Dictionnaire en ligne: DOUCEMENT, adverbe. D'une manière douce*. A.— [Correspond à doux I A] 1. D'une manière douce, délicate, agréable aux sens. a) Domaine du goût. Tout ça [le mariage de Daniel] pour en venir là, au fauteuil d'osier, au goût doucement pourri du marc dans sa bouche (JEAN-PAUL SARTRE, Le Sursis, 1945, page 107 ). b) Domaine de l'odorat. Pour plancher, j'ai l'herbe fine, fleurie d'une minuscule variété d'iris : c'est un beau tapis violet doucement odorant (JULIEN VIAUD, DIT PIERRE LOTI, Au Maroc, 1889, page 19 ). Le voyageur solitaire ne perçut d'abord des ténèbres qu'une odeur plus violente et plus âcre, parfois doucement miellée, de la forêt endormie (GEORGES BERNANOS, Une Nuit, 1928, page 18 ). c) Domaine de la vue. a ) [En parlant d'une couleur] La femme dans des tons doucement roses, violets et blancs (EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1860, page 818) : Ø 1. Coucher de soleil : L'oeil se caressait « à le regarder, c'était une couleur si douce, si suave! C'était un mélange de lumière, d'opale et d'azur, tout cela mêlé et fondu si doucement que cela formait une nuance d'un charme inexprimable » : ce devait être là comme le disait si bien Mme. de Caud, la couleur de l'Olimpe. CHARLES-JULIEN LIOULT DE CHÊNEDOLLÉ, Journal, 1817, page 87. ß ) [En parlant d'une forme] : Ø 2. Mon berceau ne fut qu'un sourire, et mon père et ma mère et les montagnes. Et, sans doute, parce que je fus ainsi enveloppé de ces lignes doucement incurvées qui font les lèvres joyeuses pareilles aux Pyrénées ensoleillées, tout au long de ma vie ce qui m'a le plus impressionné dans les physionomies, c'est le sourire. FRANCIS JAMMES, Mémoires, 1922, page 147. — En particulier. [En parlant d'un élément du relief] Le pays, doucement vallonné, semble un parc de la campagne anglaise (ANDRÉ GIDE, Retour du Tchad, 1928, page 950 ). d) Domaine du toucher. D'une main machinale, Laure (...) lui caressait doucement les cheveux (HENRI PETIOT, DIT DANIEL-ROPS, Mort, où est ta victoire?, 1934, page 408 ). e) Domaine de l'ouïe. Chanter, parler doucement. On frappa doucement à la porte (STÉPHANIE FÉLICITÉ DUCREST DE SAINT-AUBIN, COMTESSE DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, tome 1, 1795, page 179 ). On me dit : « Il [M. Lavisse] n'est pas méchant C'est un bon homme. » On ajoute doucement : « C'est un faible » (CHARLES PÉGUY, L'Argent, 1913, page 1268 ). Songez à son application [du tourneur] (...) à marteler sa cloche ou sa cuve de bronze, tout ce qui est doucement et mélodieusement sonore (ÉLIE FAURE, L'Esprit des formes, 1927, page 67 ). 2. Par extension. a) Avec des mouvements doux, sans brusquerie ni à coups. Ce cheval galope fort doucement (Dictionnaire de l'Académie Française 1798); voiture qui part doucement (DICTIONNAIRE ALPHABÉTIQUE ET ANALOGIQUE DE LA LANGUE FRANÇAISE (PAUL ROBERT) 1955). b) D'une façon discrète, légère. Et les branches étaient doucement frémissantes (EDMOND ROSTAND, Les Musardises, 1890, page 55 ). Par-dessus le mur, les lilas aux rameaux touffus balançaient doucement, imperceptiblement, les grappes desséchées de leurs fleurs (FRANCIS CARCO, À Voix basse, 1938, page 40) : Ø 3. Je n'ai pas de conseil à vous donner, ma petite Lucie, disait Mme. Troussereau; mais avec votre façon de ranger votre armoire, je me demande comment vous pouvez vous y retrouver. Maman blêmissait doucement car elle avait, juste, toutes sortes d'idées héréditaires sur la façon de ranger les armoires. GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Le Notaire du Havre, 1933, page 113. 3. De façon progressive. (Quasi-)synonyme : lentement. Je fais tout doucement ma petite maison, Et j'amasse en été pour l'arrière-saison (JEAN-FRANÇOIS COLLIN D'HARLEVILLE, Le Vieux célibataire, 1792, II, 2, page 33 ). Mon coeur, ardent et lourd, est cette poire Qui mûrit doucement sa pelure au soleil (ANNA DE NOAILLES, Le Coeur innombrable, 1901, page 18 ). Elle commence tout doucement à s'accoutumer à Disraëli et les traite, lui et sa femme, avec bonté (ÉMILE HERZOG, DIT ANDRÉ MAUROIS, La Vie de Disraëli, 1927, page 218 ). — Domaine culin. et techniques [En parlant d'un aliment] Cuire* doucement. Au fond du chaudron de fer, un paleron de jeune porc frais gratinait doucement avec un morceau d'échinée (GERMAINE GUÈVREMONT, Le Survenant, 1945, page 102 ). 4. Familier. (Aller) (tout) doucement. Médiocrement, assez mal, couçi-couça. Les affaires vont doucement : Ø 4.... nous vivons, dit-il, tout doucement. J'ai bien de petits agrémens, je prends tout le bois qu'il me faut dans la forêt; j'ai une bonne basse-cour, mon potager me donne des légumes en quantité, et comme le maître du château ne vient jamais dans sa terre, le père Schmitt est regardé comme le seigneur; il n'y a que l'argent qui manque un peu pour payer exactement le prix de la ferme; ce diable d'argent,... GABRIEL SÉNAC DE MEILHAN, L'Émigré, 1797, page 1643. B.— [Correspond à doux I B 1] Au figuré. D'une manière agréable, calme, tranquille. Dormir, vivre doucement : Ø 5.... mon coeur ne s'arrête pas à désirer une froide reconnaissance, et je serais malheureux si je n'espérais pas, qu'elle [la Comtesse] regrette un peu les momens que nous avons si doucement passés ensemble sans trouble et sans crainte. Je suis prêt à m'abandonner au désespoir, quand j'envisage l'avenir. GABRIEL SÉNAC DE MEILHAN, L'Émigré, 1797 page 1712. C.— [Correspond à doux I B 2] 1. [Correspond à doux I B 2 a] a) D'une manière douce, sans brusquerie, ni violence; avec des gestes mesurés, des manières délicates. Prendre, pousser doucement. Jésus aussi était un simple berger... Pasteur des cent brebis qui sont demeurées dans le bercail, pasteur de la brebis égarée... La prend doucement et la rapporte lui-même sur ses épaules (CHARLES PÉGUY, Le Porche du Mystère de la deuxième vertu, 1911, page 208 ). b) D'une humeur égale, avec modération et bienveillance envers autrui. Parler doucement. — Buvez un verre! proposa-t-il [Pascin] doucement, gentiment, de sa voix nasillarde (FRANCIS CARCO, Montmartre à vingt ans, 1938, page 27 ). — Par analogie. [En parlant d'un objet personnifié] Le vieux landau se plaint, mais doucement, poliment, sans rien perdre de sa dignité (VALÉRY LARBAUD, Enfantines, 1918, page 136 ). c) Sans heurter, sans faire de peine. Mon père lui reprochoit doucement [à Balahac] de gâter par de tels soins la première éducation qu'il m'avoit donnée (STÉPHANIE FÉLICITÉ DUCREST DE SAINT-AUBIN, COMTESSE DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, tome 3, 1795, page 232 ). Il faut me traiter doucement; si vous êtes malade, je le suis aussi; il faut avoir soin l'un de l'autre (ALFRED DE MUSSET, La Confesssion d'un enfant du siècle, 1836, page 257 ). L'on est grondé doucement d'avoir oublié d'anciens amis (EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Charles Demailly, 1860, page 77 ). — En exclamation. [Pour inviter au calme quelqu'un de violent] (Quasi-)synonyme : tout doux (Confer doux II A 1 c). Puis la peste viendra, puis nous périrons tous. La peste! dit Guillot : doucement, calmez-vous, Je ne vois point cela, compère (JEAN-PIERRE CLARIS DE FLORIAN, Fables, Les Deux paysans et le nuage, 1792, page 159) : Ø 6. VICTOR (...) d'un ton menaçant. — Et toi qui te charge d'un pareil message, qui que tu sois, tremble de l'avoir outragé. FORBAN, avec le plus grand sang-froid. — Doucement, jeune homme, ne t'y fie pas; tu ne serois pas le plus fort. Adieu : fais ma commission, ou tu es perdu toi même. RENÉ-CHARLES GUILBERT DE PIXÉRÉCOURT, Victor ou l'Enfant de la forêt, 1798, I, 6, page 15. 2. Au figuré. [Correspond à doux I B c] D'une manière qui touche agréablement l'esprit, le coeur, l'imagination. a) Domaine affectif. J'aime mieux Mme. de La Châtre que François. Nous nous convenons davantage, mais je vivrais très doucement avec tous les deux (GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1794, page 274 ). C'était une de ces belles soirées de mai, d'autant plus exquises qu'elles sont, là, plus rares, — un de ces longs crépuscules du Nord appelant les rêveries vagues et doucement tristes (JULIEN VIAUD, DIT PIERRE LOTI, Journal intime, tome 1, 1878-1881, page 77 ). b) Domaine amoureux. (Quasi-)synonyme : tendrement. Répondez doucement à cette lettre : qu'à Francfort je trouve un mot qui me soutienne, qui me dise que vous me voyez arriver sans peine et que vous me recevrez avec amitié (GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1794 page 198 ). Et madame de Fontenay, sans jalousie vive, pensait : Il [Pierre] nous aime Marie et moi si doucement, qu'il ne peut pas choisir entre nous deux (ANNA DE NOAILLES, La Nouvelle espérance, 1903, page 158 ). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 5 968. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 5 187, b) 9 002; XXe. siècle : a) 10 319, b) 9 925.
