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Il s'est calé sur sa chaise et a hoché la tête, tout en mâchant lentement un pierogi.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

Il s'est calé sur sa chaise et a hoché la tête, tout en mâchant lentement un pierogi. Les Français ? ai-je répété, incapable de faire le lien. J'ai regardé de l'autre côté de la table Matt qui souriait. M. Grossbard, au cours de son errance après l'Holocauste, avait-il été maltraité par les Français ? Était-il délirant ? En gardant un visage neutre et poli, j'ai demandé de nouveau, Vous n'avez jamais pardonné aux Français ? M. Grossbard s'est penché vers moi encore une fois, en agitant l'index. Oui, a-t-il dit, aux Français. Il s'est interrompu pour donner de l'importance à ce qu'il allait dire et il a dit : Vous savez, mon père ne s'est jamais remis de l'affaire Dreyfus.     Dans parashat Noach, après que Dieu a donné ses instructions à Noé sur la façon de construire une arche, il donne des ordres précis sur ce que Noé doit emporter dans l'arche ; car nous devons nous souvenir qu'aucune créature qui respire ne survivra à l'horrible annihilation. « Tout ce qui est sur la terre expirera », dit Dieu. Noé survivra, bien entendu ; et avec lui, ses fils, sa femme et les femmes de ses fils (l'ordre spécifique - d'abord, les hommes, ensuite, les femmes, plutôt que, comme on pourrait s'y attendre, le couple le plus âgé, puis les couples plus jeunes - est une indication du fait que la séparation entre les sexes a été maintenue sur l'arche de Noé. « De cela, a observé Rachi, nous apprenons qu'il leur était interdit d'avoir des relations. »). Et ensuite, c'est bien connu, les animaux et les oiseaux : pas deux de chaque, comme on le croit d'habitude, mais au moins deux de chaque, afin d'assurer la possibilité d'une future propagation de chaque espèce ; des " espèces pures » -- c'est-à-dire qui conviennent au sacrifice -- sept paires ont été embarquées, probablement afin que les sacrifices rituels puissent être observés après le débarquement sans mettre en péril l'avenir de ces espèces-là. La description du Déluge même est à la hauteur du suspens lentement créé à mesure que nous lisons les préparatifs : les sources de la terre et les fenêtres du Ciel ont été ouvertes, les pluies s'abattent pendant quarante jours -- la durée qu'il faut, Rachi le note obligeamment, pour que le foetus se forme après la conception (remboursement divin note-t-il encore, puisque Dieu s'était soucié de former les foetus des corrompus) -- et pendant cent cinquante jours, les eaux sont restées sur la terre, montant jusqu'à ce qu'elles engloutissent les sommets des montagnes. Il serait difficile d'imaginer un détail plus efficace que ce dernier (du moins dans les temps bibliques, quand l'échelle des choses était inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui) dans la suggestion de l'étendue de l'oblitération accomplie par Dieu avec le Déluge -- pas simplement la destruction de la vie, mais l'effacement du paysage même, l'élimination rapide et soudaine de tout repère familier, de toute chose familière. C'est cela qui me fait venir à l'esprit quelque chose dont on ne nous parle pas dans parashat Noach. Peut-être parce que j'ai passé ces dernières années à écouter des histoires de gens qui devaient quitter certains endroits en toute hâte et parce que, de surcroît, Rachi au moins est alerté par le fait que Noé, en dépit de sa relation intime avec Dieu, a attendu la dernière minute pour monter à bord de l'arche, détail qui conduit Rachi à conclure que Noé, comme les autres de la Génération du Déluge, « était un de ces hommes de peu de foi, qu'il n'avait pas cru que le déluge aurait lieu jusqu'à ce que les eaux tombent sur lui » --je me demande souvent si Noé et sa famille ont emporté autre chose avec eux, en dehors des animaux, un souvenir quelconque, peut-être, des vies qu'ils avaient eues avant que le monde fût complètement effacé. Dans la mesure où le texte n'en fait pas mention, je dois supposer qu'ils ne l'ont pas fait, et par conséquent je ne peux pas m'empêcher de penser que cette horrible privation a donné une saveur particulière à la joie de Noé quand il a aperçu le rameau d'olivier dans le bec de la fameuse colombe. Nous savons, bien sûr, ce qu'était la signification immédiate du rameau, mais je ne peux m'empêcher de penser que la vision de la feuille verte - rappel soudain, vivace, du monde qu'il avait laissé derrière lui -- a dû lui faire l'effet d'un sursis par rapport à un tout autre genre d'oubli.     C'est un peu plus tard au cours de ce même après-midi que nous avons retrouvé Bob Grunschlag. C'était aussi le jour que Matt avait choisi pour une séance de photos sur la plage. Pourquoi sur la plage ? avais-je demandé, un peu agacé, lorsqu'il avait annoncé qu'il voulait aller à Bondi Beach avec Jack et Bob pour qu'ils trempent les pieds dans l'eau dans le portrait qu'il voulait foire des deux frères de Bolechow qui avaient survécu. Ne savait-il pas qu'ils étaient tous les deux assez âgés ? Je ne voulais pas les pousser à bout. J'avais besoin de leur bonne volonté. Écoute, m'avait-il répondu, tu fais ce que tu fais, et tu me laisses faire ce que je sais faire. Mon boulot, c'est de jouer le méchant flic jusqu'à ce qu'ils atteignent le point de rupture. J'ai besoin d'une photo qui dise « Australie », sinon pourquoi je serais venu ? Très bien, avais-je dit. Et donc, en fin d'après-midi, le lendemain, après notre long déjeuner avec Meg et M. Grossbard, nous avons roulé jusqu'à l'appartement de Bob, qui se trouve sur la plage, et nous avons parlé un moment avec lui, à la grande satisfaction de Jack, qui voulait être sûr que son petit frère, qui n'avait pas vraiment connu les filles Jäger, ait aussi notre attention. Bon garçon, bon garçon, avait dit Jack, en me tapant sur l'épaule avec affection, quand je lui avais annoncé que nous allions interviewer Bob. Euh, je suis un frère aîné aussi, avais-je dit. Je sais ce que sont ces choses. Mais je ne le savais pas en réalité. Il faudrait encore un ou deux voyages avant que je me rapproche de Matt, que je commence à me sentir protecteur à son égard. Sur la plage, Matt a guidé Jack et Bob vers le ressac et puis, ayant décidé qu'il n'y avait pas d'autre moyen d'obtenir la photo qu'il voulait, il a soudain retiré ses chaussures isothermes et, se tournant vers moi, les a jetées pour que je les attrape. Il a marché jusqu'à ce qu'il ait de l'eau jusqu'aux genoux et a commencé à ouvrir les boîtiers qui pendaient à son cou. Il n'arrêtait pas de regarder le ciel avec un air inquiet. Notre conversation avec Bob s'était prolongée un peu plus qu'il ne fautait souhaité. Le soleil commençait à s'enfoncer. Je ne photographie qu'avec la lumière disponible, a-t-il dit. Je ne parle qu'avec les gens disponibles, ai-je plaisanté. Jack et Bob ont ri. Ils étaient de bonne humeur ; ils n'avaient pas besoin d'être poussés. Un petit peu plus loin, a dit Matt, en faisant signe aux deux frères sans lever les yeux du viseur de son gros Hasselblad. Les frères ont gaiement roulé leur pantalon un peu plus haut aussi. J'ai entendu le bruit distinctif et désormais familier de l'obturateur de l'appareil de Matt. Moins un clic qu'un ch-konk. Comme je n'avais rien à faire là, j'ai commencé à m'éloigner. Laisse-le faire son truc, me suis-je dit. Mais alors que je m'apprêtais à faire un petit tour, j'ai remarqué qu'une petite foule de surfeurs s'était amassée derrière l'endroit où se trouvait Matt, qui prenait photo après photo. Ch-konk, ch-konk. Il était sept heures à présent et la lumière déclinait rapidement, et je pouvais voir aux sourcils froncés de Matt qu'il n'avait pas encore l'impression d'avoir la photo ; ce qui était devant lui, de toute évidence, ne correspondait pas tout à fait à l'image qu'il avait en tête. Euh, me suis-je dit, je crois savoir ce que c'est. Soudain, je l'ai vu avancer à grands pas dans l'écume pour s'approcher d'un surfeur aux cheveux noirs et aux dents blanches. Les vagues qui déferlaient faisaient trop de bruit pour que je pusse entendre leurs propos ; c'était comme si j'avais regardé une pantomime. Matt a agité son bras libre devant le surfeur, qui ne devait pas avoir plus de vingt ans, et puis a pointé le doigt vers Jack et Bob, et ensuite a fait un V à l'envers avec l'index et le majeur, et s'en est servi pour faire des mouvements de marche en avant et en arrière. Dolina hoise, ai-je pensé. Le surfeur a fait un grand sourire, puis il a hoché la tête. Soulevant sa planche, il a commencé à aller et venir derrière Bob et Jack, tandis que les deux frères se tenaient par les épaules. Matt a commencé à appuyer sur le déclencheur. Encore et encore. Il souriait à présent. Il faisait son truc. Et il s'est trouvé que j'ai pu faire mon truc aussi. Pendant que le surfeur essayait d'avoir l'air décontracté en passant dans un sens, puis dans l'autre, derrière les véritables sujets de la photo, quelques-uns de ses amis sont venus m'entourer ; deux autres garçons, un blond, très grand, au visage sérieux, l'autre brun, souriant, et une grande fille blonde, au sourire immense. Qui étaient ces deux vieux types ? voulaient-ils savoir. Ils étaient célèbres ? C'étaient des parents à nous ? Le type, là, c'était un photographe de mode ? Qu'est-ce qu'ils faisaient ici ? J'ai regardé les deux vieux hommes de Bolechow et je me suis tourné de nouveau vers les gamins australiens. Ils étaient immenses, tellement grands. Ils respiraient la santé et la bonne volonté. Ils ne pouvaient pas avoir plus de dix-neuf ans. Ils avaient l'air vraiment intéressés. La fille avait basculé la tête sur le côté, dans l'attente d'une réponse. Euh, ai-je dit, c'est une longue histoire. La fille a souri et fait un geste en direction du type que Matt avait recruté pour sa photo. Hé, c'est notre copain, a-t-elle dit. On doit l'attendre de toute façon. OK, ai-je dit. Merde, comment commencer ? Hé bien, ai-je dit, mon grand-père venait d'une petite ville de Pologne...  

« peut-être, desvies qu'ils avaient euesavant quelemonde fûtcomplètement effacé.Dansla mesure oùletexte n'enfaitpas mention, jedois supposer qu'ilsnel'ont pasfait, etpar conséquent jene peux pasm'empêcher depenser quecette horrible privation adonné une saveur particulière àla joie deNoé quand ila aperçu lerameau d'olivier danslebec dela fameuse colombe.

Noussavons, biensûr,cequ'était lasignification immédiatedurameau, mais jene peux m'empêcher depenser quelavision delafeuille verte– rappel soudain, vivace, du monde qu'ilavait laissé derrière lui—adû luifaire l'effet d'unsursis parrapport àun tout autre genre d'oubli.     C 'est unpeu plustard aucours decemême après-midi quenous avons retrouvé Bob Grunschlag.

C'étaitaussilejour queMatt avaitchoisi pouruneséance dephotos surlaplage. Pourquoi surlaplage ?avais-je demandé, unpeu agacé, lorsqu'il avaitannoncé qu'ilvoulait aller àBondi Beach avecJacketBob pour qu'ils trempent lespieds dansl'eau dansleportrait qu'il voulait foiredesdeux frères deBolechow quiavaient survécu.

Nesavait-il pasqu'ils étaient touslesdeux assez âgés?Je ne voulais paslespousser àbout.

J'avais besoin deleur bonne volonté. Écoute, m'avait-il répondu,tufais ceque tufais, ettu me laisses faireceque jesais faire.

Mon boulot, c'estdejouer leméchant flicjusqu'à cequ'ils atteignent lepoint derupture.

J'aibesoin d'une photo quidise « Australie », sinonpourquoi jeserais venu? Très bien, avais-je dit. Et donc, enfin d'après-midi, lelendemain, aprèsnotrelongdéjeuner avecMegetM. Grossbard, nousavons rouléjusqu'à l'appartement deBob, quisetrouve surlaplage, etnous avons parléunmoment aveclui,àla grande satisfaction deJack, quivoulait êtresûrque son petit frère, quin'avait pasvraiment connulesfilles Jäger, aitaussi notre attention. Bon garçon, bongarçon, avaitditJack, enme tapant surl'épaule avecaffection, quandjelui avais annoncé quenous allions interviewer Bob. Euh, jesuis unfrère aînéaussi, avais-je dit.Jesais ceque sont ceschoses. Mais jene lesavais pasenréalité.

Ilfaudrait encoreunou deux voyages avantquejeme rapproche deMatt, quejecommence àme sentir protecteur àson égard. Sur laplage, Mattaguidé JacketBob vers leressac etpuis, ayant décidé qu'iln'yavait pas d'autre moyend'obtenir laphoto qu'ilvoulait, ila soudain retiréseschaussures isothermes et, se tournant versmoi, lesajetées pourquejeles attrape.

Ilamarché jusqu'àcequ'il aitdel'eau jusqu'aux genouxetacommencé àouvrir lesboîtiers quipendaient àson cou.

Iln'arrêtait pas de regarder leciel avec unair inquiet.

Notreconversation avecBobs'était prolongée unpeu plus qu'il nefautait souhaité.

Lesoleil commençait às'enfoncer. Je ne photographie qu'aveclalumière disponible, a-t-ildit. Je ne parle qu'avec lesgens disponibles, ai-jeplaisanté. Jack etBob ontri.Ils étaient debonne humeur ;ils n'avaient pasbesoin d'êtrepoussés.

Unpetit peu plus loin, adit Matt, enfaisant signeauxdeux frères sanslever lesyeux duviseur deson. »

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