Dictionnaire en ligne: DÉPASSER, verbe transitif.

Dictionnaire en ligne: DÉPASSER, verbe transitif. I.— Vieux. Enlever une chose de l'endroit où elle était passée. Dépasser un ruban, un lacet, du cordonnet (Dictionnaire de l'Académie française. 1835, 1878). Vivement je dépassai la bandoulière de ma harpe de dessus mon épaule (HECTOR MALOT, Sans famille, 1878, page 358 ). — MARINE. Dépasser un câble, une manoeuvre. Dépasser les mâts (de hune, de perroquet). Les amener sur le pont (Confer J. Galopin, Cours de langage maritime, 1925, page 78). II.— Usuel. Aller au-delà de quelque chose ou de quelqu'un. A.— [Avec l'idée de mouvement] 1. Laisser derrière soi, après l'avoir rejoint, quelque chose ou quelqu'un qui se déplace dans la même direction. Pourquoi Achille dépasse-t-il la tortue (HENRI BERGSON, Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889, page 93 ). Une auto essayait de dépasser une voiture à cheval (LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, 1938, page 118 ). · Emploi pronominal. Une discipline sévère régularisait le trafic énorme. Les voitures ne se dépassaient pas (PIERRE HAMP, Vin de Champagne, 1909, page 209 ). · emploi absolu. Il est interdit de dépasser sur ce pont (Petit Robert. ). — Au figuré. Aller au-delà de quelque chose ou de quelqu'un, le surpasser; prendre le pas, l'emporter sur quelque chose ou quelqu'un. Dépasser quelqu'un en intelligence, en violence. On a été préoccupé [à Bordeaux] de cette idée de dépasser Paris en grandeur (THÉOPHILE GAUTIER, Tra los montes, 1843, page 9 ). Saint-Cyran ne dépasse pas les grands chefs spirituels de son époque (...) qui (...) l'avaient devancé (ABBÉ HENRI BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, tome 4, 1920, page 421) : Ø 1. Ce culte de la vitesse détermine un vocabulaire sportif. Sur notre route abstraite une immobilité vertigineuse n'oblige personne à dépasser personne. Or, il convient aujourd'hui de dire qu'on dépasse ou qu'on est dépassé. JEAN COCTEAU, Poésie critique 2, Monologues, 1960, page 161. 2. Laisser derrière soi, après l'avoir atteint, quelque chose qui reste fixe. Dépasser le cap, le but. À quatre heures du matin, nous vîmes Ouessant, que nous avions dépassé dans la nuit (EMMANUEL DIEUDONNÉ, COMTE DE LAS CASES, Le Mémorial de Sainte-Hélène, tome 1, 1823, page 33 ). Personne n'avait le moindre prétexte de dépasser cette porte (ALPHONSE KARR, Sous les tilleuls, 1832, page 239 ). — Au figuré. a) PHILOSOPHIE. Surmonter une difficulté, une contradiction en se plaçant à un niveau où les oppositions s'effacent. « Le mouvement vers l'unité » (...) se donna pour doctrine de dépasser ensemble le gaullisme et la collaboration (JEAN-GEORGES SOULÈS, DIT RAYMOND ABELLIO, Heureux les, 1946, page 383) : Ø 2. Le progrès que nous décrivons n'est donc pas le progrès synthétique hégélien qui dépasse à la fois la thèse et l'antithèse et les englobe dans la synthèse, c'est le progrès d'une réflexion qui transcende ses propres positions. DICTIONNAIRE DE CULTURE RELIGIEUSE ET CATÉCHISTIQUE (LOUIS E. MARCEL), Journal métaphysique, 1914, page 12. b) Usuel. Aller ou se situer au-delà d'un certain seuil, de certaines limites; spécialement aller au-delà de ce qui est attendu ou habituel, de ce qui est permis, de ce qui est possible ou concevable. Le monde n'aime pas beaucoup les mérites qui dépassent la mesure commune, qui est la sienne (OCTAVE FEUILLET, L'Histoire d'une Parisienne, 1881, page 138 ). Un sans-façon dépassant toutes les bornes (ERNEST RENAN, Drames philosophiques, Le Jour de l'an. 1886, page 702 ). Ou les mots dépassent la pensée, ou ils la diminuent (JULES RENARD, Journal, 1908, page 1160 ). La bassesse du genre humain dépasse toutes les limites (JOE BOUSQUET, Traduit silence, 1935-36, page 198 ). Le révolutionnaire veut changer le monde, il le dépasse vers l'avenir (JEAN-PAUL SARTRE, Baudelaire, 1947, page 58 ). Je croyais possible de dépasser la médiocrité bourgeoise sans quitter la bourgeoisie (SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 188 ). Le tumulte de la presse et l'émotion de l'opinion dépassèrent les limites imaginables (CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1954, page 186) : Ø 3. La vraie grandeur de l'artiste, c'est de dépasser son objet, et de faire plus qu'il ne veut, et tout autre chose, de passer par-dessus le but, de traverser le possible, et de voir encore au delà. JULES MICHELET, L'Oiseau, 1856, page 252. Ø 4. La guerre n'est pas une querelle d'homme à homme; elle dépasse les individus : elle est une aventure entre des nations... ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, page 340. SYNTAXE : Dépasser les forces, les possibilités de quelqu'un; dépasser l'entendement, l'imagination, tout ce qu'on peut imaginer; un résultat qui dépasse l'attente, les espérances, les prévisions. Dépasser les ordres qu'on a reçus; dépasser ses pouvoirs (Dictionnaire de l'Académie Française) · Dépasser quelqu'un. Le déconcerter, dérouter ses conceptions habituelles. La passion sauvage de cet homme me dépasse (RENÉ TARDIVAUX, DIT BOYLESVE, La leçon d'amour dans un parc, 1902, page 267 ). Familier. Ça me dépasse qu'on puisse faire des trucs pareils (SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, page 389 ). · Au passif (généralement péjoratif) [Le sujet désigne une personne] Familier. Être dépassé (par les événements, par la situation). N'être pas en mesure ou pas capable de dominer les événements ou la situation. Elle [Louise] se mit à l'ouvrage, avec son courage habituel, et fut bientôt dépassée (ALBERT CAMUS, L'Exil et le Royaume, 1957, page 1646 ). [Le sujet désigne une chose, une doctrine, une oeuvre] Être démodé, périmé. Ces (...) machines sont, tous les cinq ans (...) dépassées par quelque invention (JULES MICHELET, Le Peuple, 1846, page 115 ). Lecture de Havelock Ellis largement dépassé par des ouvrages plus récents (JULIEN GREEN, Journal, 1951, page 354 ). · Emploi pronominal réfléchi, généralement laudatif. Aller au-delà de ses propres limites : Ø 5. Ce qui importe, c'est de « se dépasser ». Il faut se dépasser, non se modifier, mais se porter en avant de soi-même d'un coup de collier violent. JACQUES RIVIÈRE, Correspondance [avec Alain-Fournier] , 1906, page 210. B.— Par analogie. [Sans idée de mouvement] 1. S'étendre au-delà de quelque chose; être plus grand que quelque chose ou quelqu'un. Dépasser quelqu'un de la tête; dépasser quelque chose de cent coudées. Jupes plissées dépassant à peine le genou (STÉPHANE MALLARMÉ, La Dernière mode, 1874, page 815 ). — Spécialement. Sortir d'un alignement, être en saillie par rapport à quelque chose. Son métier (...) était de vérifier si les étalages dépassaient les trottoirs (JEAN GIRAUDOUX, Simon le Pathétique, 1926, page 156 ). Par métaphore ou au figuré. Mon père n'aimait pas qu'un mot dépassât l'autre (JEAN GIONO, L'Eau vive, 1943, page 73 ). — emploi absolu. Des tiroirs ouverts où toutes les choses dépassent (ANNA DE NOAILLES, La Nouvelle espérance, 1903, page 259 ). Ils virent un trou dans le sol, avec une échelle qui dépassait (RENÉ BENJAMIN, Gaspard, 1915, page 133 ). Par métaphore ou au figuré. Ça fait des pieds de plus! Vous faites des vers qui dépassent (JULES RENARD, Journal, 1907, page 1107 ). 2. Excéder en nombre, en quantité, en importance. Dépasser quelque chose énormément, infiniment. Dans le pays [l'Argentine] la moyenne des enfants dépasse neuf par ménage (JULES VERNE, Les Enfants du capitaine Grant, tome 1, 1868, page 197 ). L'âge venait, ils avaient tous deux dépassé la cinquantaine (ÉMILE ZOLA, La Fortune des Rougon, 1871, page 68 ). Dès qu'une vérité dépasse cinq lignes, cela est du roman (JULES RENARD, Journal, 1902, page 780 ). Ces grandes guerres, dont (...) chacune dépasse la précédente en durée et en dimensions (CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, 1959, page 385 ). Remarque : On rencontre dans la documentation l'adjectif dépassable, rare. Qui peut être dépassé. Un solipsisme vécu qui n'est pas dépassable (MAURICE MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, 1945, page 411). Je l'admire [Conrad] (...) de laisser à l'imagination du lecteur libre jeu, après l'avoir mené, dans l'horrible, jusqu'à tel point qui ne parût pas dépassable (ANDRÉ GIDE, Voyage au Congo, 1927, page 692). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 3 084. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 1 709, b) 3 596; XXe. siècle a) 5 180, b) 6 615.