Définition: ALTÉRÉ2, -ÉE, participe passé, adjectif et substantif. I.— Participe passé de altérer2* II.— Emploi adjectival. A.— [En parlant d'une personne, d'un animal, d'une chose concrète] Qui a soif. Homme altéré, bouche altérée (Dictionnaire universel de la langue française (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845) : Ø 1. Par certaines journées d'énergie, où le sentiment de son malheur accroissait son exaspération, il regardait Lisbeth, comme un voyageur altéré, qui, traversant une côte aride, doit regarder une eau saumâtre. HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette, 1846, page 69. Ø 2. Le vieux musicien surtout était altéré comme une citerne vide, il buvait sans cesse et demandait toujours à boire; tout à coup, il se leva, prit la bouteille à plein ventre, l'entra dans sa bouche jusqu'à moitié du goulot et la vida sans désemparer; ensuite il reprit sa place et se mit à rire. MAXIME DU CAMP, Le Nil, Égypte et Nubie, 1854, page 118. Ø 3. À d'énormes distances s'élevaient des palmiers épanouissant leur éventail poudreux près de quelque source souvent tarie, dont les chevaux altérés fouillaient la vase de leurs narines sanglantes. THÉOPHILE GAUTIER, Le Roman de la momie, 1858, page 339. — Par extension. [En parlant d'une plante] : Ø 4. Donnez-leur donc l'essor. Que le jeune bouton Espère le zéphire, et craigne l'aquilon; À ce lys altéré versez l'eau qu'il implore : ... ABBÉ JACQUES DELILLE, L'Homme des champs ou les Géorgiques françaises, Quatrième chant, 1800, page 129. Ø 5. Des hommes travaillent autour des cotonniers altérés; de profondes crevasses entr'ouvrent la terre desséchée et soulevée par larges écailles qui craquent et se pulvérisent sous les pieds. Le Nil baisse chaque jour davantage; la chaleur est aiguë comme une brûlure. MAXIME DU CAMP, Le Nil, Égypte et Nubie, 1854, page 260. B.— Altéré de + substantif désignant un inanimé concret ou abstrait. 1. [En parlant d'un animal] Altéré de sang : Ø 6. Souvent le chatpard, altéré de sang, qui était descendu des montagnes en amortissant sur les mousses discrètes son pas qui les foule à peine, en contenant son miaulement de tigre, en voilant ses yeux ardents qui brillent dans la nuit comme des lumières errantes... CHARLES NODIER, Trilby ou le lutin d'Argail, 1822, pages 132-133. — Par métaphore et souvent dans le langage poétique. [En parlant d'une personne] : Ø 7. Un Suisse vert-lézard caparaçonné d'or, Qui, jaloux de servir les vertus de Madame, Pour la première fois sut dégainer sa lame. Comme tous les chasseurs, ce fat malencontreux Des pieds de sa maîtresse était fort amoureux; Ce fut donc comme un tigre altéré de carnage Qu'il arrêta Prosper, et, contre tout usage, Le jeta sans façon par la fenêtre, avant De regarder au moins s'il faisait trop de vent. THÉODORE DE BANVILLE, Les Cariatides, Les Baisers de pierre, 1842, pages 57-58. 2. Au figuré. Qui a un vif désir de, qui éprouve un grand besoin de : Ø 8. Ainsi se passa pour moi cet été de solitude et de sécheresse d'âme. La compression de ma vie morale dans cette aridité et dans cet isolement, l'intensité de ma pensée creusant sans cesse en moi le vide de mon existence, les palpitations de mon coeur, brûlant sans aliment réel et se révoltant contre les dures privations d'air, de lumière et d'amour dont j'étais altéré, finirent par me mutiler, par me consumer jusque dans mon corps, et par me donner des langueurs, des spasmes, des abattements, des dégoûts de vivre, des envies de mourir que je pris pour des maladies du corps et qui n'étaient que la maladie de mon âme. ALPHONSE DE LAMARTINE, Les Confidences, Graziella, 1849, page 373. Ø 9. Mon souffle est altéré de ce trésor limpide... Moi, seule en mon chemin et pleurante au milieu, J'ai dit ce que jamais femme ne dit qu'à Dieu. Comme un oiseau dont rien n'avait noué les ailes, Prompte aux illusions, m'envolant après elles, Facile à me créer des thèmes ravissants, J'ai chanté comme vrais bien des bonheurs absents. MARCELINE DESBORDES-VALMORE, Fragments, À madame A. Tastu, 1859, pages 237-238. III.— Emploi comme substantif, rare. A.— Homme assoiffé : Ø 10. Elle se dégagea enfin, troublée tout à coup : — Non, Yann!... Grand-mère Yvonne pourrait nous voir! Mais lui, avec un sourire, chercha les lèvres de sa femme encore et les reprit bien vite entre les siennes, comme un altéré à qui on a enlevé sa coupe d'eau fraîche. JULIEN VIAUD, DIT PIERRE LOTI, Pêcheur d'Islande, 1886, page 267. B.— Vieux. C'est un altéré, " en parlant d'un homme âpre au gain. " (Dictionnaire universel de la langue française (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845). Remarque : DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE (ÉMILE LITTRÉ) précise que cette locution a été usitée autrefois. STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 984. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 2 521, b) 1 436; XXe. siècle : a) 819, b) 770. Forme dérivée du verbe "altérer" altérer ALTÉRER1, verbe transitif. A.— Emploi transitif. 1. Rendre autre, changer, modifier. a) MUSIQUE. · Altérer un accord. " Modifier sa composition spécifique. " (Grand Larousse encyclopédique en dix volumes). · Altérer un intervalle. " Abaisser ou élever, au moyen de dièses ou de bémols, une des deux notes dont il se compose. " (Grand Larousse encyclopédique en dix volumes) : Ø 1. Dans les Contrepoints autres que ceux à l'8ve, il est quelquefois nécessaire d'altérer les intervalles en les renversant THÉODORE DUBOIS, Traité de contrepoint et de fugue, 1901, page 89. · Altérer une note. " La diéser ou la bémoliser. " (Grand Larousse encyclopédique en dix volumes). b) Usuel. Changer les traits, la voix sous l'effet d'une émotion vive : Ø 2. Et l'on crut qu'Éloa le maudirait; mais non, L'effroi n'altéra point son paisible visage, Et ce fut pour le ciel un alarmant présage. ALFRED DE VIGNY, Poèmes antiques et modernes, Éloa, 1837, page 30. Ø 3. Je le regardai avec effroi. ... Ce n'est plus auprès de moi, Charles, que vous pourriez désormais trouver ces ressources nouvelles... Il faudra nous quitter. Ici M. Prévère, dont ces derniers mots avaient altéré la voix, s'arrêta quelques instants, pendant que, livré à mille combats intérieurs, je restai immobile. RODOLPHE TOEPFFER, Nouvelles genevoises, 1839, pages 36-37. 2. Modifier en mal, détériorer, dénaturer, dégrader. a) [La dégradation est spontanée] — [Le sujet et l'objet sont des êtres matériels] : Ø 4. Mon chirurgien, qui partageait avec M. de Clonard le soin de tous ces détails, me proposa aussi de mêler au grog du déjeûner, une légère infusion de quinquina, qui, sans altérer sensiblement le goût de cette boisson, pouvait produire des effets très-salutaires. Voyage de la Pérouse autour du monde (MILET DE MUREAU) tome 2, 1797, page 132. Ø 5. Si les taches qu'ils ont aperçues à sa circonférence étaient des écumes, elles n'apparaîtraient pas sombres sur un globe vingt mille fois plus ardent qu'un boulet rouge : ce n'est que l'action de l'air qui noircit et altère la surface des corps brûlants... JACQUES-HENRI BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature, 1814, page 345. Ø 6.... [des] actions chimiques locales (...) altèrent la nature des dépôts [électrolytiques] ... HIPPOLYTE FONTAINE, Électrolyse, 1885, page 16. Ø 7.... [on reproche au siccatif Courtray] (...) d'enlever à l'huile sa souplesse, d'altérer certaines couleurs... CHARLES MOREAU-VAUTHIER, La Peinture, les divers procédés, les maladies des couleurs, les faux tableaux, préface d'Étienne Dinet, 1933, page 161. — [Le sujet et l'objet sont des entités abstraites] : Ø 8. Il ne me cachait pas (ce dont j'étais bien convaincu d'avance) que cette manière d'être, à laquelle il devait sa fortune, avait singulièrement altéré sa réputation, et il venait me consulter pour que je lui indiquasse le moyen de se réhabiliter dans le monde. VICTOR-JOSEPH ÉTIENNE, DIT DE JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, tome 2, 1812, pages 372-373. Ø 9. Aucune hypocrisie ne venait altérer la pureté de cette âme naïve, égarée par une passion qu'elle n'avait jamais éprouvée. Elle était trompée, mais à son insu, et cependant un instinct de vertu était effrayé. Tels étaient les combats qui l'agitaient quand Julien parut au jardin. HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Le Rouge et le noir, 1830, page 66. Ø 10. En pervertissant l'involontaire et le volontaire, la faute altère notre rapport fondamental aux valeurs et ouvre le véritable drame de la morale qui est le drame de l'homme divisé. Un dualisme éthique déchire l'homme par delà tout dualisme d'entendement et d'existence. « Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. » PAUL RICOEUR, Philosophie de la volonté, 1949, page 24. — [Le sujet désigne une personne, l'objet un aspect de l'être humain] : Ø 11. Lettre XXII. Venise, le... Non, Ernest, non, jamais je ne m'habituerai au monde; le peu que j'en ai vu ici m'inspire déjà le même éloignement, le même dégoût qui me poursuit toujours dès que je suis obligé de vivre dans la grande société. Tu as beau vouloir que je cherche par ce moyen à oublier Valérie ou à m'en occuper plus faiblement; y parviendrai-je jamais? Et faut-il encore altérer mon caractère, l'aigrir? BARBARA JULIANE VON VIETINGHOFF, BARONNE DE KRÜDENER, Valérie, 1803, page 88. Ø 12. — Douze ans! répondit Cyrus Smith. Ah! douze ans d'isolement, après une existence maudite peut-être, peuvent bien altérer la raison d'un homme! — Je suis porté à croire, dit alors Pencroff, que cet homme n'est point arrivé à l'île Tabor par naufrage, mais qu'à la suite de quelque crime, il y aura été abandonné. JULES VERNE, L'Île mystérieuse, 1874, page 367. b) [La modification est voulue] Changer la vraie nature d'une chose, falsifier : Ø 13.... l'admission de quelques centaines de spectateurs, encaissés dans un local étroit et incommode, offre-t-elle une publicité proportionnée à l'immensité de la nation? Sur-tout, lorsqu'une foule d'ouvriers mercenaires effraient le corps législatif, pour intercepter ou pour altérer la vérité, par les récits infidèles qu'ils répandent dans toute la république. MAXIMILIEN DE ROBESPIERRE, Discours, Sur la constitution, tome 9, 1793, page 503. Ø 14. Altérer essentiellement les faits [historiques] en les transportant sur la scène, c'est toujours produire une impression désagréable; on s'attend à la vérité, et l'on est péniblement surpris quand l'auteur y substitue la fiction quelconque qu'il lui a plu de choisir... GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, De l'Allemagne, tome 2, 1810, page 284. Ø 15. On se tromperait, si l'on supposait que, dans l'exécution, ces nombreuses variations dans la quantité de métal fin contenue dans les monnaies, fussent aussi simples, aussi claires que je les présente ici pour la commodité du lecteur. Quelquefois l'altération n'était pas avouée, et on la cachait le plus long-temps qu'on pouvait; de là le jargon barbare adopté dans ce genre de manufacture. D'autres fois on altérait une espèce de monnaie et l'on ne changeait rien aux autres; à la même époque, la livre représentée par certaines pièces de monnaie contenait plus d'argent fin que la livre représentée par d'autres pièces. JEAN-BAPTISTE SAY, Traité d'économie politique, 1832, page 265. Ø 16. Chaque député ministériel élève sa prétention et présente sa requête. Ce sont des plaintes sans fin, des assauts continuels. L'orateur le plus obscur se croit en droit d'exiger l'insertion littérale et intégrale de ses élucubrations de tribune. Encore, est-il rarement satisfait! On a omis, à l'en croire, des passages essentiels, altéré la ponctuation, dénaturé le sens d'une phrase. L'assaisonnement n'est jamais ce qu'il devrait être. LOUIS REYBAUD, Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale, 1842, pages 125-126. Ø 17. On trouvera, dans la thèse de Boettcher, une étude consciencieuse de la manière dont Beethoven en use, sans gêne et sans égards, avec les textes qu'il emploie. — Il commence par y faire son choix, prenant d'un poème telle ou telle strophe et supprimant le reste, — combinant même deux poésies ensemble. Il altère les textes, ajoute, coupe, ou change des mots. Il y introduit son Moi envahissant, par des « ja! » énergiques, qui se soucient peu de la métrique. ROMAIN ROLLAND, Beethoven, tome 1, 1928, pages 162-163. B.— Emploi pronominal. [En parlant d'une chose physique ou morale] Se modifier en mal, se gâter (confer supra A 2) : Ø 18. La santé de Philomène s'était altérée depuis quelque temps. EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Soeur Philomène, 1861, page 57.