1746, peut-être 1745, ce qui fait d'elle mon ancêtre connue le plus âgé, puisqu'elle était la mère d'Abraham ) Jäger (1790-1845), qui était le père d'Isak Jäger (vers 1825- avant 1900, qui était l'année de la naissance du frère sioniste de mon grand-père, Itzhak, qui portait ce nom en son honneur), qui était le père d'Elkune Jäger (1867-1912), mon arrière-grand-père mort brutalement dans un spa, déclenchant ainsi une série d'événements qui auraient pour résultat lointain, inimaginable, les morts par balles, par coups, par gazage, de son fils, de sa belle-fille, et de ses quatre petites-filles ; et qui était aussi le père d'Abraham Jäger (1902-1980, Grandpa), qui était le père de Marlene Jaeger Mendelsohn (née en 1931), qui est ma mère. Ce n'est pas sans une ironie amère que je constate que c'est à cause de l'existence d'une chose appelée Sefer HaZikaron LeKedoshei Bolechow ou « Livre-mémorial des martyrs de Bolechow » que je sais ce que je sais. Car c'est à cause de ce livre que j'ai rencontré Susannah, c'est Susannah qui m'a mis en relation avec Alex, l'affable jeune Ukrainien que j'allais, moi aussi, rencontrer un jour, et c'est cet Ukrainien qui gagne maintenant sa vie en emmenant des Juifs américains sur les sites dévastés de l'histoire de leurs familles et qui a trouvé pour moi les documents qui font remonter le lignage de ma famille Jäger, de façon inimaginable, à une femme du XVIIIe siècle -  une femme qui aurait très bien pu connaître ou, c'est presque certain, poser son regard (bleu ?) sur Ber Birkenthal de Bolechow, une femme qui, comme chacun de
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« Saul Abraham   J'écoutais et,lorsqu'il aprononcé lenom d'Ester, j'aieulesouffle coupé.Elleavait semblé appartenir siabsolument àla partie lointaine etintouchable dupassé denotre famille, l'épouse de mon oncle Shmiel, quelefait deparler àquelqu'un quiavait avecelleunlien deparenté plus proche quelemien – àson neveu, enfait, aucousin germain desfilles quejem'étais habitué àconsidérer comme« nos »cousines –, deparler àquelqu'un quiavait peut-être des disparus uneconnaissance glanéedufait d'une relation dontjen'avais mêmepasrêvé qu'elle pût exister (comment l'aurais-jepu,sachant sipeu d'elle, nesachant mêmepasqu'elle avaiteu des frères etdes sœurs ?) –,lefait deparler àcette personne étaitàla fois excitant et,d'une certaine façon,sidérant.

J'aicommencé àme demander alorscombien d'autrestraceselleavait laissées derrière elle,combien d'autresindicesétaient dispersés, flottantsurlessites Internet, ou bien enterrés dansdesarchives dontj'aurais étéincapable desavoir sielles étaient utiles, parce quejedisposais desipeu d'informations pourcontinuer quejen'aurais paspusavoir si elles étaient pertinentes quandbienmême jeles aurais euessouslenez. Toutefois, jebrûlais peut-être lesétapes :après tout,ilpouvait: trèsbien yavoir euplus d'une Ester Schneelicht, néedans lesannées 1890àStryj.

Maispendant quejeme disais cela, l'homme àl'autre boutdelaligne disait quelque chosed'autre.

Ilme racontait quecertains de ces frères etde ces sœurs deson père, quiétaient, pourautant quejesache, lesfrères etles sœurs dema grand-tante Ester,avaient touseudes surnoms, choseque,naturellement, j'imaginais fortbien puisque celaavait étélecas dans mafamille :son père, Eisig,parexemple, m'a-t-il dit,était aussi appelé Emil.Jeprenais desnotes pendant qu'ilparlait et,sur lemorceau de papier quej'avais àla main, j'aiécrit EISIG =EMIL .Puis, ila dit qu'une deses tantes, Mindel, ou Mina, n'avait pas,enfait, péri dans l'Holocauste, maisétaitarrivée bienavant auxEtats-Unis et vivait  à New Yorkavec son mari.  Ilétait photographe. Mina, arépété cettevoixàl'autre boutdelaligne.

Ilsl'appelaient aussiMinnie. Je m'apprêtais àécrire Mindel =M ina =M innie ,lorsque mesmains sontdevenues moitesetque mon cœur s'estmisàbattre àtout rompre. Attendez, ai-jedit.Attendez. Je me suis éclairci lagorge etj'ai ditensuite, Elleétait mariée àun photographe etelle s'appelait Minnie? Ouais, adit letype.

Sonmari s'appelait Spieler,JackouJake.

Spieler.

Mononcle etma tante. Jack etMinnie Spieler.

  Ecoutez :   PEU detemps aprèsquej'aicommencé àutiliser régulièrement lesite jewishgen.org ,j'ai établi uncontact avecunefemme qui,comme moi,avait unlien familial avecBolechow.

Cette femme qui,lorsque jel'ai finalement rencontrée, s'estrévélée aussivivante, ouverteet généreuse quesespremiers e-mailsl'avaient laissésupposer etdont lamasse opulente de. »

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