début ; puis un jour je les vis tous occupés à tracer sur le papier des lignes horizontales ondulées.
Publié le 06/01/2014
Extrait du document
«
de
nature intellectuelle.
Lapossession del’écriture multiplieprodigieusement l’aptitudedeshommes àpréserver les
connaissances.
Onlaconcevrait volontierscommeunemémoire artificielle, dontledéveloppement devrait
s’accompagner d’unemeilleure conscience dupassé, doncd’une plusgrande capacité àorganiser leprésent etl’avenir.
Après avoiréliminé touslescritères proposés pourdistinguer labarbarie delacivilisation, onaimerait aumoins retenir
celui-là : peuplesavecousans écriture, lesuns capables decumuler lesacquisitions anciennesetprogressant deplus en
plus vitevers lebut qu’ils sesont assigné, tandisquelesautres, impuissants àretenir lepassé au-delà decette frange que
la mémoire individuelle suffitàfixer, resteraient prisonniers d’unehistoire fluctuante àlaquelle manqueraient toujours
une origine etlaconscience durableduprojet.
Pourtant, riendeceque nous savons del’écriture etde son rôle dans l’évolution nejustifie unetelle conception.
Une
des phases lesplus créatrices del’histoire del’humanité seplace pendant l’avènement dunéolithique : responsablede
l’agriculture, deladomestication desanimaux etd’autres arts.Pour yparvenir, ila fallu que, pendant desmillénaires, de
petites collectivités humainesobservent, expérimentent ettransmettent lefruit deleurs réflexions.
Cetteimmense
entreprise s’estdéroulée avecunerigueur etune continuité attestéesparlesuccès, alorsquel’écriture étaitencore
inconnue.
Sicelle-ci estapparue entrele4e et le3e millénaire avantnotreère,ondoit voirenelle unrésultat déjà
lointain (etsans doute indirect) delarévolution néolithique, maisnullement sacondition.
Àquelle grande innovation est-
elle liée ? Surleplan delatechnique, onnepeut guère citerquel’architecture.
MaiscelledesÉgyptiens oudes Sumériens
n’était passupérieure auxouvrages decertains Américains quiignoraient l’écritureaumoment deladécouverte.
Inversement, depuisl’invention del’écriture jusqu’àlanaissance delascience moderne, lemonde occidental avécu
quelque cinqmille années pendant lesquelles sesconnaissances ontfluctué plusqu’elles nesesont accrues.
Onasouvent
remarqué qu’entrelegenre devie d’un citoyen grecouromain etcelui d’un bourgeois européenduXVIII esiècle iln’y
avait pasgrande différence.
Aunéolithique, l’humanitéaaccompli despasdegéant sanslesecours del’écriture ; avec
elle, lescivilisations historiquesdel’Occident ontlongtemps stagné.Sansdoute concevrait-on mall’épanouissement
scientifique duXIXeet du XXesiècle sansécriture.
Maiscette condition nécessaire n’estcertainement passuffisante
pour l’expliquer.
Si l’on veut mettre encorrélation l’apparition del’écriture aveccertains traitscaractéristiques delacivilisation, ilfaut
chercher dansuneautre direction.
Leseul phénomène quil’ait fidèlement accompagnée estlaformation descités etdes
empires, c’est-à-dire l’intégration dansunsystème politique d’unnombre considérable d’individusetleur hiérarchisation
en castes eten classes.
Telleest,entout cas,l’évolution typiqueàlaquelle onassiste, depuisl’Égypte jusqu’àlaChine, au
moment oùl’écriture faitson début : elleparaît favoriser l’exploitation deshommes avantleurillumination.
Cette
exploitation, quipermettait derassembler desmilliers detravailleurs pourlesastreindre àdes tâches exténuantes, rend
mieux compte delanaissance del’architecture quelarelation directeenvisagée toutàl’heure.
Simon hypothèse est
exacte, ilfaut admettre quelafonction primaire delacommunication écriteestdefaciliter l’asservissement.
L’emploide
l’écriture àdes fins désintéressées, envue detirer dessatisfactions intellectuelles etesthétiques, estunrésultat
secondaire, simême ilne seréduit pasleplus souvent àun moyen pourrenforcer, justifieroudissimuler l’autre.
Il existe cependant desexceptions àla règle : l’Afrique indigène apossédé desempires groupant plusieurscentaines
de milliers desujets ; dansl’Amérique précolombienne, celuidesInca enréunissait desmillions.
Mais,danslesdeux
continents, cestentatives sesont montrées également précaires.Onsait que l’empire desInca s’est établi auxenvirons
du XIIesiècle ; lessoldats dePizarre n’enauraient certainement pastriomphé aiséments’ilsnel’avaient trouvé,trois
siècles plustard, enpleine décomposition.
Simal connue quenous soitl’histoire ancienne del’Afrique, nousdevinons
une situation analogue : degrandes formations politiquesnaissaient etdisparaissaient dansl’intervalle dequelques
dizaines d’années.
Ilse pourrait doncquecesexemples vérifiassent l’hypothèse aulieu delacontredire.
Sil’écriture n’a
pas suffi àconsolider lesconnaissances, elleétait peut-être indispensable pouraffermir lesdominations.
Regardonsplus
près denous : l’action systématique desÉtats européens enfaveur del’instruction obligatoire,quisedéveloppe aucours
du XIXesiècle, vade pair avec l’extension duservice militaire etlaprolétarisation.
Lalutte contre l’analphabétisme se
confond ainsiaveclerenforcement ducontrôle descitoyens parlePouvoir.
Carilfaut quetous sachent lirepour quece
dernier puissedire :nuln’est censé ignorer laloi.
Du plan national, l’entreprise estpassée surleplan international, grâceàcette complicité quis’est nouée, entrede
jeunes États–confrontés àdes problèmes quifurent lesnôtres ilya un ou deux siècles –et une société internationale de
nantis, inquiète delamenace quereprésentent poursastabilité lesréactions depeuples malentranés parlaparole
écrite àpenser enformules modifiables àvolonté, etàdonner priseauxefforts d’édification.
Enaccédant ausavoir
entassé danslesbibliothèques, cespeuples serendent vulnérables auxmensonges quelesdocuments imprimés
propagent enproportion encoreplusgrande.
Sansdoute lesdés sont-ils jetés.Mais,dansmonvillage nambikwara, les
fortes têtesétaient toutdemême lesplus sages.
Ceuxquisedésolidarisèrent deleur chef après qu’ileutessayé dejouer
la carte delacivilisation (àlasuite dema visite ilfut abandonné delaplupart dessiens) comprenaient confusémentque
l’écriture etlaperfidie pénétraient chezeuxdeconcert.
Réfugiés dansunebrousse pluslointaine, ilsse sont ménagé un
répit.
Legénie deleur chef, percevant d’unseulcoup lesecours quel’écriture pouvaitapporter àson pouvoir, et
atteignant ainsilefondement del’institution sansenposséder l’usage,inspirait cependant l’admiration.
Enmême temps,.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Victor HUGO, Les Contemplations, « Un jour je vis, debout au bord des flots mouvants ». Extrait commenté
- « Sur la route de Pompéi », texte pp. 18-21, depuis : « Le chemin de fer par lequel on va à Pompéi... » jusqu'à : «... sous un jour aveuglant» (lignes 70 à 117) - Théophile Gautier : Arria Marcella
- « J'éprouve une répulsion invincible à mettre sur le papier quelque chose de mon coeur... », écrivait Flaubert. George Sand réplique : « Ne rien mettre de son Coeur dans ce qu'on écrit? Je ne comprends pas du tout, oh! mais pas du tout. Moi, il nie semble qu'on ne peut pas y mettre autre chose.» Montrez l'importance du problème littéraire posé par ces quelques lignes, et discutez les deux opinions à l'aide d'exemples empruntés aux grands écrivains.
- Commentez ces lignes d'André Maurois : «La plupart des écrivains, consciemment ou non, fardent la vie ou la déforment ; les uns parce qu'ils n'osent pas montrer la vanité de tout ce à quoi s'attachent les hommes et eux-mêmes ; les autres parce que leurs propres griefs leur cachent ce qu'il y a, dans le monde, de grandeur et de poésie ; presque tous parce qu'ils n'ont pas la force d'aller au-delà des apparences et de délivrer la beauté captive. Observer ne suffit pas ; il faut pénétrer
- Expliquez et s'il y a lieu discutez ces lignes de Jean-Paul Sartre : «Il n'est pas vrai qu'on écrive pour soi-même : ce serait le pire échec; en projetant ses émotions sur le papier, à peine arriverait-on à leur donner un prolongement languissant... Il n'y a art que pour et par autrui.» (Qu'est-ce que la littérature?, 1947, Gallimard, coll. Folio/Essais, p. 49-50)