Définition: AGENOUILLER, verbe transitif.

Définition: AGENOUILLER, verbe transitif. I.- Emploi transitif. Mettre à genoux. A.- [L'objet désigne une personne, plus rarement un animal] 1. [Le geste est seulement physique] : Ø 1. Il avait empoigné de sa main gauche le collet, la blouse, la chemise et la bretelle du Cabuc. - À genoux, répéta-t-il. Et d'un mouvement souverain le frêle jeune homme de vingt ans plia comme un roseau le crocheteur trapu et robuste et l' agenouilla dans la boue. Le Cabuc essaya de résister, mais il semblait qu'il eût été saisi par un poing surhumain. VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 2, 1862, pages 345-346. 2. [Il s'accompagne d'une intention religieuse d'adoration ou d'humilité] : Ø 2. Et l'enfant, qui, de la chapelle Saint-Ignace où sa mère l' avait agenouillé à prier, venait voir de temps en temps, voyait toujours cette main. EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Madame Gervaisais, 1869, page 186. 3. Au figuré. Humilier profondément : Ø 3. Ce qui me plaisait dans ce récit peu recommandable, c'était le sadisme de la victime et cette inflexible vertu qui finit par jeter à genoux le mari bourreau. C'est cela que je voulais pour moi : agenouiller les magistrats de force, les contraindre à me révérer pour les punir de leurs préventions. Mais je remettais chaque jour l'acquittement au lendemain;... JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots, 1964, page 106. Remarque  : Dans l'exemple 2 la construction agenouiller quelqu'un à + infinitif est archaïque. B.- [L'objet est le plus souvent une entité abstraite] Assujettir à la domination métaphysique, morale ou affective d'un être, d'une valeur. 1. [Dans un contexte religieux, avec une idée d'adoration, d'humilité ou d'humiliation] : Ø 4. Quand elle [Marthe] voulait lui parler [à l'abbé Faujas] (...) de ses besoins d'être guidée, il la faisait taire (...) Et lui, prenait une hauteur plus grande, se mettait hors de sa portée, comme un dieu aux pieds duquel elle finissait par agenouiller son âme. ÉMILE ZOLA, La Conquête de Plassans, 1874, page 1010. Ø 5. Doué par l'hérédité native d'un sentiment profond de la vie religieuse et morale, il s'est engagé, à la suite de savants qui ont été ses maîtres en exégèse, dans l'étude des diverses solutions données par l'humanité aux problèmes de la recherche religieuse et de l'inquiétude morale. Il a pu ainsi agenouiller son imagination devant plusieurs autels, respirer l'arome de bien des encens, répéter les prières de plusieurs liturgies, et participer à la ferveur de plusieurs cultes. PAUL BOURGET, Essais de psychologie contemporaine, 1883, page 47. Ø 6. Je viens te prier, toi qu'on proscrit. Toi qu'on souille, Je viens avec des pleurs te laver. J' agenouille La lumière devant ton horreur, et l'espoir Devant les coups de foudre empreints sur ton front noir! VICTOR HUGO, La Fin de Satan, Hors terre 3, L'ange liberté 7, 1885, pages 927-928. 2. [Dans le domaine de l'affectivité envers une personne ou une oeuvre aimée ou admirée] : Ø 7. Avant de s'imposer à la foule, son oeuvre [l'oeuvre de C. Franck] agenouilla quelques jeunes gens... ALFRED BRUNEAU, La Musique française, 1901, page 112. 3. [Avec une idée de servilité] : Ø 8. Va, rends-moi mille fois ma liberté ravie, Je reviendrai toujours t' agenouiller ma vie; Je reviendrai toujours, esclave, en ton chemin Mettre un pied sur ta trace, et mon cou sous ta main. ALPHONSE DE LAMARTINE, La Chute d'un ange, 1838, page 869. II.- Emploi pronominal . S'agenouiller. A.- Se mettre à genoux. 1. [Le geste est seulement physique] a) [Le sujet est une personne] : Ø 9.... où elle passa [sainte Élisabeth] les premiers temps de son séjour à Marbourg, on voit une fontaine à triple jet qu'on appelle Elisabethsbrunn. C'est là qu'elle lavait elle-même le linge des malades : une large pierre bleue, sur laquelle elle s'agenouillait pendant ce rude travail, a été transportée dans l'église et s'y voit encore. CHARLES, COMTE DE MONTALEMBERT, Histoire de Sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231), 1836, pages 343-344. Ø 10. Il apercevait alors quelque adversaire plus tenace : une renoncule, une oseille sauvage, et s'acharnait à l'extraire. Parfois c'était un liseron à la racine interminable, parfois une quintefeuille, parfois un pissenlit qui n'entendait pas céder. Alors il s'agenouillait et commençait de fouir. D'une main, de l'autre, il saisissait les chiendents, les euphorbes, les herbes folles. GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Vue de la Terre promise, 1934, page 117. Ø 11. Catherine soupirait, elle s'agenouillait sur son lit ou elle allait s'accouder à la fenêtre, au-dessus de la campagne noire et moite que des éclairs de chaleur illuminaient toutes les nuits. PAUL NIZAN, La Conspiration, 1938, page 155. b) [Le sujet est un animal] : Ø 12. Le cavalier s'accroupit sur le dos de l'animal; un anneau passé dans les narines de celui-ci, sert à le conduire : il est très obéissant; à un certain bruit du cavalier, l'animal s'agenouille, pour lui donner la facilité de descendre. EMMANUEL DIEUDONNÉ, COMTE DE LAS CASES, Le Mémorial de Sainte-Hélène, tome 1, 1823, page 135. Ø 13. Il avait dressé pour Laure un joli cheval qui s'agenouillait devant elle, et la suivait comme un mouton bridé. JULES SANDEAU, Sacs et parchemins, 1851, page 11. 2. [Le geste physique a une signification, attitude de respect de dévotion ou d'humilité. Le sujet est une personne] a) RELIGION. [Avec une intention de prière, d'adoration à l'égard de Dieu, de vénération à l'égard d'un objet religieux] : Ø 14. Il n'y a que ceux qui passent leurs jours à oublier de vivre qui se détournent de la mort comme d'un spectacle importun. Ceux qui s'agenouillent soir et matin pour rendre grâce ne passent jamais indifférents devant un cercueil. AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Lélia, 1833, page 302. Ø 15. La sainte Vierge, la tête ceinte d'un léger diadème, s'agenouille devant l'enfant Jésus [dans la Vierge au Voile de Raphaël] ... THÉOPHILE GAUTIER, Guide de l'amateur au Musée du Louvre, 1872, page 34. Ø 16. Il suivait l'office en remuant les lèvres, le nez dans son bouquin. Bon. Bon. Mais à l'élévation, au lieu de se servir du prie-Dieu qui était devant lui - j'aurais encore compris ça - non, le voilà qui s'agenouille par terre, et qui se prosterne sur les dalles. Moi, au contraire, j'étais resté debout. ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Belle saison, 1923, page 815. Ø 17. Un besoin poignant d' adorer, de s'agenouiller n'importe où au milieu d'un travail, et quelquefois sur la place publique le saisissait. Besoin impérieux, irrésistible, presque physique, semblable aux tempêtes qui viennent du bout de l'univers et obligent les arbres à se courber devant elles désespérément. MARCEL JOUHANDEAU, Monsieur Godeau intime, 1926, page 254. Ø 18. À l'église, où chacun peut « noter le bien et le mal d'autrui », suivez très exactement, en vous asseyant, vous levant ou vous agenouillant, tout ce que requiert le rite. Après la bénédiction, laissez la foule s'écouler; inclinez-vous successivement devant chaque autel; puis, si vous êtes en compagnie de dames, attendez-les, et partez la dernière. EDMOND FARAL, La Vie quotidienne au temps de Saint Louis, 1942, page 134. Ø 19. La Ducor arrive dans son appartement, sort de son manteau la statue du petit roi de gloire et la met sur un meuble. Mère Marie de l'incarnation s'agenouille pour la vénérer. GEORGES BERNANOS, Dialogues des carmélites, 1948, 5 e. tableau, 15, page 1717. - [Avec une idée de soumission humiliante] : Ø 20. Le prêtre lui fit un signe : « Mettez-vous à genoux sur ce coussin. » Sabot restait debout, honteux d'avoir à s'agenouiller. Il bredouilla : « C'est-il bien utile? » Mais l'abbé était devenu majestueux : « On ne peut approcher qu'à genoux du tribunal de la pénitence. » GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, La Confession de Théodule Sabot, 1883, page 40. - Par métaphore : Ø 21. [cathédrale de Tolède] cinq nefs partagent l'église : celle du milieu est d'une hauteur démesurée, les autres semblent à côté d'elle incliner la tête et s'agenouiller en signe d'adoration et de respect. THÉOPHILE GAUTIER, Tra los montes, Voyage en Espagne, 1843, page 149. b) HISTOIRE. [Avec une intention de déférence à l'égard d'un chef hiérarchique] : Ø 22. Le duc de Bourgogne s'inclina humblement et s'agenouilla ; le dauphin lui prit la main, l'embrassa et voulut le faire lever; mais il s'y refusa au premier instant, disant : « Monseigneur, je sais comment je dois vous parler. » PROSPER DE BARANTE, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, tome 4, 1821-1824, page 236. Ø 23....la vénération avec laquelle vous vous agenouillerez aux pieds de votre Roi rehaussera la noblesse de votre caractère... ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Monsieur Bergeret à Paris, 1901, page 301. c) [Avec un sentiment d'admiration, d'adoration à l'égard d'une personne aimée] : Ø 24. Son mari ne lui avait jamais pris les pieds dans ses deux mains pour les baiser; jamais non plus, il ne s'était agenouillé pour lui dire qu'il l' adorait. Cependant, elle l'aimait bien; mais elle s'étonnait que l'amour n'eût pas plus de douceur. ÉMILE ZOLA, Pot-Bouille, 1882, page 72. Ø 25. Il s'agenouilla, baisa mes bottines, les pétrit de ses doigts fébriles et caresseurs, les délaça... et, en les baisant, les pétrissant, les caressant, il disait d'une voix suppliante, d'une voix d'enfant qui pleure : - Oh! Marie... Marie... OCTAVE MIRBEAU, Le Journal d'une femme de chambre, 1900, page 19. Ø 26.... il avait trouvé Cécile seule; et il s'était agenouillé de tout son être devant elle, pour lui mettre au doigt cette bague, l'anneau, la chaîne... Tout un passé de jeunesse, de tendresse... Ah, ce désir sincère et fou qu'il avait, de donner et de prendre le bonheur!... ROGER MARTIN DU GARD, Jean Barois, 1913, page 309. Ø 27. Il la vit ardente, candide, entendue, délicate, pleine de Dieu, belle à en mourir. Il s'agenouilla, il se prosterna, il s'anéantit devant elle, une fois de plus, dans l'incognito de son coeur. JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 2, 1933, page 179. B.- Au figuré . [Avec une valeur généralement favorable, exceptionnellement défavorable. Le sujet est une personne, l'objet est une entité abstraite] Se soumettre à certaines exigences, certaines qualités d'ordre religieux, sentimental ou moral. - [Avec une idée de respect] : Ø 28. Si tu savais comme je me sens le frère des petites filles qui, avec une grande fortune, de beaux cheveux et connaissant déjà le monde, entrent au couvent. Bérénice, tiens, en réalité, je m'agenouille devant sa simplicité. MAURICE BARRÈS, Le Jardin de Bérénice, 1891, page 134. Ø 29. En disant adieu au monde, je veux en votre personne dire adieu à tout mon passé. Je m'agenouille devant tout ce qu'il y avait de beau dans ma vie. ALBERT CAMUS, Les Possédés, adapté de Fédor Dostoïevski, 1959, page 1094. - Péjoratif : Ø 30.... aucune ébauche de discorde ne s'éleva entre les hommes; ils s'agenouillaient souvent devant les plus futiles caprices de leurs maîtresses, mais pas un d'eux n'eût hésité un instant entre la femme et l'ami. HENRI MURGER, Scènes de la vie de bohème, 1851, page 173. Ø 31. Ce sont les braves qui meurent à la guerre. Pour ne pas y être tué, il faut un grand hasard ou une grande habilité. Il faut avoir courbé la tête ou s'être agenouillé au moins une fois devant le danger. Les soldats qui défilent sous les arcs de triomphe sont ceux qui ont déserté la mort. JEAN GIRAUDOUX, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935, I, 6, pages 61-62. Remarque : 1. L'exemple 30 n'est pas sans rappeler le dicton populaire À la quenouille, le fort s'agenouille (confer Grand dictionnaire universel du XIXe . siècle (Pierre Larousse), Nouveau Larousse illustré). Remarque : 2. Immédiatement après le verbe faire, s'agenouiller se réduit souvent à la forme non-pronominale : Ø 32. Le tisserand seul priait, le père et la mère faisaient agenouiller leurs enfants. Tous, sans se voir, priaient ensemble. JULES MICHELET, Journal, mars 1841, page 359. Ø 33.... les chameaux glissent des quatre pieds sur les pentes de sable, et crient désespérément en agitant leurs grands cous; on doit alors les décharger, les faire agenouiller, les charger de nouveau, puis la marche reprend. JEAN THARAUD, JÉRÔME THARAUD, La Fête arabe, 1912, pages 257-258. La forme pronominale reste si faire ne précède pas immédiatement (s'agenouiller, mais lever = se lever) : Ø 34. Allez à l'église, à quatre vingts sur cent il faut que le bedeau guide les fidèles, les fasse lever, s'agenouiller. Ils ne savent pas. MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 9, 1 janvier-1 avril 1912, page 272. Remarque : 3. S'agenouiller est fréquemment employé en construction absolue (exemple 10, 12, 14, 17, 18, 20, 21, 22, 34) avec parfois un complément de but (exceptionnellement à, le plus souvent pour + infinitif : exemple 14, 18, 24). - S'agenouiller se construit plus souvent avec un complément de lieu (péroposition à, par [terre] , dans et surtout sur, s'il s'agit d'un lieu proprement dit; aux pieds de (EXEMPLE 4, 23) et surtout devant s'il s'agit de la divinité, d'une personne, d'un objet, d'une entité (exemple 5, 6, 13, 19, 26, 27, 28, 29, 30, 31)). Remarque : 4. a) Synonymes : (se) courber, fléchir, (s') incliner, (se) plier, (se) prosterner, révérer, vénérer. b) Antonymes : affronter, (se) dresser (contre), faire face à, (se) lever, rehausser, (se) révolter, tenir tête à.     STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 1 109. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 1 110, b) 1 610; XXe. siècle : a) 2 395, b) 1 462.