DESANTI (Jean-Toussaint) ________________________________________
Né en 1914 à Ajaccio, ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de philosophie, il est l'auteur d'ouvrages d'inspiration marxiste
(Introduction à l'histoire de la philosophie, 1956, Phénoménologie et Praxis, 1963). Ses travaux principaux concernent la philosophie des sciences ; il en a exposé les résultats dans de nombreux articles, dans des cours (professeur à l'E.N.S. de Saint-Cloud à partir de 1960, il enseigne à la Sorbonne depuis 1971), et surtout dans sa thèse de doctorat (Les Idéalités mathématiques, 1968) qui présente à un public assez restreint l'une des réflexions philosophiques les plus riches, sinon les
plus connues, de ces dernières années.
1. Les mathématiques contiennent une « philosophie « implicite : elles appellent la connaissance de leur mode spécifique de production. Le projet des Idéalités mathématiques est la tentative de préciser quelques concepts capables de faire comprendre le mode d'existence et le devenir des théories mathématiques. Ceci distingue clairement cette tentative épistémologique : 1 — de l'épistémologie normative traditionnelle qui tente d'assurer extérieurement (par exemple dans le recours husserlien à une philosophie de la conscience) le fondement et la rigueur des mathématiques ; 2 — de la philosophie mathématique déployée par les mathématiciens, et qui constitue pour leur pratique une région de sécurité où se trouve renvoyée la discussion des problèmes (ex. : l'existence des êtres mathématiques) qui, s'ils importent à cette pratique, n'y peuvent explicitement être thématisés. Cela signifie qu'une telle épistémologie reconnaît au départ deux faits : l'existence de la mathématique inscrite en ses productions (théorèmes, procédures démonstratives, traités) et l'indépendance que manifeste cette réalité mathématique vis-à-vis de toute tentative philosophique (1).
2. Autre est le parcours de l'épistémologue, autre celui du mathématicien : le premier a bien pour tâche de décrire ce que fait le second, mais pour cela, il lui faut saisir cet espace où s'enchaînent les systèmes de gestes producteurs, où s'inscrivent les motivations, où se déchirent les complexes théoriques. En se donnant pour objet d'étude le développement de la théorie des fonctions de variables réelles, Desanti s'attache à décrire la constitution des êtres mathématiques, dans la mesure où ils sont posés par des actes manifestant les règles qui en permettent re maniement. On s'aperçoit alors que ces positions d'objets et de propriétés s'échelonnent par niveaux (il y a des concepts naturels qui désignent un objet dont le nom dénote une classe d'objets — fonction continue, ensemble dénombrable — possédant en commun un système de propriétés, des concepts structuraux
dont les noms désignent les domaines où apparaissent les objets précédents). Toute position d'objet correspond à l'ouverture d'un champ opératoire normé, elle nécessite la médiation d'un champ, d'un horizon, où elle est inscrite de façon implicite pour la conscience, en certaines positions d'objets et enchaînements de propriétés. La position par exemple d'un objet-théorie (système des théorèmes propres à une structure dont les axiomes ont été explicitement distingués) suppose toujours la médiation des moments par lesquels cet objet est maintenu comme thème explicite (2).
Les mathématiques se constituent dans le système des renvois entre diverses positions d'objets et leurs médiations. C'est pourquoi les êtres mathématiques sont proprement des idéalités : un être comme J2 par exemple n'est jamais offert par sa simple présence, mais par la médiation du système réglé des désignations qui permettent d'en disposer, si bien qu'il n'est que l'index des enchaînements de possibilités permettant de telles désignations. A l'inverse, ce que l'on a appelé plus haut « champ de conscience « n'est pas la propriété d'un sujet ; le « sujet « constituant (des mathématiques) réduit au rôle de spectateur anonyme n'est rien d'autre que le mode chaque fois spécifique de manifestation de son objet.
1. M. Serres (Hermes ou la Communication, 1968):« les mathématiques sont extérieurement fermées et intérieurement ouvertes. «
2. La théorie axiomatique des ensembles n'est explicitement exposée et achevée comme tâche que dans la mesure où sont posés non seulement les noyaux d'idéalités qu'elle rend explicites, mais encore l'exigence d'avoir à le faire. C'est pourquoi le
formalisme échoue à saisir le devenir de la réalité mathématique et n'en est qu'un moment.