Dans d'autres endroits enfin, les guerres de Louis XIV ont beaucoup contribué à cimenter une identité commune, sur une base à laquelle nous ne pensons pas souvent non plus : la haine de la barbarie française.
Publié le 06/01/2014
Extrait du document
«
retour
desFrançais dépassetoutcequ’on peutimaginer, alors,enépouvante : laterre estbrûlée, lesvilles etles
villages sontdétruits méthodiquement, leshabitants quin’ont pasfuietosent protester sontmutilés ou
froidement assassinés.Laville d’Heidelberg garderalongtemps quelquesruinesintactes pourmontrer aumonde
de quoi laFrance étaitcapable.
Durantdesdécennies, nousditSeignobos, danslePalatinat même,parhaine, on
continuera àdonner auxchiens lesnoms desmaréchaux coupablesdeces exactions.
Lecontinent entierensera
atterré.
Oncite toujours lesconséquences culturellesdel’hégémonie françaisesurlespratiques culturelles dela
fin du xvii e
siècle etdu xviii e
: elles sontindéniables.
Grâceouàcause deLouis XIV, l’Europeparlefrançais,
l’Europe pensefrançais etlecontinent secouvre des« petits Versailles » quelesprinces sefont construire surle
modèle dunôtre.
N’oublions pasnon plus lesconséquences desexactions dessoudards duGrand Roi.Lesac du
Palatinat, nousexplique HenryBogdan dansson Histoire
del’Allemagne 3
, a beaucoup fait« pour développer
un sentiment nationalallemand ».
Lepays n’existe pasencore entant quetelmais sesélites sontdéjàsoudées par
un projet commun : pouvoirunjour sevenger deceque laFrance leurafait subir.
La
misère descampagnes etles grandes famines durègne La
société duxviie
est profondément inégalitaire,nuln’en doute.
Écoutons l’excellent PierreGoubert, déjàcité,
qui enaétudié deprès lastructure, etlarésume ainsi :« Neuf sujetsduroi Louis travaillaient deleurs mains
rudement etobscurément pourpermettre audixième deselivrer àdes activités bourgeoises […]ousimplement à
la paresse. » Lavie paysanne, nousapprend-il, estdure etcourte.
Onsemarie tardparce qu’ilfautunpeu debien
pour s’établir, onmeurt jeune, sion ala chance, biensûr,d’avoir survécu àla petite enfance : lestaux demortalité
infantile sontterribles.
Etqui s’en soucie ? « Lamort d’uncheval, ditnotre historien, estplus grave quelamort
d’un enfant. » Seulel’Angleterre etles Provinces-Unies voientleurpopulation augmenter, ailleursellestagne.
L’impôt estécrasant.
Parfois,onn’en peut plusetune révolte éclate,viteréprimée danslesang parlesarmées du
roi.
Lamisère estendémique, desbandes errentdanslescampagnes etsont repoussés desvilles parles« chasse-
gueux », deshommes armésdebâtons quelesautorités emploient spécialement àcet effet.
Onnesait pasgrand-
chose des« sans feunilieu » quicouraient leschemins, louaientleursbraspour unemoisson iciou unpetit travail
ailleurs, etdépérissaient quandiln’y enavait plus.
C’est queparfois, commelesplaies surl’Égypte, tombent surlepays cesfléaux quileravagent depuistoujours,
cette maudite trinité :lapeste, laguerre, lafamine.
Onlesprend pourdescalamités contrelesquelles iln’y arien à
faire qu’àsubir.
Certaines, pourtant,parleur ampleur, dépassent l’imaginable.
Goubertaétudié tout
particulièrement la« famine del’avènement » quifrappe en1661.
Oncite aussi le« grand hyver »de1709,
tellement glacial,tellement sinistrequ’ilvitles loups affamés entrerdanslesvilles pourychercher unpeu dechair
à mordre.
Arrêtons-nous uninstant surlepire deces désastres : latrès grande faminedesannées 1692-1694.
Deux années desuite, lesrécoltes sontgâchées pardes pluies, desgels, desprintemps glaciauxsuivispardes étés
pourris.
Legrain manque, lesprix montent, lespauvres nepeuvent plusacheter.
Lesplus fragiles meurent d’abord
– les bandes d’errants dontonparlait, lesenfants abandonnés.
Lereste suitpeu àpeu.
Tout unpeuple glisseau
tombeau defaim, d’empoisonnement, demaladie –dans cecontexte sanitaire, letyphus etlescorbut ontbien
vite faitleur réapparition.
Autotal, prèsd’un sujet duroyaume surdixdisparaît.
Entreunmillion etdemi etdeux
millions d’enfants, d’adultes,devieillards crevantaubord deschemins l’écumeauxlèvres, ouagonisant surdes
paillasses despires fièvres, desmaladies lesplus atroces, usésd’avoir dûavaler pendant desmois desordures, du
pain deglands, delabouillie d’herbe, desrestes decarnes.
Voilà ceque l’ondécouvre auhasard deslivres.
Quefaire decechiffre proprement ahurissant ?S’enservir pour
montrer l’indifférence dutemps àla souffrance descontemporains ? Ceserait faux.Àchaque famine, desvoix se
sont élevées.
En1661 Bossuet, enchaire, sermonnait lespuissants : « Ilsmeurent defaim ! Ouimessieurs, ils
meurent defaim dans vosterres, dansvoschâteaux. » Aumoment delacatastrophe de1692-1694, l’autregrand
évêque dusiècle, Fénelon, écritsafameuse « lettreàLouis XIV », réquisitoire implacablecontreunroi qui n’aime
plus que« sa gloire etsa commodité », etruine sonpays pour fairelaguerre : « Aulieudetirer del’argent dece
pauvre peuple, ilfaudrait luifaire l’aumône etlenourrir.
LaFrance entière n’estplusqu’un grandhôpital désoléet
sans provisions. » L’évêquen’apas signé lalettre, leroi nelalira pas, mais l’accusation estlà.
À quoi celasert-il ? Pasàgrand-chose.
Partout,desactions decharité semettent enplace.
ÀParis, leroi,
compatissant, feradistribuer « desaumônes àses peuples… ».
Sesministres, successeurs deColbert, fontcequ’ils
peuvent pourtrouver del’argent.
Onessaie aussidetrouver dublé qui n’ait pasétéaccaparé parlesarmées, on
fait même venirdurizd’Égypte, maisbienpeu.
Leclergé distribue dupain, sortlesreliques etorganise des
processions.
Cettefamine, selonunspécialiste citédans France
baroque, Franceclassique 4
, « a fait
pratiquement autantdemorts quelaguerre de14mais endeux ans ».
Qu’ypeut-on ? C’estDieuquil’avoulu.
Faut-il tenirLouis XIV pourdirectement responsabledecette catastrophe ? Leschoses sontpluscomplexes.
On
peut aumoins garder àl’esprit cetautre visage dugrand siècle, untemps oùlamort dedeux millions de
personnes, fautedepain, n’apparaît commeriend’autre qu’unefatalité..
»
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