Fig. 32-33. - À gauche : Chavin, nord du Pérou (d'après

Fig. 32-33. - À gauche : Chavin, nord du Pérou (d'après Tello) ; À droite : Monte Alban, sud du Mexique (bas-relief dit « les danseurs »).   Ne pourrait-on concevoir que cet événement majeur dans la vie de l'humanité, je veux dire l'apparition de la civilisation néolithique - avec la généralisation de la poterie et du tissage, le début de l'agriculture et de l'élevage, les remières tentatives sur la voie de la métallurgie - circonscrite au début dans l'Ancien Monde entre le Danube et l'Indus, it déclenché une sorte d'excitation chez les peuples moins évolués de l'Asie et de l'Amérique ? Il est difficile de omprendre l'origine des civilisations américaines sans admettre l'hypothèse d'une activité Intense, sur toutes les côtes u Pacifique - asiatique ou américaine - et se propageant de place en place grâce à la navigation côtière ; tout cela endant plusieurs millénaires. Nous refusions jadis la dimension historique à l'Amérique précolombienne parce que 'Amérique postcolombienne en a été privée. Il nous reste peut-être à corriger une seconde erreur, qui consiste à penser que l'Amérique est restée pendant vingt mille ans coupée du monde entier, sous prétexte qu'elle l'a été de l'Europe occidentale. Tout suggère plutôt qu'au grand silence atlantique répondait, sur tout le pourtour du Pacifique, un ourdonnement d'essaim.   Fig. 34. -Chavin, nord du Pérou (d'après Tello).     Quoi qu'il en soit, au cours du premier millénaire avant notre ère, un hybride américain semble avoir déjà engendré rois greffons solidement entés sur les variétés problématiques résultant d'une évolution plus ancienne : dans le genre rustique, la culture de Hopewell qui a occupé ou contaminé toute la partie des États-Unis à l'est des plaines, donne la éplique à la culture de Chavin du nord du Pérou (à laquelle Paracas fait écho dans le sud) ; tandis que Chavin ressemble e son côté aux premières manifestations de la civilisation dite olmèque et préfigure le développement maya. Dans les rois cas, nous sommes en présence d'un art cursif, dont la souplesse et la liberté, le goût intellectuel pour le double sens à Hopewell comme à Chavin, certains motifs se lisent de façon différente selon qu'on les regarde à l'envers ou à 'endroit) commencent à peine à pencher vers la raideur anguleuse et l'immobilisme, que nous sommes habitués à prêter l'art précolombien. J'essaie parfois de me persuader que les dessins caduveo perpétuent à leur manière cette lointaine radition. Est-ce à cette époque que les civilisations américaines ont commencé à diverger, le Mexique et le Pérou ssumant l'initiative et marchant à pas de géant, tandis que le reste se maintenait dans une position intermédiaire ou ême traînait en route pour tomber dans une demi-sauvagerie ? Ce qui s'est passé en Amérique tropicale, nous ne le aurons jamais exactement en raison des conditions climatiques défavorables à la préservation des vestiges rchéologiques ; mais il est troublant que l'organisation sociale des Gé et jusqu'au plan des villages bororo ressemblent à ce que l'étude de certains gisements préincaïques, comme celui de Tiahuanaco en haute Bolivie, permet de reconstituer e ces civilisations disparues.   Fig. 35 - Hopewell, Est des États-Unis (d'après Ch. C. Willoughby, The Turner Group of Eastworks, papers of the Peabody Museum, Harvard University, vol. VIII, nº3, 1922).   Ce qui précède m'a bien éloigné de la description des préparatifs d'une expédition dans le Mato Grosso occidental ; il e fallait pourtant, si je voulais faire respirer au lecteur cette atmosphère passionnée qui imprègne toute recherche méricaniste, que ce soit sur le plan archéologique ou ethnographique. La dimension des problèmes est telle, les pistes ont nous disposons si fragiles et ténues, le passé - par pans immenses - si irrévocablement anéanti, l'assise de nos péculations si précaire, que la moindre reconnaissance sur le terrain place l'enquêteur dans un état instable où la ésignation la plus humble le dispute à de folles ambitions : il sait que l'essentiel est perdu et que tous ses efforts se éduiront à gratter la surface ; et pourtant ne rencontrera-t-il pas un indice, miraculeusement préservé, et d'où la lumière aillira ? Rien n'est sûr, tout est possible donc. La nuit où nous tâtonnons est trop obscure pour que nous osions rien ffirmer à son sujet : pas même qu'elle est destinée à durer.