Définition du mot: APPRIVOISER, verbe transitif.

Définition du mot: APPRIVOISER, verbe transitif. I.— Emploi transitif. A.— [L'objet désigne un animal sauvage] Rendre moins sauvage, moins farouche : Ø 1. D'ailleurs, est-on jamais seul au monde? Ne peut-on choisir des amis dans la race animale, apprivoiser un jeune chevreau, un perroquet éloquent, un singe aimable? JULES VERNE, Les Enfants du capitaine Grant, tome 2, 1868, page 29. Ø 2. J'en ai conclu, moi, que pour un homme, apprivoiser un animal, l'amener à vivre en société avec lui, c'est ne faire dans ces rapports avec cet animal que des mouvements dont cet animal puisse se rendre compte en les refaisant, c'est lui ressembler. PAUL BOURGET, Le Disciple, 1889, page 150. — Par métaphore : Ø 3. Tandis que le christianisme brilloit au milieu des adorateurs de Fo-hi, que d'autres missionnaires l'annonçoient aux nobles Japonois, ou le portoient à la cour des sultans, on le vit se glisser, pour ainsi dire, jusques dans les nids des forêts du Paraguay, pour apprivoiser ces nations Indiennes, qui vivoient, comme des oiseaux, sur les branches des arbres. FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Le Génie du christianisme, tome 2, 1803, page 426. B.— Par extension. 1. [L'objet désigne une personne] Rendre plus sociable. — Apprivoiser quelqu'un à, avec quelque chose. Le familiariser progressivement avec quelque chose, lui faire abandonner son hostilité ou ses réticences... : Ø 4. Bayonne vous force à l'écouter, à l'applaudir; il vous apprivoise à quelques-unes de ses idées;... EUGÈNE MELCHIOR, VICOMTE DE VOGÜÉ, Les Morts qui parlent, 1899, page 18. Ø 5. Après tant d'orgueil, après tant d'étrange Oisiveté, mais pleine de pouvoir, Je m'abandonne à ce brillant espace, Sur les maisons des morts mon ombre passe Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir. PAUL VALÉRY, Charmes, 1922, page 148. Ø 6. Quand la beauté n'excite plus en nous aucun besoin d'approche, de contact et d'embrassement, l'état de calme qu'on était assez fou pour souhaiter du temps que vous tourmentait un excès de désirs, cet état ne vous paraît plus qu'apathie et ne mériter qu'on le loue que parce que, peut-être, il rend moins atroce l'idée de la mort, en vous apprivoisant avec elle. (Un Henri Béraud compterait sans doute « apprivoiser avec » pour une faute; je doute que l'expression soit correcte, mais doute qu'aucune autre la vaille.) ANDRÉ GIDE, Journal, 1923, page 766. — En particulier. Séduire, charmer progressivement : Ø 7. Il n'y a point, dans les rares ouvrages de Mallarmé, de ces négligences qui apprivoisent tant de lecteurs et les flattent secrètement d'être familiers avec le poète;... PAUL VALÉRY, Variété II, 1929, page 170. Ø 8. Elle ne pense pas toujours à l'amour : elle n'a pas le temps! Elle se souvient des premiers jours de ses fiançailles. Elle sourit : Herlin découvre soudain qu'il est amoureux (sans doute l'avait-il oublié?). Il veut lui parler, l'apprivoiser, la conquérir :... ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Courrier Sud, 1928, page 23. 2. [L'objet désigne une chose, généralement abstraite] — Dominer, maîtriser progressivement : Ø 9. Une fois le coup reçu, eh bien! voilà, ce sera fini, il pourra essayer d'apprivoiser sa douleur, de s'établir dans le désespoir; il s'arrangera pour attendre la mort... FRANÇOIS MAURIAC, Les Mal aimés, 1945, I, 3, page 171. Ø 10.... ces remarques prendront tout leur sens par la suite quand on aura compris que l'effort s'applique principalement à un corps déjà ébranlé par l'émotion et disposé par l'habitude : si donc mouvoir mon corps c'est d'abord l'apprivoiser, le domestiquer, le posséder, cette fonction du vouloir double constamment la motivation. Une motivation volontaire est conditionnée par un vouloir maître de son corps. PAUL RICOEUR, Philosophie de la volonté, 1949, page 189. · Apprivoiser avec : Ø 11. Il eut bien tort de rêver avec ses yeux quand c'était avec toute sa vie qu'il devait apprivoiser l'amour. JOE BOUSQUET, Traduit du silence, 1936, page 208. — Rare. Apprivoiser à. a) Familiariser, accoutumer : Ø 12. Il n'est nullement indifférent de voir un homme comme vous, avec le prestige de votre intelligence, de votre culture et de votre talent, s'en faire l'apologiste, ou simplement apprivoiser l'imagination de ses lecteurs à des pensées dont elle doit se détourner avec horreur. PAUL CLAUDEL, Correspondance [avec André Gide] , 1899-1926, page 221. b) Harmoniser, accorder : Ø 13. À l'extrémité élargie du môle se dressait la pyramide d'un énorme tas de charbon; on y puisait si rarement que des herbes folles, et même de petits arbrisseaux, avaient fini par le coloniser, l'apprivoiser au paysage comme les collines aux formes étranges des terrils de mine abandonnés. JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes, 1951, page 25. II.— Emploi pronominal. A.— [En parlant d'un animal sauvage] Devenir progressivement moins sauvage, moins farouche : Ø 14. Un lapin blanc, enfermé dans la chambre, s'effarouche d'abord puis s'apprivoise et vient manger dans la main de Moktir. ANDRÉ GIDE, L'Immoraliste, 1902, page 469. B.— Par extension. [En parlant d'une personne] S'accoutumer, s'habituer : Ø 15. Léonard entra en scène. Il ne vit rien, d'abord. Il parlait d'une voix contenue. Devant lui, il percevait le vide fait par la salle, et qui, reculé par l'éclat de la rampe, devenait prodigieux. Puis, il s'apprivoisa. Son émotion se calmait. Il osa regarder, et c'étaient des yeux partout, rien que des yeux fixés magnétiquement sur les siens et réflétant ses frissons. ÉDOUARD ESTAUNIÉ, L'Empreinte, 1896, page 110. — S'apprivoiser à, avec : Ø 16. Je m'apprivoise au lit de fange, où je me vautre. FRANÇOIS PONSARD, Lucrèce, 1843, II, 1, page 31. Ø 17. À la vérité ces vues nouvelles l'étonnent, mais il s'apprivoise peu à peu avec elles. ABBÉ HENRI BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, tome 4, 1920, page 122. — Devenir plus sage, plus avisé : Ø 18. — Ah! murmura la mère, quelle fille légère! quel aveuglement! quatre-vingt mille livres de rente! chère madame et ne pas savoir ce que c'est, les dédaigner! enfin, une fois mariée, elle s'apprivoisera. LOUIS-ÉMILE-EDMOND DURANTY, Le Malheur d'Henriette Gérard, 1860, page 213. Remarque : 1. Les sens figurés de apprivoiser ont pour pendant ceux de l'adjectif sauvage. 2. Lorsque apprivoiser se construit avec une préposition, il devient le siège d'une ellipse : (s')apprivoiser [de manière à se familiariser] avec quelque chose, [s'accouder ou s'adapter] à quelque chose; le choix de la préposition est déterminé par la nature du concept verbal implicite. STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 405. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 382, b) 396; XXe. siècle : a) 557, b) 845.