Définition / vocabulaire: AUTRUI, pronom indéfini.

Définition / vocabulaire: AUTRUI, pronom indéfini. A.— Un autre, les autres, l'ensemble des hommes par opposition au moi du locuteur et en exclusion de ce moi. 1. [Le plus souvent, précédé d'une préposition] : Ø 1. Tu peux, fausse comme elle et comme elle sans foi, Être encor pour autrui ce que tu fus pour moi. ANDRÉ CHÉNIER, Élégies, 1794, page 53. Ø 2.... devinez sans être devinés, déjouez le jeu d'autrui sans permettre à autrui de lire dans le vôtre; autrement dit : défaites chez autrui l'oeuvre d'artifice pour y retrouver la vérité, mais ne permettez pas à autrui de percer votre vérité propre;... VLADIMIR JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, pages 10-11. Remarque : 1. Toutes les prépositions peuvent introduire autrui (à, avec, chez, dans, d', en, envers, par, pour, sans, sur, vers, etc.). 2. Autrui précédé de la préposition de est souvent complément de nom : affaires, (aux) dépens, droit, liberté, malheur, opinion d'autrui; celui, celle, ceux d'autrui. 2. [Plus rarement, dans une construction sans préposition] a) Complément d'objet direct ou attribut : Ø 3. Ne pas aimer quand on a reçu du ciel une âme faite pour l'amour, c'est se priver soi et autrui d'un grand bonheur. HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, De l'Amour, 1822, page 69. Ø 4. Si, au contraire, l'homme et les esprits purs n'avaient pas de choix entre Dieu et eux-mêmes, entre l'infini et le fini, leur personnalité n'existerait que comme une dépendance absolue de la personnalité divine; ils seraient autrui et non pas eux. PÈRE HENRI-DOMINIQUE LACORDAIRE, Conférence de Notre-Dame, 1848, page 117. Ø 5. Pour moi qui crains sans cesse de déranger autrui, la pensée d'autrui, le repos d'autrui, la prière d'autrui, tant de sans-gêne me consterne d'abord, puis m'indigne. ANDRÉ GIDE, Le Retour du Tchad, 1928, page 1008. b) Sujet. — [En corrélation avec autrui employé comme complément] : Ø 6. On renonce à gêner autrui en rien, et autrui vous en veut de votre renoncement comme d'une offense. HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime, 1866, page 127. Ø 7.... on rougit presque sous l'oeil d'autrui, comme si autrui devinait que vous venez d'avoir des pensées aussi bêtes. LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, La Douceur de la vie, 1939, page 63. — Rare. [Employé seul] : Ø 8. Le socialisme se recrute, en effet, non seulement parmi les intelligences les plus capables de creuser profondément l'ardu problème de la justice sociale, mais surtout parmi les souffrants de la terre en quête de misères moindres, et parmi les grands coeurs que blesse au vif l'iniquité dont geint autrui. GEORGES CLEMENCEAU, Vers la réparation, 1899, page 36. Ø 9. Autrui nous est indifférent et l'indifférence n'invite pas à la méchanceté. MARCEL PROUST, La Prisonnière, 1922, page 111. Ø 10. Certes, autour de soi, on prônait le dévouement, mais on lui assignait pour limites le cercle familial; hors de là, autrui n'était pas un prochain. SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 180. Remarque : 1. Autrui peut être sujet dans une phrase comparative avec ellipse du verbe : Ø 11. Il jeûnait plus longtemps qu'autrui les jours de jeûne,... VICTOR HUGO, La Légende des siècles, tome 1, 1859, page 122. Remarque : 2. À la suite d'un exemple de Sacha Guitry où autrui est employé comme sujet sans s'opposer à un autre autrui en fonction normale de complément, G. Gougenheim (Le Français moderne, tome 17, 1949, page 36) remarque : " Dans cette dernière phrase autrui a pleinement un sens collectif : ce n'est pas " un autre ", mais " les autres " : il a un sens analogue à le prochain dans la langue morale ou religieuse. L'auteur semble s'être écarté intentionnellement de l'usage normal, afin d'accentuer, par cette irrégularité, le caractère piquant de sa raillerie. " B.— En particulier. PHILOSOPHIE. « ... les rapports entre l'individu et le monde sont parmi les principales préoccupations de l'existentialisme de Jean-Paul Sartre; aussi n'est-il point surprenant de le voir élargir et rajeunir la syntaxe de ce pronom, alternative concise et maniable de les autres — le troisième membre de la série synonymique, le prochain, lui étant interdit pour des raisons d'ordre idéologique » (E. DE ULLMANN DANS FRANÇAIS MODERNE, TOME 17, 1949, PAGE 225 ) : Ø 12.... ma liberté, en quelque sorte, récupère ses propres limites car je ne puis me saisir comme limité par autrui qu'en tant qu'autrui existe pour moi... JEAN-PAUL SARTRE, L'Être et le Néant, 1943, page 609. — Plus généralement, la philosophie moderne emploie beaucoup autrui, substitut pratique de " les autres " : Ø 13. La solitude et la communication ne doivent pas être les deux termes d'une alternative, mais deux moments d'un seul phénomène, puisque, en fait, autrui existe pour moi. Il faut dire de l'expérience d'autrui ce que nous avons dit ailleurs de la réflexion : que son objet ne peut pas lui échapper absolument, puisque nous n'en avons notion que par elle. MAURICE MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, 1945, page 412. Remarque : 1. Autrui peut, dans la pensée d'un auteur, perdre toute indéfinition, cesser de fonctionner comme nominal et être réduit à représenter un certain nombre de personnes : Ø 14. Et pourtant, la coquette a beau être bien sûre d'elle : il y a autrui. Autrui est ce qu'il est, indépendamment des qualifications d'un arbitraire complaisant Autrui, ç'avait été, dans le système Hanotaux, l'Allemagne, qui ne s'était jamais figuré une minute qu'il n'y eût là que jeu... CHARLES MAURRAS, Kiel et Tanger, 1914, page 99. Remarque : 2. Autrui étant du singulier peut être employé en relation avec les possessifs son, sa, ses, soi (même), le(s) sien(s), etc., et non avec leur, leurs, eux (mêmes), bien que certains grammairiens aient condamné cet usage. Remarque : 3. Autrui/les autres. Autrui prenant de plus en plus un sens collectif est, le plus souvent, remplacé par les autres. Inversement autrui peut remplacer les autres. — Employé substantivement. 1. [Précédé d'un article] : Ø 15.... les connaisseurs d'eux-mêmes sont les meilleurs connaisseurs d'autrui, et de l'autrui le plus opposé. CHARLES DU BOS, Journal, 1921, page 19. · Par plaisanterie. [S'accordant en genre et en nombre] : Ø 16. Quand je pense à nous, je pense au temps où l'on pouvait aller errer sur route ou sur plage (Villerville, par exemple) et développer la sensation qu'on était tout à fait coupés des vagues autruis. C'est loin. Nous avons des autruis et autruies plein les — pieds. PAUL VALÉRY, Correspondance [avec André Gide] , 1929, page 508. 2. DROIT. Vieux. L'autrui. Le droit d'autrui, le bien d'autrui. Remarque : Locution en usage au commencement du XVIIXVIIe. siècle selon DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE (ÉMILE LITTRÉ. . Antéposé comme complément de nom : Ø 17. — ... et quant à moi, quoique je sois à peine légiste et tout au plus procureur amateur, je soutiens ceci : qu'aux termes de la coutume de Normandie, à la saint-Michel, et pour chaque année, un équivalent devait être payé au profit du seigneur, sauf autrui droit [à l'exclusion du droit d'autrui] , par tous et un chacun,... VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 1, 1862, page 797. 3. SOCIOLOGIE. L'autrui généralisé. "... Communauté organisée elle-même, dont l'individu intègre les rôles et qui donne l'unité du soi. C'est sous la forme de l'autrui généralisé que le processus social affecte le comportement des individus qui y sont engagés et que la communauté exerce son contrôle sur la conduite de ses membres " (La Sociologie (SOUS LA DIRECTION DE JEAN CAZENEUVE ET DAVID VICTOROFF) 1970).