II EN BATEAU Nous ne nous doutions pas, en tout cas, que,
Publié le 06/01/2014
Extrait du document
«
pont
etlivré pendant delongs joursaubienfaisant tête-à-têteaveclamer.
Finalement j’obtinsmonbillet depassage surle Capitaine-Paul-Lemerle, mais
jene commençai àcomprendre quele
jour del’embarquement, enfranchissant leshaies degardes mobiles, casquésetmitraillette aupoing, quiencadraient le
quai etcoupaient lespassagers detout contact aveclesparents ouamis venus lesaccompagner, abrégeantlesadieux par
des bourrades etdes injures : ils’agissait biend’aventure solitaire,c’étaitplutôtundépart deforçats.
Plusencore quela
manière dontonnous traitait, notrenombre mefrappait destupeur.
Caronentassait troiscentcinquante personnes
environ surunpetit vapeur qui–j’allais levérifier toutdesuite –ne comprenait quedeux cabines faisantentout sept
couchettes.
L’uned’elles avaitétéaffectée àtrois dames, l’autreseraitpartagée entrequatre hommes dontj’étais,
exorbitante faveurdueàl’impossibilité ressentieparM. B.
(qu’ilensoit iciremercié) detransporter undeses anciens
passagers deluxe comme dubétail.
Cartout lereste demes compagnons, hommes,femmesetenfants, étaiententassés
dans descales sansairnilumière, oùdes charpentiers delamarine avaient sommairement échafaudédeslitssuperposés,
garnis depaillasses.
Desquatre mâlesprivilégiés, l’unétait unmarchand demétaux autrichien quisavait sansdoute ce
que luiavait coûté cetavantage ; unautre, unjeune « béké » –riche créole –coupé parlaguerre desaMartinique natale
et qui méritait untraitement spécialétant,surcebateau, leseul quinefût pas présumé juif,étranger ouanarchiste ; le
dernier, enfin,unsingulier personnage nord-africain quiprétendait serendre àNew Yorkpour quelques joursseulement
(projet extravagant, sil’on pense quenous allions mettre troismois pouryarriver), emportait unDegas danssavalise, et,
bien quejuifautant quemoi-même, paraissait persona
grata auprès
detoutes lespolices, sûretés, gendarmeries et
services desécurité descolonies etprotectorats, étonnantmystèreencette conjoncture etque jene suis jamais arrivéà
percer.
Laracaille, commedisaient lesgendarmes, comprenaitentreautres AndréBreton etVictor Serge.
AndréBreton, fort
mal àl’aise surcette galère, déambulait delong enlarge surlesrares espaces videsdupont ; vêtudepeluche, il
ressemblait àun ours bleu.
Entre nous, unedurable amitiéallaitcommencer parunéchange delettres quiseprolongea
assez longtemps aucours decet interminable voyage,etoù nous discutions desrapports entrebeauté esthétique et
originalité absolue.
Quant àVictor Serge, sonpassé decompagnon deLénine m’intimidait enmême tempsquej’éprouvais laplus grande
difficulté àl’intégrer àson personnage, quiévoquait plutôtunevieille demoiselle àprincipes.
Cevisage glabre, cestraits
fins, cette voixclaire joints àdes manières guindéesetprécautionneuses, offraientcecaractère presqueasexuéqueje
devais reconnaître plustard chez lesmoines bouddhistes delafrontière birmane, fortéloigné dumâle tempérament et
de lasurabondance vitalequelatradition française associeauxactivités ditessubversives.
C’estquedestypes culturels
qui sereproduisent assezsemblables danschaque société, parcequeconstruits autourd’oppositions trèssimples, sont
utilisés parchaque groupepourremplir desfonctions socialesdifférentes.
CeluideSerge avaitpus’actualiser dansune
carrière révolutionnaire enRussie ; qu’eneût-ilétéailleurs ? Sansdoute, lesrelations entredeuxsociétés seraient
facilitées s’ilétait possible, aumoyen d’unesortedegrille, d’établir unsystème d’équivalences entrelesmanières dont
chacune utilisedestypes humains analogues pourremplir desfonctions socialesdifférentes.
Aulieu deseborner, comme
on fait aujourd’hui, àconfronter médecinsetmédecins, industriels etindustriels, professeurs etprofesseurs, on
s’apercevrait peut-êtrequ’ilexiste descorrespondances plussubtiles entrelesindividus etles rôles.
En plus desacargaison humaine,lebateau transportait jene sais quel matériel clandestin ; onpassa untemps
prodigieux, enMéditerranée etsur lacôte occidentale del’Afrique, àse réfugier deport enport pour échapper, semble-t-
il, au contrôle delaflotte anglaise.
Lestitulaires depasseports françaisétaientparfoisautorisés àdescendre àterre, les
autres restaient parquésdanslesquelques dizainesdecentimètres carrésàla disposition dechacun, surunpont quela
chaleur –croissante àmesure qu’onserapprochait destropiques etqui rendait intolérable leséjour danslescales –
transformait progressivement enune combinaison desalle àmanger, chambre àcoucher, pouponnière, buanderieet
solarium.
Maisleplus désagréable étaitcequ’on appelle aurégiment « lessoins depropreté ».
Disposées
symétriquement lelong dubastingage, àbâbord pourleshommes etàtribord pourlesfemmes, l’équipage avaitconstruit
deux paires debaraques deplanches, sansairnilumière ; l’unecontenait quelquespommesdedouche alimentées
seulement lematin ; l’autre, meublée d’unelongue rigoledebois grossièrement doubléedezinc àl’intérieur et
débouchant surl’océan, servaitàl’usage qu’ondevine ; lesennemis d’unepromiscuité tropgrande etqui répugnaient à
l’accroupissement collectif,rendud’ailleurs instableparleroulis, n’avaient d’autreressource quedes’éveiller forttôtet,
pendant toutelatraversée, unesorte decourse s’organisa entrelesdélicats, desorte qu’àlafin cen’était plusqu’à trois
heures dumatin environ qu’onpouvait espérer unesolitude relative.
Onfinissait parneplus secoucher.
Àdeux heures
près, ilen était demême pourlesdouches oùjouait, sinonlamême préoccupation depudeur, celledepouvoir sefaire
une place danslacohue oùune eauinsuffisante, etcomme vaporisée aucontact detant decorps moites, nedescendait
même plusjusqu’à lapeau.
Danslesdeux cas,ilyavait lahâte definir etde sortir, carces baraques sansaération étaient
faites deplanches desapin fraisetrésineux qui,imprégnées d’eausale,d’urine etd’air marin, semirent àfermenter sous
le soleil enexhalant unparfum tiède,sucréetnauséeux, lequel,ajoutéàd’autres senteurs, devenaitviteintolérable,
surtout quandilyavait delahoule.
Quand, aubout d’unmois detraversée, onaperçut aumilieu delanuit lephare deFort-de-France, cene fut pas.
»
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