Dictionnaire en ligne: ÉNORME, adjectif.

Dictionnaire en ligne: ÉNORME, adjectif. Qui dépasse la norme. I.— [Dans l'ordre quantitatif] A.— [En parlant d'un corps tel qu'il est perçu dans l'espace] 1. [Le plus souvent associé à un mot concret désignant un corps physique, chose, animal, personne] Qui dépasse de beaucoup la mesure considérée comme moyenne ou normale, qui est extraordinaire par l'ensemble de ses dimensions, son volume, sa surface. Énorme édifice; oiseau énorme; colosse, monstre énorme. Toute la sculpture païenne charnue et robuste, l'ornementation énorme, hyperbolique et exorbitante (VICTOR HUGO, Le Rhin, 1842, page 241 ). L'énorme espace vague qui s'étend entre les murs et le village (ANDRÉ GIDE, Retour du Tchad, 1928, page 898) : Ø 1. Au loin, grandissant par degrés, énorme, monstrueux, l'humain approche, vingt fois plus haut que Margot, masse horrible, fantastique, dont les pas ébranlent le sol qui s'écrase en mottelettes,... LOUIS PERGAUD, De Goupil à Margot, 1910, page 199. SYNTAXE : Un énorme bâtiment, un énorme bloc; un diamant énorme; une énorme gerbe; d'énormes colonnes; un animal énorme; un énorme papillon; un corps énorme. — Spécialement. [Pour caractériser la grosseur] a) [Appliqué à une personne, à un animal, ou à une partie du corps] Un derrière, un ventre énorme; un nez, une tête énorme. Une espèce de patapouf énorme, informe et blafard (RENÉ TARDIVAUX, DIT BOYLESVE, La leçon d'amour dans un parc, 1902, page 145) : Ø 2. Elle était devenue énorme. Autant elle avait été maigre, autant elle était obèse, avec un ventre gonflé sous lequel pendillaient toujours ses longues mamelles ballottantes. GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, Mademoiselle Cocotte, 1883, page 811. b) [Associé à un mot abstrait] La femelle peu à peu prend une énorme grosseur, jusqu'à devenir deux mille fois plus grosse de corps et de ventre (JULES MICHELET, L'Insecte, 1857, page 238 ). Remarque : La norme est a) La moyenne commune à l'intérieur d'une catégorie (supra exemple 2). b) Un objet de référence auquel est rapporté l'objet qualifié (supra exemple 1). c) Un tout auquel est rapportée la partie de façon implicite ou explicite. L'énorme front du poète (MAURICE BARRÈS, Mes Cahiers, tome 4, 1906, page 164). 2. Qui est extraordinaire par l'une de ses dimensions. a) [Associé à un mot concret; le contexte indique la dimension concernée, l'épaisseur, la hauteur, etc.] Une énorme chevelure; d'énormes livres. Un énorme ravin de plus de trois cents toises de hauteur (JEAN DUSAULX, Voyage à Barège et dans les Hautes-Pyrénées fait en 1788, tome 2, 1796, page 3 ). b) [Associé à un mot abstrait désignant la dimension concernée] Hauteur, taille énorme. Quoique ces arbres acquièrent une grandeur énorme (MICHEL-GUILLAUME-JEAN, DIT SAINT-JOHN DE CRÈVECOEUR, Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l'état de New-York, tome 3, 1801, page 133 ). B.— [En parlant de grandeurs mesurables ou de ce qui y est assimilé; de collections de choses ou de personne susceptibles d'être dénombrées] Qui excède la mesure commune dans des proportions considérables; très important, très considérable en nombre ou en quantité. Distance, temps énorme; nombre, quantité, énorme (de choses, de faits, d'idées, de personnes, etc.). Les vastes empires, dans lesquels a toujours été moulée la population énorme de l'Asie (CHARLES BAUDELAIRE, Les Paradis artificiels, 1860, page 430 ). Ils [des canons] devaient, (...) pouvoir supporter une charge considérable, et par conséquent avoir une portée énorme (JULES VERNE, L'Île mystérieuse, 1874, page 466) : Ø 3. Sir W. Ramsay a cherché à montrer que le radium se transforme, qu'il renferme une provision d'énergie énorme, mais non inépuisable. HENRI POINCARÉ, La Valeur de la science, 1905, page 199. SYNTAXE : Énorme majorité, moyenne, proportion; énorme différence, diminution, disproportion; dose, masse, poids, pression, volume énorme; affluence, foule énorme; chiffre, prix, profit énorme; somme énorme; énorme fortune; énormes bénéfices, capitaux; dépenses, dettes, pertes énormes. · Spécialement. DROIT. vieilli. Lésion énorme. " Lésion qui dépasse le double de la valeur de la chose vendue " (Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse)). Lousteau, qui perdait ses mille écus, ne pardonna pas à Lucien cette lésion énorme de ses intérêts (HONORÉ DE BALZAC, Les Illusions perdues, 1843, page 498 ). — Locution. C'est énorme, ce n'est pas énorme. Il y a beaucoup, pas beaucoup (des choses ou des personnes mentionnées). J'ai pris à la bibliothèque de Rouen la liste des livres archéologiques. Ce n'est pas énorme (GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance, 1876, page 288 ). — Emploi comme substantif avec valeur de neutre. Ce qui est extraordinaire par sa quantité. Je comprendrais peut-être s'il s'agissait de milliards, de chiffres astronomiques. Il y a une poésie de l'énorme (GEORGES DUHAMEL, Vue de la Terre promise, 1934, page 144 ). II.— [Dans l'ordre qualitatif] A.— Sens général. Qui sort de l'ordinaire, a un caractère inhabituel, exceptionnel ou excessif. Je fais de la laideur énorme avec leur force, Un monstre avec l'écume, un monstre avec l'écorce (VICTOR HUGO, La Fin de Satan, 1885, page 902 ). Que faire avec des gars qui n'ont pas encore trente ans et qui ne désirent pas quelque chose d'énorme, d'étonnant, d'extraordinaire? (GEORGES DUHAMEL, Le Désert de Bièvres, 1937, page 58) : Ø 4. Il existe des gens tellement ennuyeux qu'ils en sont étonnants. Que deviendrions-nous sans les imbéciles? Flaubert, Baudelaire, qui croyaient les haïr, n'auraient peut-être pas supporté de vivre, s'ils n'eussent eu ce divertissement de l'« énorme bêtise », de la « bêtise au front de taureau ». FRANÇOIS MAURIAC, Journal 1, 1934, page 86. — Emploi comme substantif avec valeur de neutre. Il garde de l'enfant la puissance d'illusion, le goût de l'énorme, de l'excessif et du merveilleux (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, La Vie en fleur, 1922, page 343 ). B.— Valeurs particulières. 1. [Comme simple superlatif de grand, de gros pris abstraitement] Qui est considérable par son importance, sa force ou son intensité. Un énorme effort; un rire énorme. Un monarque revêtu d'une énorme puissance, qui dispose des armées, des tribunaux, de toute la force publique d'une grande nation (MAXIMILIEN DE ROBESPIERRE, Discours, Contre le veto royal, tome 6, 1789, page 90 ). Cet énorme événement, la guerre, est fait de milliers d'acceptations (ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos, 1923, page 465) : Ø 5. J'aime le grand mot : humain. Car celui-là aime les hommes. Ainsi qu'ils sont, par pitié; Car celui-là joint à Dieu. L'énorme douleur d'être un homme. PIERRE-JEAN JOUVE, Tragiques, Toscanes, 1922, page 117. SYNTAXE : Différence énorme; importance, influence énorme; difficultés, problèmes énormes; travail énorme; bruit, rumeur énorme; scandale, succès énorme; joie, tristesse énorme. — [Appliqué à une personne] Un piocheur énorme (EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1855, page 195 ). Un homme peut être à la fois un énorme impotent et un énorme potentat (CHARLES PÉGUY, L'Argent, 1913, page 1147 ). 2. Péjoratif. a) [En parlant d'une faute morale ou intellectuelle, d'un fait ou d'un acte répréhensible] Qui est d'une extrême gravité. Défaut, erreur, faute, sottise énorme; crime énorme; abus, injustices énormes. Il était convaincu de ce vice énorme, « il pensait, il jugeait par lui-même » (HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Le Rouge et le Noir, 1830, page 179 ). Il y a au fond de toute cette affaire quelque énorme saloperie de gouvernement (GEORGES CLEMENCEAU, L'Iniquité, 1899, page 121 ). b) [En parlant de propos, d'écrits, de certains actes] Qui passe de loin les limites imposées par le bon goût, la décence, le respect de la logique ou de la réalité. Une énorme plaisanterie; des histoires énormes; dire des choses énormes : Ø 6. Et celui qui s'écoute articulant de ces phrases, trop grosses pour un individu, gavées de mots énormes, impossibles à penser — quelles bêtises intérieures se paye-t-il sous son manteau de bruit? PAUL VALÉRY, Tel quel I, 1941, page 217. 3. Mélioratif, familier. [Appliqué à une personne ou à une chose] Qui est hors du commun, remarquable par ses qualités, ses mérites. C'est une oeuvre énorme faite par un homme de génie (GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance, 1880, page 390 ). « Qu'est-ce qu'un piston? ». et ils rugissaient tous ensemble : « C'est un type énorme! » (JEAN-PAUL SARTRE, Le Mur, 1939, page 161 ). 4. Locution. C'est énorme. a) Familier. [Comme expression emphatique de l'indignation, de la surprise, de la satisfaction ou de l'admiration] Les images très précises, brutales toujours, belles souvent, qui arrivent encore sans raison apparente. C'est énorme (HENRI, ALBAN FOURNIER, DIT ALAIN-FOURNIER, Correspondance [avec Jacques Rivière] , 1906, page 251 ). Préférer Racine à Victor, c'est quand même quelque chose d'énorme! (MARCEL PROUST, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, page 763 ). Remarque : Dans cet emploi ainsi que dans II B 3 supra, énorme est parfois écrit hénaurme, par plaisanterie, à l'imitation de Flaubert, qui lui-même caricaturait ainsi la prononciation expressive et affectée de certains acteurs. Badinguet [Napoléon III] , indigné de la pièce, ou plutôt de l'accueil fait à la pièce! « Hénaurme »! Splendide! (Correspondance, 1853, page 415). b) Superlatif expressif de beaucoup (voir ce mot I B 2 c) : Ø 7. Si les autres ne comptent pas, ça n'a pas de sens d'écrire. Mais s'ils comptent, c'est énorme de susciter par des mots leur amitié, leur confiance; c'est énorme d'entendre résonner en eux ses pensées à soi... » SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, page 102. Remarque : 1. Suivant DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE (ÉMILE LITTRÉ) " Quand énorme signifie excessif en grandeur ou en grosseur il se met avant ou après son substantif; mais quand il signifie irrégulier, choquant, révoltant, il ne se met guère qu'après ". Cette seconde affirmation n'est pas vérifiée par l'étude de la documentation où énorme employé abstraitement se trouve fréquemment antéposé. 2. On rencontre dans la documentation les mots dérivés suivants a) Énormifié, ée, adjectif, néologisme d'auteur Qui a été rendu énorme. L'esprit fin, délicat de la pièce me semble « énormifié... » (EDMOND ET JULES DE GONCOURT, Journal, 1893, page 347). b) Énormissime, superlatif plaisant de énorme. Mlle. Cambon, ayant une dot de vingt-cinq ou trente mille francs de rente, ce qui était énormissime au sortir de la République en 1800 (HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Vie de Henry Brulard, tome 2, 1836, page 469). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 7 148. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 6 523, b) 12 733; XXe. siècle : a) 13 386, b) 9 959.