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hobby et, par la suite, presque une obsession, est né ce jour d'avril.

Publié le 06/01/2014

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hobby et, par la suite, presque une obsession, est né ce jour d'avril. Cela n'avait rien à voir, je dois l'ajouter, avec la cérémonie en soi, avec le rituel pour lequel j'avais dû me préparer pendant si longtemps ; c'était plutôt la réception dans la maison de mes parents qui avait été le commencement de tout. Car, alors que j'étais passé d'un parent à l'autre pour être embrassé, tapé dans le dos et congratulé, la masse confuse des visages qui se ressemblaient tous m'avait gêné, et j'avais commencé à me demander comment il se faisait que j'étais lié à tous ces gens, aux Ida et Trudy et Julius et Sylvia et Hilda, aux noms des Sobel et des Rechtschaffen et des Feit et des Stark et des Birnbaum et des Hench. J'ai commencé à me demander qui ils pouvaient bien être, quel pouvait être le lien qui les unissait à moi, et c'était parce que je n'aimais pas être confronté à cette masse indifférenciée de relations, que j'étais agacé par ce chaos, que j'ai par la suite consacré des heures et des semaines et des années à faire des recherches sur mon arbre généalogique, pour clarifier les relations et ordonner les branches et les sous-branches des liens génétiques, pour organiser l'information que j'avais fini par accumuler sur des fiches et des tableaux, et dans des dossiers. C'est idiot, bien sûr, de penser qu'on « devient » un homme à l'âge de treize ans, mais il est sans doute juste de dire que, même par inadvertance, ma bar-mitsva m'a rendu bien plus conscient de ce que c'était que d'être juif que n'importe quelle compréhension des mots que je prononçais, ce jour d'avril 1973, n'aurait pu le faire. Et donc les questions que j'ai commencé à poser, immédiatement après ma bar-mitsva, ne concernaient pas seulement le mystérieux Shmiel, mais tous les autres. Ces questions m'ont conduit, tout d'abord, à écrire des lettres aux parents qui étaient, en 1973, encore vivants -  un nombre qui était déjà bien inférieur à ce qu'il avait été, six, sept ou huit ans auparavant, lorsque j'allais avec ma famille à Miami Beach. J'écrivais à ces vieux parents dans le Queens, à Miami Beach, à Chicago et à Haïfa, et parfois les réponses provoquaient chez moi de la frustration et de la confusion (Je ne te dis pas la date exacte de ma naissance, m'avait dit au téléphone, un après-midi de 1974, Sylvia, la soeur malheureuse de mon grand-père, parce qu'il aurait mieux valu que je ne sois jamais née). Mais, plus souvent, ces personnes âgées se sentaient gratifiées par le fait que quelqu'un d'aussi jeune s'intéresse à quelque chose d'aussi vieux, et ils répondaient avec enthousiasme à mes questions et me racontaient tout ce qu'ils savaient. Par exemple, la tante de mon père, Pauline (toujours « Tante Pauly »), m'a balancé une centaine de lettres, tapées sur une Underwood déglinguée, entre le mois de juin 1973, lorsque je lui ai écrit timidement pour la première fois, et juin 1985, date à laquelle son formidable cerveau, qui m'avait fourni tant de détails infimes et précieux sur ma famille du côté paternel (Je crois aussi me souvenir de quelqu'un prononçant le nom d'une petite ville appelée...), s'est effondré. A la fin, les a, les e et les o de son antique machine à écrire mécanique étaient parfaitement impossibles à distinguer, en parallèle, peut-être, de ce qui se produisait dans les tissus durcis et confus auxquels je devais tant. Ou bien il y avait ma grand-tante Miriam, à Haïfa, l'épouse du frère de mon grand-père, Itzhak, la femme qui, en raison de son sionisme véhément, avait convaincu son mari que, en dépit de la grande prospérité de leur commerce de boucherie, l'avenir de la communauté juive se situait en Palestine, raison pour laquelle elle et lui, et leurs deux enfants, avaient échappé au sort qui avait englouti Shmiel et les autres. Je me suis mis à lui écrire souvent et elle avait beaucoup à dire sur le sujet de Bolechow, tel que c'était avant qu'elle en parte. Ses minces aérogrammes avec leurs timbres israéliens exotiques étaient toujours les bienvenus, avec cette écriture européenne d'autrefois, si singulière, à la pointe bille bleue qui couvrait chaque centimètre carré, recto verso, du papier bleu, si mince, si léger. D'un anglais à la syntaxe et à l'orthographe aussi difficiles à déchiffrer pour moi que son écriture en pattes de mouche, j'ai appris beaucoup : la vie plaisante de la ville autrefois, les choses flatteuses que lui disait son père à propos de mon arrière-grand-père, Elkune Jäger ; les deux hommes, écrivait-elle, avaient appartenu au même club à Bolechow, détail (un club ?) qui m'avait obligé à réviser ce que je croyais savoir de la vie dans les petites villes de la Galicie au tournant du siècle. Connaître mon arrière-grandpère était d'un intérêt tout particulier pour moi, dans la mesure où, dès cette époque, j'ai été assez mûr pour comprendre que l'histoire de la famille pouvait être bien plus que des tableaux et des listes, pouvait en fait expliquer la façon dont les gens -  disons, mon grand-père -  étaient devenus ce qu'ils étaient. A propos d'Elkune, elle m'avait écrit :   Le Elkana Juger je ne m'en souviens pas mais mon père dit qu'ils était un membre dans la même synagogue et aussi dans le club et il dit à moi qu'il était un type très bien et très bon il aime dépenser l'argent pour les familles pauvres, et il a une très bonne opinion et sympathie de la part des citoiliens chrétiens et c'était très important pour lui et pour toute la ville. Mais il est mort très jeune dans le siècle il était avec Rachel pour prendre un repos et il est devenu une crise cardiaque c'était un tragédie pour toute la ville et famille.   Il m'a fallu un peu de temps pour comprendre que citoiliens, c'était citoyens. Rachel, ai-je réalisé avec un frisson, était la soeur aînée de mon grand-père, celle qui était morte une semaine avant de se marier, était morte parce qu'elle aussi, je l'ai appris par la suite, avait le coeur en mauvais état. Parce que je savais que Miriam et son mari étaient restés à Bolechow jusque dans les années 1930, j'ai eu l'audace de lui poser des questions sur Shmiel aussi. Je me souviens de l'obscure émotion ressentie quand j'ai écrit la lettre dans laquelle je lui demandais ce qui leur était arrivé exactement, une lettre dont je n'ai rien dit à mon grand-père. Mais sur ce sujet, Tante Miriam était plus hésitante et n'a pu me dire que la chose suivante, dans un aérogramme daté du 20 janvier 1975 :   La date de Onkel Schmil et de sa famille quand ils sont morts personne ne peut me dire, 1942 les Allemands tuaient tante Ester avec 2 filles. La fille aînée était avec les partisans dans les montagnes et elle est morte avec eux. Onkel Schmil et 1 fille Fridka les Allemande les ont tués 1944 à Bolechow, dit à moi un homme de Bolechow personne sait ce qui est vrai.   S'il s'est avéré que ce n'était pas tout à fait comme elle m'en avait averti (comme je peux le voir à présent), ce n'était vraiment pas de sa faute. Elle ne faisait que répéter ce qu'elle avait entendu dire. Un peu plus tard, quand j'ai appris qu'il ne fallait pas trop attendre de ces réponses, et que j'ai commencé à tirer fierté de mon efficacité en tant que chercheur, fierté d'avoir mis au point une certaine méthode, j'ai commencé à écrire aussi aux institutions et aux agences gouvernementales, le genre de lettres auxquelles on vous recommandait de joindre « une enveloppe pré-affranchie », des lettres aux archives de New York City contenant des mandats postaux pour le règlement des photocopies officielles de certificats de naissance et de décès (cinq dollars pièce, à l'époque), des lettres aux cimetières (mes préférées) avec des noms du genre Mount Zion ou Mount Judah (« la tombe réservée à Mina Spieler reste non réclamée à ce jour »), des lettres à des endroits portant des noms comme The Hebrew Orphan Asylum, des lettres à des archives aux acronymes à la sonorité sinistre, comme AGAD, dans des pays qui étaient alors fermés par le Rideau de Fer, et dont vous n'entendiez plus jamais parler en dépit du fait que vous aviez joint le mandat postal international. Problèmes qui m'ont conduit, deux décennies plus tard, vers des outils plus sophistiqués. Il y avait désormais les recherches sur Internet et les sites de généalogie, sur le Social Security Death Index et sur genealogy.com et jewishgen.org, sur la banque de données d'Ellis Island, où j'ai appris la date précise de l'arrivée de Shmiel à New York en 1913, un endroit qui ne lui portait pas chance, avait-il décidé. Il y avait désormais les comités de Family Finder. J'avais désormais des correspondances sans fin avec des inconnus parfaits, incroyablement différentes de ces laborieux échanges par aérogrammes que j'avais eus au cours de mon adolescence, des requêtes par e-mail auprès de gens en Californie, dans le Colorado, au pays de Galles et au Danemark qui promettaient une instantanéité complète et une aisance linguistique totale. Ce qui, finalement, m'a conduit à voyager, au cours d'une année, dans une douzaine de villes, de Sydney à Copenhague et Beer Sheva, à m'embarquer sur des avions et des ferries, à monter dans des trains bondés de filles et de garçons juifs en uniforme, avec des armes en bandoulière sur leurs corps minces. A aller, pour finir, jusqu'à Bolechow pour parler avec les quelques survivants qui avaient vu ce qui avait été fait.     Le temps passant, quand je suis devenu un jeune homme d'une vingtaine d'années, je me plongeais de temps en temps dans les dossiers que j'avais constitués, poussais ma recherche un peu plus loin, écrivais quelques lettres de plus à telles ou telles archives, apprenais quelques faits supplémentaires. A l'époque où j'ai passé la trentaine, puis la quarantaine, il me paraissait évident que je savais tout ce qu'il y avait à savoir sur l'histoire de ma famille : sur les Jäger essentiellement, dans la mesure où, en plus des preuves documentaires, du matériel obtenu auprès des archives et des bibliothèques, il y avait toutes ces histoires ; et, avec les années, sur la famille de mon père aussi, les taciturnes Mendelsohn. Le seul trou, la seule lacune agaçante, c'était Shmiel et sa famille, les disparus sur lesquels il n'y avait pas un fait à inscrire sur les fiches, pas de dates à entrer sur les programmes informatiques de généalogie, pas d'anecdotes ou d'histoires à raconter. Mais ce temps se prolongeant, il était de moins en moins douloureux de penser que nous ne saurions jamais rien de plus à leur sujet, puisque, avec chaque nouvelle décennie qui passait, l'événement dans son ensemble reculait et, avec lui, eux aussi s'effaçaient, pas seulement les six, mais eux tous. Et décennie après décennie, ils paraissaient de plus en plus entrer dans l'Histoire et ne plus nous appartenir. Paradoxalement, cela rendait plus acceptable le fait de ne pas y penser, puisqu'il y avait, après tout, tant de gens qui pensaient à eux -  sinon à eux spécifiquement, du moins à un eux générique, ceux qui avaient été tués par les nazis. Pour cette raison, c'était comme si on avait pris soin d'eux. Pourtant, de temps à autre, il arrivait que quelque chose remontât à la surface et me fît me demander s'il n'y avait tout de même pas encore quelque chose à apprendre. Par exemple : Mon grand-père préférait raconter des histoires qui étaient drôles, dans la mesure où il était lui-même si drôle et où les gens vous apprécient plus quand vous les faites rire. Je me souviens -  ou plutôt, ma mère m'a raconté -  comment il avait fait faire pipi dans sa culotte à ma grandtante Ida, à la table de Thanksgiving, une année, il y a longtemps, tant l'histoire qu'il racontait était drôle. Nous ne savons pas de quelle histoire drôle il s'agissait, puisque l'histoire de la façon dont elle s'est fait pipi dessus a éclipsé l'histoire en question -  elle est devenue une histoire

« même clubàBolechow, détail(unclub ?)qui m'avait obligéàréviser ceque jecroyais savoirde la vie dans lespetites villesdelaGalicie autournant dusiècle.

Connaître monarrière-grand- père était d'unintérêt toutparticulier pourmoi,dans lamesure où,dès cette époque, j'aiété assez mûrpour comprendre quel'histoire delafamille pouvait êtrebien plusquedestableaux et des listes, pouvait enfait expliquer lafaçon dontlesgens – disons, mongrand-père –  étaient devenus cequ'ils étaient.

Apropos d'Elkune, ellem'avait écrit:   Le Elkana Jugerjene m'en souviens pasmais monpèreditqu'ils étaitunmembre danslamême synagogue etaussi dansleclub etildit àmoi qu'il était untype trèsbien ettrès bonilaime dépenser l'argentpourlesfamilles pauvres, etila une très bonne opinion etsympathie dela part descitoiliens chrétiens etc'était trèsimportant pourluietpour toute laville.

Mais ilest mort trèsjeune danslesiècle ilétait avecRachel pourprendre unrepos etilest devenu unecrise cardiaque c'étaituntragédie pourtoute laville etfamille.

  Il m'a fallu unpeu detemps pourcomprendre que citoiliens, c'était citoyens.

Rachel, ai-je réalisé avecunfrisson, étaitlasœur aînée demon grand-père, cellequiétait morte une semaine avantdesemarier, était morte parcequ'elle aussi,jel'ai appris parlasuite, avaitle cœur enmauvais état. Parce quejesavais queMiriam etson mari étaient restésàBolechow jusquedanslesannées 1930, j'aieul'audace deluiposer desquestions surShmiel aussi.Jeme souviens del'obscure émotion ressentie quandj'aiécrit lalettre danslaquelle jelui demandais cequi leur était arrivé exactement, unelettre dontjen'ai rien ditàmon grand-père.

Maissurcesujet, Tante Miriam était plushésitante etn'a pume dire quelachose suivante, dansunaérogramme datédu20 janvier 1975:   Ladate deOnkel Schmil etde safamille quandilssont morts personne nepeut medire, 1942 les Allemands tuaienttanteEsteravec2filles.

Lafille aînée étaitaveclespartisans dansles montagnes etelle estmorte aveceux.Onkel Schmil et1fille Fridka lesAllemande lesont tués 1944 àBolechow, ditàmoi unhomme deBolechow personnesaitcequi estvrai.

  S'il s'est avéré quecen'était pastout àfait comme ellem'en avaitaverti (comme jepeux levoir à présent), cen'était vraiment pasdesafaute.

Ellenefaisait querépéter cequ'elle avait entendu dire. Un peu plus tard, quand j'aiappris qu'ilnefallait pastrop attendre deces réponses, etque j'ai commencé àtirer fierté demon efficacité entant quechercheur, fiertéd'avoir misaupoint une certaine méthode, j'aicommencé àécrire aussiauxinstitutions etaux agences gouvernementales, legenre delettres auxquelles onvous recommandait dejoindre « une enveloppe pré-affranchie », deslettres auxarchives deNew YorkCitycontenant desmandats postaux pourlerèglement desphotocopies officiellesdecertificats denaissance etde décès (cinq dollars pièce,àl'époque), deslettres auxcimetières (mespréférées) avecdesnoms du genre Mount ZionouMount Judah(« latombe réservée àMina Spieler restenonréclamée àce jour »), deslettres àdes endroits portantdesnoms comme The Hebrew OrphanAsylum, des lettres àdes archives auxacronymes àla sonorité sinistre,commeAGAD,dansdespays qui. »

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