Dictionnaire en ligne: DÛ, DUE, participe passé, adjectif et substantif masculin singulier. I.— Participe passé de devoir1* II.— Emploi adjectival. A.— [La construction sans complément prépositionnel (à, par) est courante] Qui est l'objet, la matière d'une dette ou d'une obligation. 1. [En parlant d'une dette, somme ou chose] Que l'on est tenu d'acquitter, qui doit être payé ou restitué. Somme due, chose due, impôts dus, loyers dus, cotisations dues. J'ai reçu l'état de dettes que vous m'avez envoyé (...) Il reste dû, dites-vous, 5 460 livres (GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1792, page 33) : Ø 1. — Je veux mes oeuvres, dit-il, je vous les rachète. — Vous n'en avez aucun droit, dit Hecht. Mais comme je ne tiens nullement à retenir les gens de force, je consens à vous les rendre, — si vous êtes en mesure de me rembourser les indemnités dues. ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Les Amies, 1910, page 1194. — Locutions. · En port dû (Petit Robert. ). · DROIT, ADMINISTRATIF. Chose due. L'héritier qui possède la chose due ou le fonds hypothéqué (Code civil des Français (ou Code Napoléon) 1804, article 1221, page 219 ). Par comparaison. Il (...) exigeait comme une chose due l'aide de Rougon (ÉMILE ZOLA, L'Argent, 1891, page 363 ). · Ainsi que dû. Comme cela se doit. Enfin c'est vrai que vous sonnez la diane Et nous allez « annexer » ainsi que dû (PAUL VERLAINE, Œuvres complètes, tome 3, Invectives, 1896, page 341 ). · Jusqu'à due concurrence (confer concurrence A) [Avec une idée de limite] Je vous ai alloué une somme de trois cents francs, payable jusqu'à due concurrence (ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Les Amies, 1910, page 1193 ). — Locution proverbiale. Chose promise, chose due : Ø 2. SÉNAC. — (...) chose promise, chose due. PHILIPPE, amer. — Oui, il faut être correct. GUERCHARD. — Il a raison. Un vrai poilu n'a qu'une parole. HENRI DE MONTHERLANT, L'Exil, 1929, III, 3, page 78. 2. Au figuré. [En parlant de personnes ou de choses] Que l'on doit rendre à. Dû + à + quelqu'un ou quelque chose. Les égards dus à l'âge, le respect dû à sa personne, l'hommage dû à sa mémoire. La chevaleresque obéissance due aux femmes (HONORÉ DE BALZAC, Le Lys dans la vallée, 1836, page 194 ). La discrétion due à l'amitié (EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1894, page 701) : Ø 3. Ainsi soumettais-je à ma grand'mère mes impressions, car je ne savais jamais le degré d'estime dû à quelqu'un que quand elle me l'avait indiqué. MARCEL PROUST, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, page 727. SYNTAXE : Estime, honneur(s) dû(s) à; protection, récompense, réparation, révérence, soumission, vénération due à. B.— [Toujours suivi du complément prépositionnel avec à; en parlant d'une chose] 1. Qui provient de, qui est causé par. L'insomnie, mal des philosophes, s'accroît de l'énervement dû aux bruits de la ville (GASTON BACHELARD, La Poétique de l'espace, 1957, page 43) : Ø 4.... les habitants de l'Ouest avaient appelé tous les soldats de la République, des Bleus. Ce surnom était dû à ces premiers uniformes bleus et rouges dont le souvenir est encore assez frais pour rendre leur description superflue. HONORÉ DE BALZAC, Les Chouans, 1829, page 7. SYNTAXE : a) Substantif Incident, événement, maladie, phénomène dû à. b) Compléments, Dû au hasard, à telle cause, à l'ingéniosité, à l'initiative, à la perspicacité de (quelqu'un); dû au fait que, à ce que. c) Adverbe. Dû en partie, essentiellement, peut-être, principalement, sans doute, uniquement à. — En particulier. [En parlant d'une réalisation, notamment d'une oeuvre littéraire ou artistique] Dû à (quelqu'un), au pinceau de, à la plume de (quelqu'un). Dont l'auteur est. Une grande toile, probablement due à un maître célèbre (LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936, page 115) : Ø 5. Dans tous les journaux, dans toutes les revues, des petites notes annoncèrent la prochaine publication d'un roman mondain dû à un auteur qui, pour des raisons évidentes, ne pouvait se découvrir. ÉMILE HERZOG, DIT ANDRÉ MAUROIS, La Vie de Disraëli, 1927, page 42. 2. Dont on est redevable à (quelqu'un ou) quelque chose. Les monastères s'établirent quelquefois dans des constructions dues à la civilisation antique (ALBERT LENOIR. L'Architecture monastique, 1852, page 19 ). C.— DROIT. [En parlant d'une chose] Qui est conforme aux règles, à la loi; qui convient. — Dans la locution. En due forme (vieilli). J'aime mieux une invitation en due forme qu'un pique-nique (MAX JACOB, Le Cornet à dés, 1923, page 81 ). En bonne et due forme (usuel). Un constat de Me. Legruyère, huissier à Paris, (...) dressé en bonne et due forme dans les termes requis par la loi (GEORGES MOINAUX, DIT GEORGES COURTELINE, L'Article 330, 1900, page 265) : Ø 6. Nous décidâmes d'abord, par décret du 23 septembre, que les hommes restant sous les armes auraient à contracter un engagement en bonne et due forme pour la durée de la guerre. De ce fait, la situation des maquisards se trouvait légalement réglée. CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1959, page 30. III.— Substantif masculin singulier. Ce qu'on doit à quelqu'un, ce dont quelqu'un est tenu de s'acquitter, ce qu'une personne est en droit de réclamer. Payer, exiger, réclamer son dû; à chacun son dû, selon son dû; considérer quelque chose comme un dû. Synonymes : dette; antonyme : indu, cadeau. Le général avait, disait-on, assommé Courtecuisse, il lui refusait son dû, il lui devait deux mille francs (HONORÉ DE BALZAC, Les Paysans, 1844, page 158) : Ø 7. Vous voulez votre dû, mot grotesque et barbare, Que l'on n'accepterait jamais au Tintamarre... Mais il paraît qu'il faut payer ce que l'on doit. GÉRARD DE NERVAL, Correspondance, 1830-55, page 255. SYNTAXE : Défendre son dû, demander son dû à quelqu'un, priver quelqu'un de son dû. — En particulier. · Rare. [En parlant d'une personne] Par Toi je vis, quoique à présent je cède à la Mort; je suis son dû en tout ce qui peut mourir en moi (FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Le Paradis perdu, 1836, page 179 ). · [En parlant d'un châtiment] Payer sa dette à la société (confer dette). Tu dois estimer ton arrêt de mort aimable et décent (...) D'après les règles établies par César Justinien, tu as reçu ton dû (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Puits de Sainte Claire, 1895, page 232 ). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 12 899. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 14 790, b) 16 678; XXe. siècle : a) 18 016, b) 22 467. Forme dérivée du verbe "devoir" devoir DEVOIR1, verbe. I.— Verbe transitif. A.— Emploi transitif. 1. [Il marque l'obligation; le complément d'objet désigne ce dont le sujet est tenu de s'acquitter envers quelqu'un ou envers quelque chose] a) [L'objet de la créance est de l'argent] a ) [À la forme active, le sujet désigne une personne; le complément d'objet direct désigne] — [la nature ou le montant de la dette] Avoir à payer (une somme), à fournir (quelque chose) (à quelqu'un). Devoir de l'argent, ses impôts, cent mille francs. Ravier. — Voici ce que je vous dois. Je vous donne moins que l'autre fois, selon votre désir (HENRI DE MONTHERLANT, Celles qu'on prend dans ses bras, 1950, page 775 ). Il va exiger les huit mille roubles que je lui dois (ALBERT CAMUS, Les Possédés, 1959, 1re. partie, 2e. tableau, page 951) : Ø 1. Or, mon père mourut pauvre; on lui devait vingt-huit mille francs de solde arriérée, on ne les paye pas à sa veuve; on devait à sa veuve une pension, on ne la lui donna pas. ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Napoléon Bonaparte, ou trente ans de l'histoire de France. 1831, préface, page 2. · Locutions proverbiales. Devoir plus d'argent qu'on n'est gros, (vieux) de l'argent plus qu'on n'est gros. Devoir énormément d'argent (confer Hautel tome 1 1808). Qui terme a ne doit rien. L'acquittement d'une dette n'est pas exigible avant le terme fixé. Le prix!... c'est une affaire que vous réglerez plus tard!... qui a terme ne doit rien (ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Intrigue et amour, traduit de Schiller, 1847, III, 1, page 244 ). SYNTAXE : Devoir des mille et des cents, des sommes folles, plus qu'on ne peut payer. — [le dédommagement que l'on est tenu d'acquitter] Devoir réparation. Devoir une somme d'argent en compensation d'un dommage que l'on a causé. Le dommage dont il sera dû réparation. — [Par métonymie du nom objet] · [Un objet au règlement duquel on n'a pas encore satisfait] : Ø 2. Fantine fut atterrée. Elle ne pouvait s'en aller du pays, elle devait son loyer et ses meubles. Cinquante francs ne suffisaient pas pour acquitter cette dette. VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 1, 1862, page 223. · [la durée d'échéance d'une dette] : Ø 3.... on devait plus de quinze jours à Lestiboudois, deux trimestres à la servante, quantité d'autres choses encore, et Bovary attendait impatiemment l'envoi de M. Derozerays, qui avait coutume, chaque année, de le payer vers la Saint-Pierre. GUSTAVE FLAUBERT, Madame Bovary, tome 2, 1857, page 28. ß ) En emploi absolu. Être obéré d'une ou de plusieurs dettes d'argent. Ils [Paul et sa femme] devaient partout dans le quartier (GUY DE MAUPASSANT, Une Vie, 1883, page 248 ). Et l'embêtant, dans la vie, vois-tu, ça n'est pas de devoir, c'est de payer (PAUL-JEAN TOULET, La Jeune fille verte, 1918, page 269) : Ø 4. [Gobseck :] — Si le roi me devait, madame, et qu'il ne me payât pas, je l'assignerais encore plus promptement... HONORÉ DE BALZAC, Gobseck, 1830, page 394. SYNTAXE : Devoir partout, de tous les côtés, dans tout le quartier. — Locution. Devoir de reste. Avoir à acquitter un surplus de dette. Au figuré, proverbial, vieux. Il croit toujours qu'on lui en doit de reste. Il n'est jamais satisfait de ce qu'on fait pour lui (confer Hautel tome 1 1808). — Locutions et proverbes, souvent au figuré, vieillis. Devoir à Dieu et à Diable, à Dieu et au monde, au tiers et au quart, de tous côtés, à tout le monde. Être criblé de dettes (Confer Dictionnaire du bas-langage ou des manières de parler usitées parmi le peuple (D'HAUTEL) tome 1 1808et Dictionnaire de l'Académie Française 1878). Qui doit a tort. Le tort est toujours du côté du débiteur (Confer Dictionnaire du bas-langage ou des manières de parler usitées parmi le peuple (D'HAUTEL) tome 1 1808et Dictionnaire de l'Académie Française 1878). Quand on doit, il faut payer ou agréer. S'acquitter en espèces ou, à défaut, en bonnes paroles, en promesses (Dictionnaire de l'Académie Française). Qui nous doit nous demande. " Se dit lorsqu'on a sujet de se plaindre de la personne même qui se plaint " (Dictionnaire de l'Académie Française). En devoir à quelqu'un. L'avoir offensé et s'exposer à une vengeance (Confer Dictionnaire du bas-langage ou des manières de parler usitées parmi le peuple (D'HAUTEL) tome 1 1808et Dictionnaire de l'Académie Française 1878). N'en devoir guère. Ne pas céder, en qualité, à quelqu'un ou à quelque chose (confer Dictionnaire de l'Académie Française 1878). Ils ne s'en doivent guère. Sous le rapport des défauts ils se valent (Dictionnaire de l'Académie Française). ? ) [À la forme passive; le complément d'objet devenu sujet désigne] — [la somme que l'on est tenu d'acquitter, l'objet dont le montant est à acquitter] [Cession] faite à un créancier en paiement de ce qui lui est dû (Code civil des Français (ou Code Napoléon) 1804, article 1701, page 310 ). Il a beau refuser à son père la moindre reconnaissance, trouver que cette pension lui est bien due (PAUL NIZAN, La Conspiration, 1938, page 109) : Ø 5. Il faut que vous sachiez qu'en demandant le bouton au duc de Brécé, vous ne ferez que réclamer ce qui m'est dû... parfaitement... ce qui m'est dû. ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE. L'Anneau d'améthyste, 1899, page 131. — [quelqu'un dont la personne physique est tenue comme servant à l'acquittement d'une dette symbolique] Au figuré : Ø 6. Une quantité de Socrates est née avec moi, d'où peu à peu se détacha le Socrate qui était dû aux magistrats et à la ciguë. PAUL VALÉRY, Eupalinos ou l'Architecte, 1923, page 96. b) [L'objet de la créance est autre chose que de l'argent; en parlant d'une personne] Être tributaire d'une chose dont la morale, l'usage exigent que l'on s'acquitte. a ) [En construction double] Devoir quelque chose à quelqu'un. Vous me devez une explication. La Comtesse. — Vous l'aurez. Nous l'aurons tous (JEAN ANOUILH, La Répétition ou l'Amour puni, 1950, III, page 66 ). Je parlais peu, me réfugiant derrière le prétexte du rapport que je devais d'abord à la Seigneurie (JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes, 1951, page 312) : Ø 7. — Tu sais, dit-il, je te dois des excuses pour hier soir. Je t'ai frappé bien malgré moi, je voulais t'empêcher de me faire une confidence que tu regretterais ensuite et dont tu me tiendrais rigueur, peut-être. JULIEN GREEN, Moïra, 1950, page 147. — Locutions. · Devoir une belle, une fière chandelle à quelqu'un (par allusion au fait d'offrir un cierge en vue d'appeler une bénédiction sur la personne à qui l'on est redevable de quelque chose). Confer chandelle B 2. · Je lui dois bien ça (familier). Il mérite cela pour le bienfait qu'il m'a témoigné. Tu dois bien ça à tes hommes. Tu les fais assez marcher depuis un mois (GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, Les Rois, 1887, page 1293) : Ø 8. L'assassin lui donne la cigarette et la victime dit Je vous en prie c'est la moindre des choses dit l'assassin je vous dois bien ça... JACQUES PRÉVERT, Paroles, Événements, 1946, page 58. ß ) En emploi absolu. Ainsi que dû (confer dû, due). SYNTAXE : a) Libres (le complément est déterminé par un article). Devoir des égards, des excuses, de la gratitude, de la reconnaissance, des remerciements à quelqu'un; je vous dois cet avis, cette justice; le respect dû à sa personne; la justice qui lui est due; l'obéissance due à l'Église, etc. b) De caractère locutionnel (le complément n'est pas déterminé par un article). Devoir compte de quelque chose (en fournir l'état, la raison); je vous dois compte de sa conduite; devoir obéissance, protection, réparation à quelqu'un. — [Par personnification du sujet désignant l'oeuvre ou l'expression de la volonté de personne morales] Être tenu à. La loi doit protection à la veuve et à l'orphelin. — [En ce sens l'objet du verbe peut être de + infinitif] Devoir à quelqu'un de + infinitif. — J'ai cru vous devoir, monsieur, lui répondis-je [au ministre] de vous écouter en silence (BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE, Adolphe, 1816, page 68 ). Remarque : Vouloir est associé à devoir dans la mesure où ce verbe, exprimant une intention délibérée, ne marque pas cependant que l'objet soit matière d'une obligation. Oui, je vais vous aimer, je le veux (je le dois En outre) (PAUL VERLAINE, Œuvres complètes, tome 1, Jadis, 1884, page 327). 2. [Le complément d'objet désigne ce qui motive une obligation à laquelle le sujet est tenu vis-à-vis de quelqu'un ou de quelque chose] Être redevable de quelque chose à quelqu'un ou à quelque chose, tenir quelque chose par son action, initiative, entremise, etc. a) Devoir quelque chose à quelqu'un. a ) [Le sujet désigne une personne ou une collectivité] Il lui doit tout; il veut ne rien devoir à personne. Je t'ai pris au soleil aussi nu qu'un reptile; C'est à moi que tu dois pain, vêtements, asile, Esclave (ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Charles VII chez ses grands Vassaux, 1831, I, 1, page 235 ). Le riche cousin à qui papa devait sa situation organisa une fête pour ses enfants et leurs amis (SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 103) : Ø 9.... Quand j'étais en province au lycée [dit le malade au docteur citoyen] (...) un professeur âgé, blanc, honorable (...) nous enseignait. Nous lui devons plus pour nous avoir donné l'exemple d'une longue et sérieuse vie universitaire que pour nous avoir préparés patiemment au baccalauréat. CHARLES PÉGUY, De la Grippe II, 1900, page 6. — Locution verbale. Devoir la vie à quelqu'un. · Avoir reçu la vie de, être né de quelqu'un. Et tu veux que j'hésite et que je sois avare De mes jours, que je dois aux ombres du Ténare? (JEAN PAPADIAMANTOPOULOS, DIT JEAN MORÉAS, Iphigénie à Aulis, 1903, page 251 ). · Avoir été sauvé par quelqu'un. Da Silva. — Mieux valait mourir que de devoir la vie à cet homme (ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Richard Darlington, 1832, prologue, page 20) : Ø 10. DON FERNANDO. — Qu'est ceci? Rodrigo, seul! Qu'y a-t-il? DON RODRIGO. — Une chute malheureuse, un malheureux échec! Mais tout est malheur, et par-dessus tout que je doive la vie au rival dont je veux la mort. ALBERT CAMUS, Le Chevalier d'Olmedo, 1957, 3e. journée, 8, page 793. SYNTAXE : Devoir son existence à, sa fortune à, le jour à, sa naissance à, son origine à, sa situation à. ß ) [Le sujet désigne une chose] Au figuré. Devoir son nom à, son succès à (quelqu'un ou quelque chose). Qui peut dire ce que le chauvinisme et le militarisme français doivent à Corneille, Béranger, Hugo, Déroulède? (MARCEL AYMÉ, Le Confort intellectuel, 1949, page 19 ). Et cet instinct d'ordre, de mesure, ce refus des extrêmes, que je dois à mon hérédité (ROGER MARTIN DU GARD, Souvenirs autobiographiques, 1955, page LXXX) : Ø 11. L'on sert d'abord une soupe grasse, qui diffère de la nôtre en ce qu'elle a une teinte rougeâtre qu'elle doit au safran dont on la saupoudre pour lui donner du ton. THÉOPHILE GAUTIER, Tra los montes, Voyage en Espagne, 1843, page 23. — Spécialement, à la forme passive. [Le verbe exprime une relation de conséquence à cause] Être dû à. Être causé par, provoqué par : Ø 12. En outre, elles refusent d'avoir des enfants. Leur carence est due à leur éducation, au féminisme, à un égoïsme mal compris. Elle est due aussi aux conditions économiques, à l'instabilité du mariage, à leur déséquilibre nerveux... ALEXIS CARREL, L'Homme cet inconnu, 1935, page 363. b) [L'objet désigne un procès] Être redevable (en bonne ou en mauvaise part). — Devoir à quelqu'un de + infinitif : Ø 13.... le vieux bonhomme [Renan] à qui je dois d'avoir appris beaucoup de choses avec plaisir et facilité. C'était un professeur de génie; il avait le don de communiquer son savoir avec la simplicité d'une source qui se laisse couler. JULIEN GREEN, Journal, 1949, page 302. — Devoir à quelque chose de + infinitif. Mais ils devaient à leur origine parisienne (...) de partager avec leurs concitoyens le préjugé, presque la vénération du Théâtre (PAUL VERLAINE, Œuvres complètes, tome 4, Louise Leclercq, 1886, page 95 ). C'est à ma mauvaise chance que je dois d'en être là (ALBERT CAMUS, La Dévotion à la croix, 1953, 1re. journée, page 537) : Ø 14.... ce sont les maîtres que j'ai fréquentés aux Chartes qui m'ont révélé ce que sont, chez un chercheur scrupuleux, la conscience scientifique et les exigences de l'honneur professionnel. (...). Un tel contact m'a pour toujours marqué. Je dois à leur exemple de m'être perpétuellement défié des besognes impromptues. ROGER MARTIN DU GARD, Souvenirs autobiographiques, 1955, page LI. B.— Emploi pronominal. 1. Pronominal réfléchi. a) Réfléchi direct. Être tenu de se dévouer à (quelqu'un ou quelque chose). Vous vous devez à Camille qui vous adore (HONORÉ DE BALZAC, Béatrix, 1839-45, page 185 ). Désormais les Français ne s'appartiennent plus; ils se doivent à la révolution qui va changer le monde (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, L'Étui de nacre, L'Aube, 1892, page 250) : Ø 15.... la France de demain sera au premier rang des nations qui sont grandes et qui se doivent d'autant plus au droit et à la liberté de tous. CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1956, page 516. SYNTAXE : Se devoir aux siens, à sa famille, à sa patrie; se devoir à son travail, à sa tâche. b) Réfléchi indirect. a ) [Le complément d'objet (substantif ou pronom), construit directement, désigne ce que l'on est tenu de faire sien en vertu de la morale ou de l'usage] Le roi ne manqua certes à rien de ce qu'il se devait à lui-même (HONORÉ DE BALZAC, Sur Catherine de Médicis, Indroduction, 1843, page 40 ). Les noirs ne plaisent jamais aux blanches, et, quoique ma fille ne soit pas créole, elle a les principes qu'elle se doit (AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Monsieur Sylvestre, 1866, page 54) : Ø 16. J'ai restitué la visite par billet, sans demander s'il y était, mais en personne; c'est un mezzo termine qui accorde ce qu'on doit avec ce qu'on se doit. JOSEPH, COMTE DE MAISTRE, Correspondance, 1811-14, page 3. ß ) [Pour désigner ce que l'on se croit tenu d'accomplir en vertu de la morale ou de l'usage] — Se devoir + de + infinitif. Il [l'Opéra] se doit à lui-même d'étendre et de varier un répertoire lamentablement insignifiant (PIERRE LALO, La Musique (1898-1899), 1899, page 304 ). On veut que je sois l'ennemi de Claudel. Qu'il se doive d'être le mien, ce n'est pas du tout la même chose (ANDRÉ GIDE, Ainsi soit-il, ou Les Jeux sont faits, 1951, page 1223) : Ø 17. Alors, (...) songeant qu'il se devait de prendre seul désormais le soin de ses habits, dont il s'était remis jusqu'à ce jour à madame Bergeret, il alla droit chez le savetier. ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Mannequin d'osier, 1897, page 129. 2. Pronominal réciproque indirect. Être tenu mutuellement à (quelque chose) (en parlant de deux ou plusieurs personnes). Les époux se doivent assistance et fidélité. Mon Dieu! Je ne dis pas, je ne me fais pas meilleur qu'un autre. Mais on se doit des honnêtetés entre camarades, quand on n'est pas des sauvages, et un petit verre par-ci par-là, ça ne fait de tort à personne (LÉON BLOY, La Femme pauvre, 1897, page 27) : Ø 18. Les hommes (...) sont tous, les uns à l'égard des autres, dans un état de société mutuelle, qui met, entre eux tous, des rapports de service, d'affection, de dépendance : unique raison, non seulement de l'assistance réciproque, mais même des signes extérieurs d'honnêteté et de bienveillance que les hommes se doivent les uns aux autres dans le commerce de la vie. LOUIS-GABRIEL A. DE BONALD, Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules ténèbres de la raison, tome 2, 1802, page 67. 3. Pronominal passif. [Le sujet est un pronom neutre ou le mot chose avec un sens équivalent] Être dû. C'est une chose qui se doit; ce qui se doit. Comme il se doit. Comme il convient, comme il le faut. Comme il se doit dans la bonne société française, les hommes parlaient entre eux (LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936, page 411 ). Mes amitiés sont demeurées aussi chastes qu'il se devait (ANDRÉ GIDE, Ainsi soit-il, ou Les Jeux sont faits, 1951, page 1242 ). Familier. Comme cela devait arriver. — Ça se doit (familier). C'est une chose due (pour respecter les convenances). Et ça coûte pas beaucoup, les grand'mercis, et ça montre qu'on est bien élevé, et puis ça se doit (JEAN GIONO, Regain, 1930, page 210) : Ø 19. Ce bain [à Mayence] m'avait rendu faible, et je sentais toutes mes fatigues, sans compter les plus atroces douleurs, que j'ai décrites à Nacquart-Esculape, et qui m'ont fait revenir dare dare à Paris, ne voulant être tué que de sa main. Cela se doit. HONORÉ DE BALZAC, Lettres à l'Étrangère, tome 2, 1850, page 244. — Ça ne se doit pas (familier). Cela ne se fait pas. Les maires de Couches, de Cerneux et de Soulanges nous ont envoyé leurs pauvres, dit Groison, qui avait vérifié les certificats, ça ne se devait pas (HONORÉ DE BALZAC, Les Paysans, 1850, page 354) : Ø 20.... elle [ma grand'tante] qui brouillée depuis des années avec une nièce à qui elle ne parlait jamais ne modifia pas pour cela le testament où elle lui laissait toute sa fortune, parce que c'était sa plus proche parente et que cela « se devait ». MARCEL PROUST, Du Côté de chez Swann, 1913, page 93. II.— Devoir, auxiliaire de mode. Devoir + infinitif, périphrase verbale de mode ou de temps. A.— Devoir + infinitif a une valeur modale; devoir explicite une nécessité plus ou moins pressante à laquelle sont soumis et l'agent d'un procès et le procès lui-même (à la différence de falloir, impersonnel, dont la modalité n'affecte que le procès). 1. La modalité affecte l'agent (explicite ou implicite) du procès; elle définit sa situation, son état, par rapport à l'action exprimée par l'infinitif; devoir traduit ainsi. a) une nécessité inéluctable à laquelle le sujet est soumis, indépendamment de sa volonté, en vertu de l'ordre des choses ou de la pression des circonstances. Tout doit sur terre mourir un jour. Synonymes : être dans la nécessité de, être obligé de, être contraint à, en être réduit à; il faut (que). En continuant tout droit sa descente, elle devait nécessairement rejoindre la route de Dombasles, presque parallèle à celle qu'elle venait de quitter (GEORGES BERNANOS, Un Mauvais rêve, 1948, page 1013 ). Le coeur lui battait si fort qu'il dut s'arrêter pour reprendre haleine (JULIEN GREEN, Moïra, 1950, page 247) : Ø 21.... on prit l'habitude, (...), de se sacrifier pour quelque chose dont on ne savait rien, sinon qu'il fallait mourir pour qu'elle soit. Jusque-là, ceux qui devaient mourir s'en remettaient à Dieu contre la justice des hommes. ALBERT CAMUS, L'Homme révolté, 1951, page 207. · Locution usuelle. Cela (ça) devait arriver; cela (ça) devait finir comme cela (ça). C'était inéluctable, inévitable. — [l'agent est implicite] Un chemin dut être frayé -› on dut frayer un chemin. Remarque : Il a dû partir ayant d'autre part le sens de « il est vraisemblable qu'il est parti » (confer infra I A 2), on recommande, pour prévenir une ambiguïté éventuelle, d'utiliser être obligé de (il fut obligé de partir) quand une nécessité est en cause; la restriction ne porte que sur l'emploi du passé composé. SYNTAXE : Devoir forcément, immanquablement, inévitablement, infailliblement, nécessairement (+ infinitif). b) une obligation, non nécessairement contraignante, à laquelle le sujet est et se sent soumis en vertu d'un principe moral ou d'une règle tirée de l'expérience. a ) À la forme active. [L'agent est explicite] Les enfants doivent obéir à leurs parents; les choses qu'on doit savoir. « Fais ce que tu veux, tu es assez grand pour savoir ce que tu dois faire » (MARCEL PROUST, Le Côté de Guermantes 2, 1921, page 347 ). La Soeur Angélique. — Les hommes qui nous persécutent doivent être l'objet spécial de notre tendresse et de nos prières (HENRI DE MONTHERLANT, Port-Royal, 1954, page 1040) : Ø 22. «... En attendant, aussi longtemps que mon vote n'aura pas réussi à chasser du pouvoir ceux qui, jusque-là, y représentent la volonté du plus grand nombre, (...), mon devoir est simple. Et indiscutable. Je suis engagé par le pacte social. Je dois plier. Je dois obéir. » ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, page 532. Ø 23.... une dame « comme il faut » ne devait ni se décolleter abondamment, ni porter des jupes courtes, ni teindre ses cheveux, ni les couper, ni se maquiller, (...) si elle transgressait ces règles, elle avait mauvais genre. SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 82. Remarque : En construction littéraire archaïsante, le pronom réfléchi peut précéder l'auxiliaire Qu'est-ce que vous m'enseignez? Que chacun pour son compte se doit tirer d'affaire! (MAURICE BARRÈS, Déracinés, 1897, page 478). — Locution proverbiale. Fais ce que dois (advienne que pourra). Agis comme tu dois le faire, en conscience : Ø 24. Heurtebise ne t'écarte Plus de mon âme, j'accepte; Fais ce que dois, beauté. JEAN COCTEAU, Poèmes, 1916-23, page 220. ß ) À la forme passive. [L'agent est implicite] La vérité doit être cherchée -› on doit chercher la vérité. Les tensions entre quantités désirées et quantités effectives, qui sont, en fin de compte, les moteurs de la croissance et du progrès, ne peuvent ni ne doivent être éliminées mais aménagées (FRANÇOIS PERROUX, L'Économie du XXe. siècle. 1964, page 552 ). ? ) À la forme négative. [Pour exprimer une défense, une interdiction] Synonymes : ne pas avoir le droit, la permission de. Elle ne devait recevoir aucune visite : si la fièvre ne tombait pas, elle était perdue (SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 357) : Ø 25.... à mon approche, ils [mes parents] baissaient la voix ou se taisaient. Il y avait donc des choses que j'aurais pu comprendre et que je ne devais pas savoir : lesquelles? Pourquoi me les cachait-on? SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958 page 23. · [Ou pour exprimer une obligation, à la forme négative -› je ne dois pas + infinitif] Non, ma soeur, je crois que je ne dois pas le dire. C'est si vilain, de dénoncer (HENRI DE MONTHERLANT, Port-Royal, 1954, page 985 ). — Association paradigmatique. En ce sens, devoir est associé à pouvoir dans la mesure où ce verbe traduit. · soit une puissance, c'est-à-dire la disposition de moyens propres à réaliser la chose que le sujet doit accomplir. Pouvoir et devoir. — Je manque de courage, gémit-il. Je devrais te parler, mais je ne peux pas (JULIEN GREEN, Moïra, 1950, page 82 ). · soit une éventualité non soumise nécessairement à une obligation. Pouvoir ou devoir. En préparant la guerre, en réarmant, elle [l'avarice des nations] touche pour une oeuvre de mort, aux procédés mêmes qu'elle pourrait et devrait employer à l'oeuvre de vie (FRANÇOIS PERROUX, L'Économie du XXe. siècle. 1964, page 355 ). c) une intention délibérée du sujet; celui-ci affecte son projet d'un caractère accusé de certitude. Synonymes : penser, avoir l'intention de; c'est dans son intention (que) de. — À l'actif. [L'agent est explicite] La moisson doit commencer bientôt -› on doit bientôt commencer la moisson. Vous feriez peut-être mieux de me laisser me coucher maintenant Je dois me lever tôt demain pour les enfants (JEAN ANOUILH, La Répétition ou l'Amour puni, 1950, IV, page 101 ). Cette semaine, je dois aller à Cape Cod chez des amis, j'ai promis (SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, page 309) : Ø 26. TELLO. — Nous avons trop attendu. Il est dangereux maintenant de prendre la route. DON ALONSO. — Non, Tello. Je dois partir malgré l'heure. Je veux épargner toute inquiétude à mes parents. ALBERT CAMUS, Le Chevalier d'Olmedo, 1957, 3e. journée, 10, page 796. Remarque : 1. L'auxiliaire peut dans ce cas être synonyme de il est convenu que, et se rapproche d'un ordre. J'ai fini par m'adresser à l'association des hôtels. Je dois les rappeler un peu plus tard (Simone de Beauvoir, opere citato, page 313). 2. En ce sens, dans le discours direct, devoir ne s'emploie qu'au présent (je dois y aller) ou à l'imparfait (je devais y aller); dans le discours indirect le verbe s'emploie à l'imparfait (il devait y aller). a) [Style indirect] Il travaillait à ce motet qu'on devait jouer à la fête de Mme d'Épinay le mois suivant (Jean Guéhenno, Jean-Jacques, Roman et vérité, 1950, page 200). Je croyais que vous deviez travailler à votre livre ce matin (Albert Camus, Possédés, 1959, 1re partie, 1er. r tableau, page 927). b) [Style indirect libre] Anne ne devait pas arriver avant une semaine. Je profitais de ces derniers jours de vraies vacances (Françoise Sagan, Bonjour tristesse, 1954, page 22). d) une convenance de caractère social, de nécessité pratique, à laquelle le sujet se sent soumis. Vous devriez dormir, à l'heure qu'il est; vous auriez dû y penser plus tôt. Il [Berryer] m'a dit que je devais l'aller trouver à la campagne quelquefois; je l'aime beaucoup (EUGÈNE DELACROIX, Journal, 1853, page 140 ). a ) [avec une nuance de conseil, de suggestion, d'invitation; souvent au conditionnel présent] C'est vrai qu'elle a l'air triste. Vous devriez l'inviter à danser (SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954page 54 ). ß ) [avec une nuance de reproche, de regret; au consitionnel passé] Vous auriez dû me dire que je devais les mettre en ordre (ANDRÉ GIDE, Ainsi soit-il, ou Les Jeux sont faits, 1951, page 1208 ). Remarque : On rencontre l'emploi classique de l'imparfait de l'indicatif pour le conditionnel passé. Argante. — Il devait donc aller aussitôt protester de violence chez un notaire. Scapin. — C'est ce qu'il n'a pas voulu faire. Argante. — Cela m'aurait donné plus de facilité à rompre ce mariage (PAUL CLAUDEL, Le Ravissement de Scapin, 1952, page 1324). ? ) [Dans des formules locutionnelles de politesse (affirmation atténuée : je dois avouer = j'avoue (que)] Je dois dire, je dois reconnaître (que), j'en dois convenir. « Je dois dire que les voyages, ça me semble un mythe », dit Paule (SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, page 15) : Ø 27. L'ABBÉ. — (...). Je dois dire que je viens de trouver Sevrais très compréhensif. Je redoutais un éclat. Comme il est agréable de se trouver devant quelqu'un d'intelligent! Alors les choses s'arrangent toujours. HENRI DE MONTHERLANT, La Ville dont le prince est un enfant, 1951, page 919. e) une capacité, logiquement ou naturellement prévisible, que l'on prête au sujet. Synonymes : être en état de, être en mesure de, avoir la capacité de : Ø 28. Un observateur initié aux secrets des discordes civiles qui agitaient alors la France aurait pu facilement reconnaître le petit nombre de citoyens sur la fidélité desquels la République devait compter dans cette troupe... HONORÉ DE BALZAC, Les Chouans, 1829, page 6. 2. La modalité affecte le procès; par le moyen de cette périphrase l'auteur du propos traduit l'aspect sous lequel la réalisation d'un procès est conçue par lui. a) [La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect d'une nécessité ou d'une obligation inhérente] Ça devait (doit, devra, devrait) arriver un jour ou l'autre. — Nous nous sommes disputés et je l'ai poussé à bout. — Ça devait finir comme ça! (SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954 page 485 ). Au fond la meilleure garantie qu'une chose doive arriver, c'est qu'elle nous apparaisse vitalement nécessaire (PIERRE TEILHARD DE CHARDIN, Le Phénomène humain, 1955, page 259) : Ø 29. — Fichu malagauche, dit Croquebol, comment diable qu't'as fait ton compte? — Eh! Je l'sais t'y! gémit l'infortuné. Ah misère! pourriture de sort; ça d'vait finir comme ça, vois-tu, nous avions eu trop de malheur! GEORGES MOINAUX, DIT GEORGES COURTELINE, Le Train de 8 h 47, 1888, 2e. partie, 8, page 192. Remarque : 1. Cette modalité est fréquemment traduite au moyen de la tournure impersonnelle il doit. Il doit se passer quelque chose; il devait bien y avoir quelqu'un qui le savait. Ou se prosterner le front contre la dalle, comme il se doit faire au moment de l'élévation du sacré corps de Jésus-Christ (FRANCE, Puits ste Claire, 1895, page 131). Sur le balcon, je trouvai une porte vitrée abritée par un store jaune : ça devait être là (SIMONE DE BEAUVOIR, Mandarins, 1954, page 303). 2. En ce sens le caractère de nécessité ou d'obligation peut être souligné par un adverbe (confer supra I A 1). En peignant le recteur tel qu'il a dû certainement être (FÉLICITÉ-ROBERT DE LAMENNAIS, Lettres Cottu, 1830, page 217). b) La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect d'une éventualité hypothétique. a ) après la conjonction si. Si cela doit (devait) se produire un jour. Je les en ferai sortir, même si je devais mettre le feu (ALBERT CAMUS, Les Esprits, 1953, page 465 ). — ou après quoique, bien que, quelque... que [Pour exprimer le futur au subjonctif] : Ø 30. LA SOEUR ANGÉLIQUE. — Quelque traitement que nous devions souffrir par la puissance séculière, ce nous sera une consolation, Monseigneur, si notre sang ne retombe pas sur vous. HENRI DE MONTHERLANT, Port-Royal, 1954, page 1028. ß ) après la conjonction quand, quand même, quand bien même suivie du conditionnel. Quand je devrais y laisser des plumes. « Quand je devrais m'user les doigts jusqu'aux jointures à essuyer les plats... » (JULIEN GREEN, Moïra, 1950, page 185 ). Je vais enlever ce baudrier quand même je devrais grelotter (ALBERT CAMUS, La Dévotion à la croix, 1953, page 583 ). ? ) En particulier, littéraire. [Au subjonctif imparfait avec l'inversion du sujet] Dussé-je, dût-il, dussent... Synonyme : quand (bien) (même) (suivi du conditionnel). Dussé-je en mourir : Ø 31. Oh! dussé-je, coupable aussi moi d'innocence, Reprendre l'habitude austère de l'absence, Dût se refermer l'âpre et morne isolement, Dussent les cieux, que l'aube a blanchis un moment, Redevenir sur moi dans l'ombre inexorables, Que du moins un ami vous reste, ô misérables! VICTOR HUGO, L'Année terrible, 1872, page 329. Remarque : Le tour littéraire dût + infinitif ne se rencontre guère que dans la langue écrite avec une valeur oratoire ou, parfois, comme recours plaisant à un archaïsme. Dût rugir de honte le canon, Te voilà, nain immonde [Napoléon III] , accroupi sur ce nom [Napoléon Ier. ] ! (IDEM, Les Châtiments, 1853, page 291). c) La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect d'une éventualité qui s'est trouvée effectivement réalisée. C'était l'homme le plus grand par l'intelligence que j'eusse connu et que je dusse connaître durant ma longue vie (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, La Vie en fleur, 1922, page 927 ). Remarque : Dans cette phrase la relation entre pouvoir implicite (que j'eusse connu = que j'aie pu connaître) et un devoir marquant une obligation se retrouve en A 1. d) La réalisation du procès est envisagée sous l'aspect de la probabilité; elle est présentée comme vraisemblable soit en raison d'indices sûrs, soit en vertu d'une opinion raisonnable fondée sur l'expérience. Les choses ont dû se passer comme ça; je dois m'être trompé; ça doit venir du foie. Dora, (...). — Assieds-toi, Stepan. Tu dois être fatigué, après ce long voyage (ALBERT CAMUS, Les Justes, 1950, page 309 ). Ce sont des noyaux instables qui devaient vraisemblablement exister au moment des bouleversements cosmiques accompagnant la formation du système solaire (BERTRAND GOLDSCHMIDT, L'Aventure atomique, ses aspects politiques et techniques, 1962, page 20) : Ø 32. Les rêves dans Aurélia doivent être rarement identiques à ceux dont le sommeil de Nerval était rempli. Ils m'apparaissent presque toujours comme l'interprétation de ces rêves par la rêverie, la méditation et l'art. MARIE-JEANNE DURRY, Gérard de Nerval et le mythe, 1956, page 143. — En particulier. · [Pour exprimer une déduction] Mon arrière-grand-père, (...) dut léguer à ses fils une honnête fortune puisque le cadet put vivre de ses rentes (SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 34) : Ø 33. Ah! ça, elle est donc bien riche, mon garçon? dit le vieux vigneron en se rapprochant de son fils d'un air câlin; car si tu épouses une fille de l'Houmeau, elle doit en avoir des mille et des cent! HONORÉ DE BALZAC, Les Illusions perdues, 1843, page 126. · [Pour exprimer une estimation approximative] Je devais avoir à peu près quatorze ans lorsque je fis la connaissance de l'« horreur » (ANDRÉ GIDE, Ainsi soit-il, ou Les Jeux sont faits, 1951, page 1163 ). Les cigales chantaient. Elles devaient être des milliers (FRANÇOISE SAGAN, Bonjour tristesse, 1954, page 17) : Ø 34. Si certaines mesures (encore indirectes, il est vrai) sont admises comme correctes, c'est par millions peut-être que doivent s'estimer les poids moléculaires de certaines substances protéiques naturelles, telles que les « virus »... PIERRE TEILHARD DE CHARDIN, Le Phénomène humain, 1955, page 83. Remarque : Noter l'équivalence entre je dois m'être trompé et j'ai dû me tromper. — En particulier. [Formule de politesse, pour atténuer la brutalité d'une affirmation désagréable] Vous devez vous tromper; vous devez faire erreur. — Il doit y avoir une erreur dans vos calculs (SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, page 231 ). B.— [Devoir + infinitif a une valeur temporelle (et modale)] 1. [Pour exprimer la relation historique de faits passés (discours d'où l'emploi du futur est exclu)] — La réalisation d'un procès ayant été effective (et pouvant comme telle être exprimée simplement par un verbe à un temps personnel), la périphrase marque. a) que le procès a eu lieu postérieurement à un point du passé pris comme repère. Le ministère obtint la confiance à une voix de majorité. « Encore, devait me dire plus tard M. Herriot (...) je ne suis pas très sûr qu'il l'ait eue » (CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1954, page 25 ). b) que la réalisation du procès était soumise à une sorte de nécessité-fatalité. Clérambard. — En 1182, naissait à Assise celui qui devait être saint François (MARCEL AYMÉ, Clérambard, 1950, I, 10, page 62) : Ø 35. Jésus paraît être resté étranger à ces raffinements de théologie qui devaient bientôt remplir le monde de disputes stériles. ERNEST RENAN, Histoire des origines du Christianisme, Vie de Jésus, 1863, page 239. Remarque : 1. Comparer qui remplirent bientôt : énonciation pure et simple du fait; qui rempliraient bientôt; qui allaient bientôt remplir : la périphrase verbale aller + infinitif ne marque que la postériorité prochaine du procès; devoir ajoute à l'éventuel la nuance que ces disputes étaient inéluctables. 2. La périphrase devoir + infinitif reste de mise dans les phrases où la relation est faite au présent historique. Cette scarlatine qui devait, peu de jours après, l'emporter (ANDRÉ GIDE, Ainsi soit-il, 1951, page 1209). 2. [Pour exprimer le futur proche ou immédiat, notamment avec les auxiliaire sembler, paraître] Il doit venir demain, d'un moment à l'autre. La nuit semblait devoir ne pas finir (JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes, 1951, page 232 ). Il n'est pas prouvé que le monde doive devenir américain ou russe (SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, page 35) : Ø 36. Ce nom de révolution auquel l'aventure hitlérienne ne peut prétendre, le communisme russe l'a mérité, et quoiqu'il ne le mérite apparemment plus, prétend devoir le mériter un jour, et à jamais. ALBERT CAMUS, L'Homme révolté, 1951, page 232. Remarque : Dans ces cas, la valeur temporelle est presque toujours renforcée par un adverbe de temps : bientôt, demain, incessamment, d'un jour à l'autre, prochainement, etc. — En particulier. [Au conditionnel, avec idée de probabilité et de nécessité] : Ø 37. — (...) Monsieur Prial, Soubrier sort de chez moi à l'instant Je l'ai envoyé se débarbouiller à la fontaine. Il devrait être rentré en étude dans huit, dix minutes au plus tard. Vous noterez exactement, je vous prie, l'heure à laquelle il est rentré. Merci. HENRI DE MONTHERLANT, La Ville dont le prince est un enfant, 1951, I, 2, page 863. 3. [Dans l'énoncé d'une vérité générale] : Ø 38.... devenir consiste plutôt à devoir être l'autre, (...) à couver l'être futur; promesse ou espoir, être et non-être à la fois, le devenir est un être en instance d'avenir. VLADIMIR JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, page 27.