Définition: ÉTOUFFÉE (À L'), locution adverbiale. A.— [Correspond à étouffé II B 1] D'une façon assourdie, sans faire beaucoup de bruit. Les chouettes volent à l'étouffée sous le soleil qui se couche (MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 3, 1904, page 291) : Ø 1. On entend, par intervalles, une pétarade de mousqueterie, quelques explosions de grenades, un tac-tac-tac de mitrailleuse. Presque pas de cris. Beaucoup de mouvements se font à l'étouffée. LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, 1938, page 70. B.— ART CULINAIRE. Manière de faire cuire les aliments en vase clos, en utilisant la vapeur d'eau qui s'en dégage. Veau, perdrix à l'étouffée; pommes de terre à l'étouffée (Dictionnaire de l'Académie Française). Synonyme : à l'étuvée : Ø 2. Un dîner de gourmet, où une poularde cuite à l'étouffée dans une vessie de porc a pour sauce ce court-bouillon de volaille où flottent des truffes. EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1896, page 928. STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 621. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 747, b) 1 063; XXe. siècle : a) 1 081, b) 782. Forme dérivée du verbe "étouffer" étouffer ÉTOUFFER, verbe. I.— Emploi transitif. A.— 1. Faire mourir en empêchant la respiration, soit par une forte compression du cou, soit en appliquant quelque chose sur le nez et la bouche. a) [Le sujet désigne une personne] Un jeune naturaliste, qui en étouffa un [un oiseau] pour l'empailler, m'a dit qu'il resta malade de cette lutte acharnée, et plein de remords; il lui semblait qu'il eût fait un assassinat (JULES MICHELET, L'Oiseau, 1856, page 191 ). Il [l'Espagnol] décida de le tuer [le vieux seigneur] quand il dormirait après son dîner et de l'étouffer avec son oreiller (MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 4, 1905, page 84) : Ø 1. Fatima eut un horrible battement de coeur. Elle croyait maintenant à la trahison de don José comme à la lumière du soleil, et elle fut tentée de passer ses bras autour du cou de l'infâme pour l'étouffer. PIERRE-ALEXIS, VICOMTE PONSON DU TERRAIL, Rocambole, les drames de Paris, tome 4, 1859, page 190. · Expression. Que la peste, le diable l'étouffe. Juron invoquant la malédiction. Que le diable étouffe le procureur de la nation d'Allemagne! (VICTOR HUGO, Notre-Dame de Paris, 1832, page 25 ). — Spécialement. SÉRICICULTURE. Tuer les vers à soie en les asphyxiant dans un four. Et que suis-je, moi, que le paysan qui étouffe les vers dans son four, avant qu'ils ne percent et ne gâtent le cocon? (PAUL CLAUDEL, Le Repos du 7e. jour. 1901, III, page 853 ). b) [Le sujet désigne une chose concrète ou abstraite] Elle [maman] avait peine à respirer et demandait sans cesse qu'on la relevât sur ses oreillers; l'enflure semblait l'étouffer (JULES MICHELET, Mémorial, 1822, page 216) : Ø 2. Zampa monta sur l'échafaud d'un pas assez ferme; mais lorsqu'il eut aperçu le collier de fer destiné à l'étouffer et la chaise sur laquelle on l'allait faire asseoir, la peur de la mort le prit et il se mit à trembler de tous ses membres. PIERRE-ALEXIS, VICOMTE PONSON DU TERRAIL, Rocambole, les drames de Paris, tome 4, 1859 page 192. 2. Rendre la respiration difficile, gêner quelqu'un dans ses fonctions respiratoires. a) [Le sujet désigne une personne] Ces gens à sentiments qui vous étouffent pour vous embrasser (HONORÉ DE BALZAC, Correspondance, 1821, page 102 ). Il [Lafcadio] (...) tendit l'argent à la pauvre mère qui maintenant étouffait ses fils de baisers (ANDRÉ GIDE, Les Caves du Vatican, 1914, page 725) : Ø 3. Le premier gouverneur dont j'aie conservé un souvenir un peu distinct fut un Allemand nommé Stroelin, qui me rouait de coups, puis m'étouffait de caresses pour que je ne me plaignisse pas à mon père. BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE. Le "Cahier rouge" , 1830, page 1. b) [Le sujet désigne une chose concrète] Villefort déboutonna violemment sa redingote qui l'étouffait, passa une main livide sur son front et rentra dans son cabinet (ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Le Comte de Monte-Christo, tome 2, 1846, page 653 ). « Pour recommencer quand nous serons plus forts? », ne pouvait s'empêcher de dire Alexis, que les pommes de terre étouffaient, surtout qu'il n'y avait pas de vin (ELSA TRIOLET, Le Premier accroc coûte deux cents francs, 1945, page 219) : Ø 4. Elle [Hélène de Rieu] luttait âprement contre l'âge qui l'engraissait et la ridait; frottée d'onguents et d'huiles de toilette, sanglée dans des corsets qui l'étouffaient, elle s'imaginait rajeunir. ÉMILE ZOLA, Madeleine Férat, 1868, page 116. c) [Le sujet désigne une chose abstraite] Ma foi je n'en puis plus; la chaleur m'étouffe (HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, La Chartreuse de Parme, 1839, page 184 ). On apporta le pain du goûter; je ne pus manger; une invincible émotion m'étouffait, ma bouche était desséchée, mes mains tremblaient (MAXIME DU CAMP, Mémoires d'un suicidé, 1853, page 92 ). J'ai peine à écrire en cet instant, et le souvenir de ce triple passé sans lendemain m'oppresse et m'étouffe! (AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 4, 1855, page 380) : Ø 5. Toute la journée, Dantès alla et vint dans son cachot, le coeur bondissant de joie. De temps en temps cette joie l'étouffait. ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Le Comte de Monte-Christo, tome 2, 1846 page 182. — Familier. Ce n'est pas la religion / l'admiration qui l'étouffe. La religion/l'admiration ne risque pas de le gêner (parce qu'il n'en a pas, ne s'en soucie pas). L'amour filial ne l'étouffait pas (LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936, page 112) : Ø 6. Un matin, Monsieur entra dans le cabinet de toilette au moment où Madame essayait devant moi un corset de satin mauve avec des fleurettes jaunes et des lacets de soie jaune. Le goût, ce n'est pas ce qui étouffait Madame. OCTAVE MIRBEAU, Le Journal d'une femme de chambre, 1900, page 349. 3. Par analogie. [Le sujet et le complément d'objet désignent tous deux une plante] Gêner la croissance, le développement d'une plante en la privant de l'oxygène qui lui est nécessaire. Le chêne-liège est un gros vilain arbre en été. Son feuillage est rude et terne; son ombre épaisse étouffe toute végétation autour de lui (AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 4, 1855 page 35 ). Je m'écarte du sentier pour observer de près le drame végétal d'un arbre énorme que s'apprête à étouffer lentement un ficus (ANDRÉ GIDE, Retour du Tchad, 1928, page 998 ). Confer cornichon exemple 1. B.— Par extension et au figuré. 1. Éteindre un feu, un incendie par privation d'air. Il [Rougon] ne quitta pas la cheminée tout de suite. Il demeura par terre, tenant la pelle, sous laquelle il étouffait la flamme, de peur d'incendie (ÉMILE ZOLA, Son Excellence Eugène Rougon, 1876, page 47) : Ø 7. Je cherchai, en tâtonnant, cette feuille inutile, je la trouvai, je la tordis, et, la présentant à la flamme mourante, je l'allumai. Mais, sous mes doigts, comme par magie, à mesure que le feu montait, je vis des caractères jaunâtres sortir du papier blanc et apparaître sur la feuille; alors la terreur me prit : je serrai dans mes mains le papier, j'étouffai le feu... ALEXANDRE DUMAS PÈRE, Le Comte de Monte-Christo, tome 1, 1846, page 229. 2. [Le complément d'objet désigne un bruit, un son] a) Empêcher un son de se propager, de se faire entendre. Étouffer un bâillement, une plainte, un sanglot, un soupir : Ø 8. Satou, fit-elle [Tahoser] en frappant l'une contre l'autre ses mains délicates pour imposer silence à la musicienne, qui étouffa aussitôt avec sa paume les vibrations de la harpe, ton chant m'énerve, m'alanguit... THÉOPHILE GAUTIER, Le Roman de la momie, 1858, page 200. — Par métaphore. Étouffer la voix de l'innocence et de la vérité (MAXIMILIEN DE ROBESPIERRE, Discours, Sur la guerre, tome 8, 1792, page 197 ). On voulait étouffer le bruit de ma détention, et quelques heures suffirent pour élever un gibet et trouver un bourreau (JULES JANIN, L'Âne mort et la femme guillotinée, 1829, page 102 ). b) [Le sujet désigne un bruit, un son] Couvrir, dominer un autre son. La guerre était debout dans le lycée, le tambour étouffait à mes oreilles la voix des maîtres (ALFRED DE VIGNY, Servitude et grandeur militaires, 1835, page 13 ). Tout à coup, une mélodie énergique et suave, capricieuse et une à la fois, enveloppe, étouffe, éteint, dissimule le tapage criard (CHARLES BAUDELAIRE, Les Paradis artificiels, 1860, page 332 ). c) [Le sujet désigne une chose] Assourdir un son. Un épais tapis aux tons riches et sombres étouffait le bruit de mes pas (ANDRÉ GIDE, Si le grain ne meurt, 1924, page 353) : Ø 9. Dans le monde hors de la maison, la neige efface les pas, brouille les chemins, étouffe les bruits, masque les couleurs. GASTON BACHELARD, La Poétique de l'espace, 1957, page 53. 3. a) [Le complément d'objet désigne une chose abstraite] Supprimer quelque chose, l'empêcher de se développer, de se manifester. Étouffer un sentiment, la vérité; étouffer une conspiration, l'insurrection, la révolution. C'est le propre de l'éducation de développer les facultés, le propre de l'esclavage c'est de les étouffer (PIERRE-AMBROISE-FRANÇOIS CHODERLOS DE LACLOS, De l'Éducation des Femmes, 1803, page 429 ). Le despotisme étouffe la liberté de la presse (BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE, De l'Esprit de conquête et de l'usurpation, 1813, page 196) : Ø 10.... il a insulté son supérieur. Celui-ci, généreusement, a cherché à étouffer l'affaire. Il a nié ce que chacun savait, mais, comme le scandale était immense, M. Tonski a été envoyé, simple soldat, à la frontière persane. JOSEPH ARTHUR COMTE DE GOBINEAU, Pléiades, 1874, page 99. SYNTAXE : Étouffer l'amour, une ardeur, la compassion, un désir, une émulation, une passion, une pensée, un regret, un remords, un ressentiment, la sensibilité. · Étouffer quelque chose dans l'oeuf. L'arrêter avant tout développement : Ø 11.... les plus nobles familles ne pensent point déchoir en déléguant auprès d'eux [les cadres militaires] leurs jeunes hommes dans des fonctions qui touchent de fort près aux pratiques de l'espionnage, et dont l'effet a été longtemps d'étouffer dans l'oeuf toute tentative de conspiration armée. JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes, 1951, page 9. b) [Le complément d'objet désigne une personne] — Empêcher de se développer, de s'épanouir. Enfin parut le notaire, un panama sur la tête, un lorgnon dans l'oeil, car l'officier ministériel n'étouffait pas en lui l'homme du monde (GUSTAVE FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet, tome 1, , 1880, page 48) : Ø 12. Les révolutionnaires de son temps étaient devenus des bourgeois; les surhommes, des hommes à la mode. Les indépendants d'autrefois essayaient d'étouffer les indépendants d'aujourd'hui. ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, La Nouvelle journée, 1912, page 1470. — Donner une impression de gêne, oppresser. Mon oncle comprit sans doute les pensées qui m'étouffaient (ÉMILE ZOLA, Contes à Ninon, 1864, page 243) : Ø 13. Cette fois, Autheman avait pris la résolution d'en finir, de dire ce qui l'étouffait depuis trois ans; et il attendait, allant et venant sur les dalles... ALPHONSE DAUDET, L'Évangéliste, 1883, page 114. · emploi absolu. Ce sentiment-là étouffe quand on ne l'exprime pas (GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1792, page 18 ). Tant mieux pour toi que l'officiel soit enfin parti. Il y a des gens dont la présence étouffe. Je suis aise pour toi de ce débarras (GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance, 1847, page 41 ). Confer asphyxier exemple 4. C.— Emplois spéciaux. 1. ART CULINAIRE. Synonyme rare de étuver. Étouffer, étuver : c'est faire cuire dans un vaisseau bien clos, pour empêcher l'évaporation (LOUIS-EUSTACHE AUDOT, La Cuisinière de la campagne et de la ville, 1896, page 113 ). 2. MARINE. Étouffer une voile. La serrer avec ses bras, ses mains, contre le mât afin de l'empêcher de prendre le vent. En halant sur le halebas, le foc s'abat sur son bout dehors; on étouffe la toile et il n'y a plus qu'à la serrer (J. GALOPIN, Cours de langage maritime, Matelotage et technologie. 1925, page 73 ). 3. Argot et langage familier. a) Cacher, dissimuler. Moi qui ai pourtant quelque mille francs, que j'étouffe (STÉPHANE MALLARMÉ, Correspondance, 1862, page 31 ). Où qu'ils m'ont étouffé ma voiture? (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Crainquebille, 1904, page 21 ). · En particulier. [Au jeu] Dissimuler son gain. Croupier, étouffe des deux mains. Étouffe d'affût pour tézigue (LES EXCENTRICITÉS DU LANGAGE FRANÇAIS (LORÉDAN LARCHEY) Nouveau Supplément. 1889, page 97 ). — Par extension. Subtiliser, escamoter. Déjà quatre hommes et un boucher se disputaient certaines tripes à venir. — C'est toi eh vendu! qui l'as étouffé hier l'aloyau (LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, page 28 ). En faisant tout seul, au garage, son plein d'essence, il étouffait régulièrement un bidon (ALBERT SIMONIN, JEAN BAZIN, Voilà taxi! 1935, page 173 ). b) Boire d'un trait. Synonyme : asphyxier (confer ce mot I) : Ø 14. Il [Auguste] devait de l'argent à ce copain. Celui-ci, le matin, tout en étouffant son pierrot de vin blanc, avait tiré de sa poche huit ou neuf bouchons et il s'était dit : nom d'un bonhomme, on a rien bidonné, depuis hier au soir! GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, Les Soeurs Vatard, 1879, page 174. · Étouffer une bouteille. " La boire, la faire disparaître jusqu'à la dernière goutte, — dans l'argot du peuple " (Dictionnaire de la langue française (ALFRED DELVAU) 1866, page 138). II.— Emploi pronominal. A.— Emploi pronominal réfléchi. 1. [Le sujet désigne une personne] a) Mourir par asphyxie. Au cours de pertes de connaissance brutales, le malade (...) peut s'étouffer en dormant et en mangeant (DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE QUILLET. Médecine, 1965, page 334) : Ø 15. J'ai connu un habile médecin qui était tellement de mon avis qu'il faillit s'étouffer en expérimentant sur lui-même combien de temps on pouvait rester dans un four... ALFRED DE VIGNY, Le Journal d'un poète, 1835, page 1032. · Par métaphore. On peut craindre qu'avec des ressources infinies de courage (...) la France ne s'étouffe comme un feu mal disposé (ERNEST RENAN, Réflexions intellectuelles, 1871, page 49) : Ø 16. L'amour, peu à peu, s'éteignit par l'absence, le regret s'étouffa sous l'habitude; et cette lueur d'incendie qui empourprait son ciel pâle se couvrit de plus d'ombre et s'effaça par degrés. GUSTAVE FLAUBERT, Madame Bovary, tome 1, 1857, page 142. b) Perdre momentanément la respiration. S'étouffer de chaleur, de poussière. Tous deux [Gustave et Flory] s'étouffèrent de rire (ÉMILE ZOLA, L'Argent, 1891, page 88 ). 2. [Le sujet désigne une chose concrète] S'arrêter par manque d'air. Le moteur partait très bien, mais cent mètres plus loin, il ne donnait plus sa force, il s'étouffait, quoi! Le silencieux était bouché (GEORGES BERNANOS, La Joie, 1929, page 584 ). 3. Au figuré. [Le sujet désigne un bruit, un son] Cesser d'être perceptible, se perdre. Pendant que les clameurs retombées s'étouffaient lourdement sous l'indestructible silence, monta un cri de chien qui hurle à la mort (ANDRÉ MALRAUX, La Condition humaine, 1933, page 244) : Ø 17.... dans le brouillard épais, le clairon Gaude sonna la diane, de tout son souffle. Mais l'air était si noyé d'eau, que la sonnerie joyeuse s'étouffait. ÉMILE ZOLA, La Débâcle, 1892, page 227. B.— Emploi pronominal réciproque. [Le sujet désigne une personne] S'empêcher mutuellement de respirer. Tels se pressent les deux guerriers, tels ils s'étouffent dans leurs bras serrés par les noeuds de la colère (FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Les Natchez, 1826, page 163 ). — Au figuré. [Le sujet désigne une chose abstraite] S'empêcher mutuellement d'exister : Ø 18. J'aurais voulu pouvoir mêler les jouissances épurées de l'esprit aux jouissances fiévreuses du corps; mais d'où vient qu'elles semblent s'exclure ou qu'elles s'étouffent mutuellement? AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Lélia, 1833, page 171. — Par extension. [Le sujet désigne une personne] Se presser, se serrer les uns contre les autres : Ø 19. Il [Gamelin] regarde la foule quitter à grands pas la place de Grève. Et, quand il tourne la tête, ses yeux voient que la salle, où les conseillers s'étouffaient tout à l'heure, est presque vide. ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Les Dieux ont soif, 1912, page 295. III.— Emploi intransitif. A.— 1. [Le sujet désigne une personne, un animal ou une plante] Mourir par manque d'oxygène : Ø 20.... Pascal eut une nouvelle crise d'angine de poitrine. Elle dura près de cinq minutes, il crut qu'il étoufferait, sans avoir eu la force d'appeler sa servante. ÉMILE ZOLA, Le Docteur Pascal, 1893, page 284. 2. [Le sujet désigne une personne] Respirer avec difficulté, suffoquer. Dès que les larmes me viennent aux yeux, les sanglots me prennent à la gorge, j'étouffe, ma respiration s'exhale en cris ou en gémissements (AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 3, 1855, page 70) : Ø 21. Folcoche se tord toujours, inconsciente, les deux mains sur le foie. Sa respiration siffle. Dois-je le dire, mais nous respirons mieux depuis qu'elle étouffe. HERVÉ BAZIN, Vipère au poing, 1948, page 84. — Spécialement. Avoir trop chaud. Est-ce un grand bonheur d'habiter une chambre, Où l'on étouffe en juin, où l'on gèle en décembre? (FRANÇOIS PONSARD, L'Honneur et l'argent, 1853, IV, 5, page 99) : Ø 22. Dans cet hémisphère opposé, bien qu'au mois de janvier, nous nous trouvions dans cet instant sous les ardeurs brûlantes de l'été; nous étouffions. EMMANUEL DIEUDONNÉ, COMTE DE LAS CASES, Le Mémorial de Sainte-Hélène, tome 2, 1823, page 498. — Étouffer de quelque chose. Être oppressé par quelque chose, perdre momentanément la respiration. Étouffer de colère, de fumée, de rage, de rire. La cour était pleine; à peine un espace restait-il au milieu pour la danse. On étouffait de poussière et de chaleur (ANDRÉ GIDE, Feuilles de route, 1896, page 84 ). B.— Par métaphore ou au figuré. 1. [Le sujet désigne une personne] Éprouver une impression d'ennui, de malaise. Dans les écrits de Marx, j'étouffe. Il y manque quelque chose, je ne sais quel ozone, indispensable à la respiration de mon esprit (ANDRÉ GIDE, Feuillets d'automne, 1937, page 1288) : Ø 23. Il y a des moments dans la vie où l'on éprouve l'irrésistible besoin de changer d'air; on ne peut y tenir, on étouffe. J'étouffais à Marseille. Je ne fais pas allusion à la température. Ce serait une mauvaise plaisanterie au mois de mars et tu te souviens de m'avoir vu y demeurer en plein été (...). Non, je suis parti parce que, moralement, j'en avais par-dessus la tête. FRANCIS DE MIOMANDRE, Écrit sur de l'eau. 1908, page 235. 2. [Le sujet désigne une chose concrète, en particulier une ville] Se trouver dans un espace limité, trop restreint. Une petite ville [Carcassonne] achève de mourir, après avoir, pendant des siècles, étouffé en sécurité (LOUIS HOURTICQ, Histoire générale de l'art, La France, 1914, page 94 ). Remarque : On rencontre dans la documentation étouffe-chrétien, substantif masculin Mets d'une consistance épaisse. Tu pourrais encore, Tomazover, nous fabriquer de ces " étouffe-chrétiens " dont à Kobjercyn nous marquions les jours fastes (Francis Ambrière, Les Grandes vacances, 1946, page 159). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 3 185. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 3 971, b) 5 167; XXe. siècle : a) 6 000, b) 3 777. DÉRIVÉS : 1. Étouffage, substantif masculin. Action d'étouffer quelqu'un. Voir aceinturage exemple Spécialement. a) SÉRICICULTURE. " Opération par laquelle on étouffe les chrysalides dans leur cocon pour les empêcher de le percer au moment de l'éclosion " (Vocabulaire de géographie agraire (PAUL FÉNELON) 1970). Les cocons destinés à fournir la soie. Ces derniers sont soumis à l'étouffage; on les maintient à une température de 70o. pendant un quart d'heure. Cette opération se fait généralement dans une étuve. La chrysalide est tuée avant la formation du papillon (MADAME C. BLANQUET, Technologie des métiers de l'habillement : textile, 1948, page 24 ). La plupart des dictionnaires généraux enregistrent le sens en APICULTURE. Action d'étouffer les abeilles. b) Argot et langage familier. [Correspond à étouffer I C 3 a] Au jeu, " soustraction par un grec de la mise d'un ponte sur le tapis " (Dictionnaire de la langue verte (HECTOR FRANCE), 1907, page 84). Dans les cercles, nombre de croupiers se livrent à l'étouffage (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, 1907, page 84 ). 2. Étouffeur, -euse, substantif. Celui, celle qui provoque, qui produit l'étouffement. Par métaphore. Le vaste étouffeur des plaintes et des râles, L'océan, échouait dans les nuages pâles D'affreux sacs noirs faisant des gestes effrayants (VICTOR HUGO, La Légende des siècles, tome 2, 1859, page 460 ). Ce magistrat qui avait déjà jugé de façon fort sévère la conduite des étouffeurs de vérité dans l'affaire Zola (GEORGES CLEMENCEAU, L'Iniquité, 1899, page 321 ). La plupart des dictionnaires généraux enregistrent le sens en zoologie. " Nom vulgaire des grands serpents, du boa particulièrement " (Dictionnaire de la langue française (ÉMILE LITTRÉ)).