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dans quelles circonstances exactes ont été tuées Lorka et Frydka.

Publié le 06/01/2014

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dans quelles circonstances exactes ont été tuées Lorka et Frydka. Elle dit qu'elle ne sait même pas ce qui est arrivé à sa propre famille, a-t-il ajouté. C'est cette dernière remarque qui m'a fait renoncer à l'envie de poser d' autres questions. Mais je savais ceci : novembre 1942 était la dernière fois qu'une personne encore en vie aujourd'hui avait vu Lorka, c'est-à-dire un visage que je ne connaîtrais jamais.   A ce moment-là, le plateau sur la table basse était couvert de miettes et les verres de Coca perlaient dans la chaleur. Nous avions parlé pendant un peu plus d'une heure et demie, et j'avais le sentiment qu'Anna nous avait raconté tout ce qu'elle pouvait dire sur ma famille, ce matin-là. Je me disais, Et si quelqu'un venait me voir, dans quarante ans, et me demandait ce dont je me souvenais d'un garçon qui avait grandi près de chez moi, d'un garçon qui était au cours élémentaire avec moi ? De Danny Wasserman, par exemple, le garçon blond qui habitait de l'autre côté de la rue quand j'étais petit, qui était un peu plus âgé que moi, dont je me souviens qu'il avait les cheveux blonds, qu'il aimait faire du sport, qu'il était grand et gentil. Que pourrais-je bien dire ? J'étais donc très reconnaissant à l'égard d'Anna Heller Stern, ce matin-là. J'étais reconnaissant pour l'histoire des fraises, j'étais légèrement et bizarrement excité d'avoir découvert que je ne savais toujours rien de précis sur ce qui était arrivé à Shmiel, et bouleversé à l'idée que la fille sur la photo n'était pas Lorka, en fait - et qui pouvait mieux le savoir que cette femme qui l'avait connue pendant si longtemps ? -, ce qui signifiait qu'il n'existait plus nulle part de photo de cette jeune fille. Il se trouve que ce n'était pas encore le choc ultime, la déception ultime, l'ultime ajustement nécessaire concernant l'histoire de la famille. Comme nous étions fatigués, comme je pensais que nous avions obtenu tout ce que nous pouvions raisonnablement espérer, compte tenu du caractère bouleversant que cela pouvait avoir pour Anna, je commençais à réfléchir à la manière de mettre un terme à la conversation. De toute façon, il fallait que je me prépare pour l'énorme réunion de famille qu'avait organisée Elkana dans l'après-midi, le rassemblement où « tous les cousins » allaient être présents pour faire la connaissance de ce parent américain inconnu qui, ils en avaient été informés, écrivait un livre sur la mishpuchah. J'ai donc posé une question qui, je le croyais, allait permettre à notre longue conversation de prendre fin. Se souvenait-elle d'autres Jäger à Bolechow ? ai-je demandé. Ayant parlé avec le groupe de Sydney trois mois plus tôt, j'avais connaissance des lointains cousins Jäger qui possédaient la cukierna, la confiserie ; les frères Jäger, dont l'un se prénommait Wiktor, le fils (j'en étais sûr) de la Chaya Sima Jäger dont Matt avait vu, de façon tellement improbable, la pierre tombale depuis la voiture d'Alex, ce jour-là, le Wiktor dont la soeur était la mère de Yulek Zimmerman, le garçon dont j'avais cru, jusqu'alors, qu'il était l'unique petit ami de Lorka. Peut-être qu'Anna savait quelque chose à ce sujet, m'étais-je dit. Mais, alors qu'elle parlait à Shlomo, elle a préféré mentionner  quelque chose à propos de Yitzhak Jäger. Oncle Itzhak ! C'était étrange de penser qu'il y avait ici en Israël des gens qui se souvenaient de lui à l'époque de ses années à Bolechow, avant qu'il ait - Tante Miriam, en fait - l'intuition de s'en aller. Elle a parlé un bon moment et puis Shlomo s'est tourné vers moi pour dire, Itzhak Jäger avait une boucherie, mais pas dans le Rynek... (le Rynek était l'endroit où la boucherie se trouvait à l'époque de mon grand-père, je le savais, et Shlomo savait que je le savais : j'avais la photo tirée du livre Yizkor, une photo d'un côté du Rynek avec le bâtiment de la mairie et, juste en face, un bâtiment assez bas sous lequel mon grand-père avait tracé une flèche pour indiquer où se trouvait la boucherie de sa famille) ... pas dans le Rynek, disait Shlomo, mais en face du moulin. Elle était là. Et de cette boucherie, il s'est enfui de Bolechow. Sachant désormais quels sont les inconvénients de travailler en plusieurs langues en même temps, j'ai dit, Vous voulez dire qu'il a laissé cette boucherie quand il a quitté Bolechow ? Shlomo a secoué la tête. J'ai dit, Vous voulez dire qu'il ne voulait pas être là ? J'étais troublé. Shlomo m'a regardé. Il a dû s'enfuir, a-t-il dit. J'ai dit, Pourquoi a-t-il... qu'est-ce que ça veut dire ? Anna observait notre échange et elle a dit à Shlomo, Er vill vissn ? Il veut savoir ? Shlomo s'est tourné vers moi et m'a posé la question pour elle, même si je n'avais pas besoin de sa traduction, Vous voulez vraiment savoir ? Et j'ai répondu, Oui. Anna s'est alors lancée dans une longue histoire. Je savais que ce serait long à la façon dont elle a pris son souffle, au rythme de ses phrases en yiddish, à ces voyelles mûres et à ces consonnes gargouillantes qui se déroulaient dans la pièce comme un écheveau de laine épaisse. Elle a parlé pendant quelques minutes, assise sur le bord de son fauteuil, son regard ne cessant d'aller de Shlomo à moi. Lorsqu'elle a terminé, elle s'est calée dans le fauteuil en poussant le soupir de quelqu'un qui vient de finir un travail pénible. Shlomo a dit, OK. Ils étaient clients de la boucherie d'Itzhak Jäger (les parents d'Anna, voulait-il dire). Donc à un moment donné quand Itzhak s'est fait construire une jolie maison, pas très loin de chez Shmiel, ils ont fait une grande caveau. Cave, ai-je dit. Une grande cave, oui. Et elle a dit qu'à un moment donné, une année, il était difficile de trouver du veau. Non, non, non - on ne trouvait pas de veau. J'avais un peu de mal à suivre. On ne trouvait pas de veau, avait-il dit. Pourquoi ? Je me suis demandé, à voix haute, s'il n'y avait pas eu peut-être une plaie sur le bétail, légèrement gêné, pour des raisons que je ne discerne toujours pas très bien, à l'idée que ce mot biblique de « plaie », un peu ridicule et démodé, me soit venu à l'esprit parce que j'étais en Israël. Shlomo a dit que c'était peut-être ça, que les vaches ne vêlaient pas cette année-là. Shlomo a poursuivi. Un jour, a-t-il dit, une femme est venue voir une autre femme et elle a vu dans sa cuisine qu'elle avait du veau. Elle a donc demandé, Où as-tu trouvé du veau ? Et l'autre femme a répondu - ici Shlomo est revenu au yiddish sans le traduire - bay Itzhak Jäger. Parce que j'avais grandi en entendant souvent du yiddish, je savais que ce bay était tiré de l'allemand bei : « chez ». Zey zent behalten bay a lehrerin. Ils ont été capturés chez une institutrice. Bay Itzhak Jäger. Chez Itzhak Jäger. Bay Itzhak Jäger, a répété Shlomo. Bay Itzhak Jäger, ai-je répété. Shlomo a dit, L'information a donc circulé de l'une à l'autre, puis une autre encore - c'était une petite ville. Tout le monde s'est mis à acheter du veau chez Itzhak Jäger. Et c'est alors qu'ils ont découvert comment il se procurait son veau : il allait très loin dans la campagne pour acheter un jeune veau, qu'il ramenait dans sa cave pour le tuer lui-même, et c'est comme ça qu'il avait du veau à vendre. Même si vous n'êtes pas le descendant, comme moi, d'une longue lignée de bouchers cascher, vous savez ce que ça veut dire. Comme le veau n'avait pas été tué par un shochet, un abatteur rituel, la viande n'était pas cascher. Shlomo me dévisageait et hochait la tête. Il a dit, d'une voix forte, Donc ! Ce n'était pas cascher ! Il était ravi de raconter cette histoire excitante, qu'il avait été trop jeune à l'époque - peut-être n'était-il même pas né - pour connaître. Il a continué, Un professionnel doit faire abattre l'animal de façon cascher ! Alors les rabbins, les rabbins de Bolechow, ont affiché une pancarte qui disait que cette boucherie n'était pas cascher, ne vendait pas de la viande cascher ! Et toutes les femmes religieuses ont dû casser leurs assiettes chez elles. Et ça a été un grand scandale ! Il a ajouté son propre commentaire, Vous savez, la viande cascher coûtait le double de ce que coûtait la viande ordinaire. C'est comme ça que Itzhak a pu faire construire sa grande maison ! Je n'ai rien dit pendant un moment. Puis j'ai demandé, C'était en quelle année ? Shlomo a demandé à Anna et il a dit, Elle avait dix ans environ. 1930, me suis-je dit. Juste avant qu'Itzhak vienne en Palestine. Juste à temps ! C'était une sioniste ! Je pensais que c'était la fin de l'histoire, quand Shlomo s'est brusquement levé de son siège et s'est écrié, Vous voyez ? Vous voyez ? Vous voyez ? Je veux vous dire une chose très importante. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il allait dire. Shlomo m'a regardé. II a dit, en ayant du mal à réprimer son émotion, Je veux vous dire quelque chose de très important. Ma mère était une frum, une femme très religieuse. Elle était cachée parce qu'elle savait que les Allemands voulaient l'arrêter. Mais elle est quand même sortie de sa cachette pour faire Pesach, à cause de Dieu ! Shlomo a pris une longue inspiration. Comme tant d'hommes qui sont corpulents et n'ont pas peur de montrer leurs émotions, il avait l'air de gonfler, de devenir plus gros, pendant qu'il parlait, la voix tremblante. Il a dit, Elle est sortie et elle a été tuée. Il m'a regardé avec intensité et j'ai su alors exactement ce qu'il allait dire. J'ai dit, Shlomo, je sais ce que vous allez me dire.

« (le Rynek étaitl'endroit oùlaboucherie setrouvait àl'époque demon grand-père, jelesavais, et Shlomo savaitquejelesavais :j'avais laphoto tiréedulivre Yizkor, unephoto d'uncôtédu Rynek aveclebâtiment delamairie et,juste enface, unbâtiment assezbassous lequel mon grand-père avaittracé uneflèche pourindiquer oùsetrouvait laboucherie desafamille) ...

pas dans leRynek, disaitShlomo, maisenface dumoulin.

Elleétait là.Etde cette boucherie, il s'est enfui deBolechow. Sachant désormais quelssontlesinconvénients detravailler enplusieurs languesenmême temps, j'aidit, Vous voulez direqu'il alaissé cetteboucherie quandila quitté Bolechow ? Shlomo asecoué latête. J'ai dit, Vous voulez direqu'il nevoulait pasêtre là?J'étais troublé.

Shlomom'aregardé.

Iladû s'enfuir, a-t-il dit. J'ai dit, Pourquoi a-t-il...qu'est-ce queçaveut dire ? Anna observait notreéchange etelle adit à Shlomo, Er vill vissn ? Il veut savoir ? Shlomo s'esttourné versmoietm'a posé laquestion pourelle,même sije n'avais pasbesoin de satraduction, Vousvoulez vraiment savoir? Et j'ai répondu, Oui. Anna s'estalors lancée dansunelongue histoire.

Jesavais queceserait longàla façon dontelle a pris sonsouffle, aurythme deses phrases enyiddish, àces voyelles mûresetàces consonnes gargouillantes quisedéroulaient danslapièce comme unécheveau delaine épaisse.

Ellea parlé pendant quelques minutes,assisesurlebord deson fauteuil, sonregard necessant d'aller deShlomo àmoi.

Lorsqu'elle aterminé, elles'est calée danslefauteuil enpoussant le soupir dequelqu'un quivient definir untravail pénible. Shlomo adit, OK.

Ilsétaient clientsdelaboucherie d'ItzhakJäger(lesparents d'Anna, voulait-il dire).

Doncàun moment donnéquandItzhaks'estfaitconstruire unejolie maison, pastrès loin de chez Shmiel, ilsont faitune grande caveau. Cave, ai-jedit. Une grande cave,oui.Etelle adit qu'à unmoment donné,uneannée, ilétait difficile detrouver du veau.

Non,non,non– on netrouvait pasdeveau. J'avais unpeu demal àsuivre.

Onnetrouvait pasdeveau, avait-il dit.Pourquoi ?Je me suis demandé, àvoix haute, s'iln'y avait paseupeut-être uneplaie surlebétail, légèrement gêné, pour desraisons quejene discerne toujourspastrès bien, àl'idée quecemot biblique de « plaie », unpeu ridicule etdémodé, mesoit venu àl'esprit parcequej'étais enIsraël.

Shlomo a dit que c'était peut-être ça,que lesvaches nevêlaient pascette année-là. Shlomo apoursuivi.

Unjour, a-t-ildit,une femme estvenue voiruneautre femme etelle avu dans sacuisine qu'elleavaitduveau.

Elleadonc demandé, Où as-tu trouvé duveau ? Et l'autre femme arépondu – iciShlomo estrevenu auyiddish sansletraduire –  bay Itzhak Jäger.

Parce quej'avais grandi enentendant souventduyiddish, jesavais quece bay était tiréde l'allemand bei : « chez ».

Zey zent behalten bayalehrerin.

Ils ont étécapturés chezune institutrice.

Bay Itzhak Jäger.

Chez Itzhak Jäger.. »

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