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cette histoire, et pendant qu'elle s'est éloignée, j'ai parlé de Frydka avec Shlomo, qui avait travaillé avec elle à la Fassfabrik.

Publié le 06/01/2014

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histoire
cette histoire, et pendant qu'elle s'est éloignée, j'ai parlé de Frydka avec Shlomo, qui avait travaillé avec elle à la Fassfabrik. Vous savez, lui ai-je dit, je peux vous dire comment était Frydka rien qu'en voyant les photos, je peux vous dire qu'elle devait se prendre pour une star de cinéma... Shlomo a hoché la tête et pointé vers moi un doigt épais, avec son air de dire, Ha, ha, je vous l'avais bien dit! Et je peux vous dire, m'a-t-il dit, que je pense bien l'avoir vue à la Fassfabrik, parce qu'il y avait deux belles filles à la Fassfabrik que nous, les petits jeunes, on avait déjà remarquées - parce que j'avais entre douze ans et demi et treize ans et demi, treize ans en fait, quand j'étais dans cet endroit --, je me souviens que nous les avions vues, l'une était probablement Frydka et l'autre était Rita, une fille d'une famille de réfugiés qui était venue à Bolechow. Une Flütchling, une fille très belle. Et l'autre, c'était Frydka. Et je me souviens que les deux filles représentaient les femmes à la Fassfabrik. Je me souviens, nous disions, S'il y a bien une fille qui est belle, c'est Frydka ou Rita ! Anna est revenue s'asseoir dans son fauteuil. Est-ce que je voulais de l'eau, un soda, un Coca ? Oui, un Coca, avec plaisir. Pendant qu'elle allait dans la cuisine, Shlomo m'a raconté la seconde histoire concernant Frydka le papillon, une histoire qui appartenait à une période plus sombre. C'est un peu difficile à traduire ! a-t-il dit en riant bruyamment. Anna a dit que, pendant la guerre, quand les gens travaillaient dans les usines, la plupart des filles travaillaient dehors. Mais Frydka, parce qu'elle, vous savez, parce qu'elle était libre comme ça... elle s'était arrangée pour travailler à l'intérieur ! Dans le camp, dans le Lager, dans la fabrique de barils... Oui, ai-je dit, un peu amusé, au moment où je me suis mis à parler, par mon propre réflexe pour protéger la réputation de ma cousine depuis longtemps disparue, je sais, d'après ce que m'a dit Jack Greene et d'après les lettres de Shmiel, que Frydka était allée dans un lycée commercial pour apprendre le métier de comptable (Frydka chérie a terminé le lycée, avait écrit Shmiel, cela m'a coûté une fortune et où peut-on trouver du travail pour elle ? Et aussi : Frydka a terminé l'école de commerce de Stryj, elle a encore une école à faire ; je voudrais qu'elle apprenne un métier que je trouve bien pour elle, parce qu'on n'est rien aujourd'hui sans un métier...). Et donc, ai-je poursuivi, c'est peut-être pour ça qu'elle travaillait à l'intérieur dans le camp ? Après tout, me suis-je dit, Jack n'avait-il pas dit qu'elle travaillait comme comptable à la Fassfabrik ? Anna est apparue avec une grande bouteille de Coca et l'a posée sur la table. Shlomo lui a fait part de mon objection. Anna a secoué la tête en faisant un grand sourire et lui a dit quelque chose. Elle dit que non, a expliqué Shlomo, Frydka ne travaillait pas dans un bureau, elle ne faisait pas de la comptabilité à ce moment-là, elle travaillait sur une machine. Il s'est tourné une fois encore vers Anna, et vers moi de nouveau. Il a dit, Je lui ai raconté que j'étais assis à côté de Frydka à l'intérieur de ce bâtiment et que ce n'était pas si bien, c'était très dur à l'intérieur, mais Anna vient de me répondre, Non, non, c'était mieux que de travailler dehors pendant l'hiver glacial ! Ess var shreklikb kalt ! m'a dit Anna, sachant que je n'aurais pas besoin de traduction. Il faisait horriblement froid ! Je me suis souvenu de mes conversations interminables avec Andrew, des années auparavant, au cours desquelles nous nous demandions comment notre grand-père s'en serait sorti, s'il s'était retrouvé, lui aussi, coincé à Bolechow pendant la guerre ; si sa merveilleuse habileté à magouiller pour obtenir ce qu'il voulait, pour se sortir de toutes les situations en baratinant, n'appartenait qu'à lui ou bien était l'expression d'un trait de caractère autrefois florissant dans notre famille mais qui (c'était l'impression non dite qui animait notre intérêt) semblait s'être éteint. Shlomo venait de dire, non sans une certaine admiration : Elle s'était arrangée pour travailler à l'intérieur ! Elle aurait dû vivre de nos jours ! a répété Anna. J'ai souri. Oui, ai-je pensé, c'était certainement une fille dont on pouvait tomber amoureux.     Je voulais revenir aux photos, à l'unique photo de son amie Lorka que nous possédions. Mais à l'instant où je me suis penché vers le dossier pour en sortir l'agrandissement de cette photo de groupe, qui avait à présent un peu moins de soixante-dix ans, Anna a dit quelque chose à Shlomo. J'ai entendu les noms de Shmiel et de Frydka. Allions-nous parler de Frydka tout le temps ? me suis-je demandé. Puis, Shlomo a dit, Ah, ah ! Il s'est tourné vers moi. Elle a dit, m'a-t-il dit, qu'elle avait entendu dire, quelque part, que Frydka et Shmiel étaient probablement cachés et que quelqu'un les avait dénoncés, et ils avaient été tués. Frydka et Shmiel ? ai-je répété bêtement. Anna m'a regardé ; elle avait compris, c'était clair, que j'avais entendu une histoire différente. Elle a hoché la tête, sans me quitter des yeux, et elle a continué. Zey zent behalten bay a lererin... Shlomo a écouté et traduit, même si j'étais capable de suivre l'histoire. Il a dit, Ils ont été capturés chez une institutrice. C'était l'institutrice qui leur avait appris à dessiner. Le professeur de dessin, ai-je dit. Oui, a-t-il dit. Le professeur de dessin. Une Polonaise. Est-ce qu'elle connaissait le nom de cette femme ? ai-je demandé. Je voulais quelque chose de concret, quelque chose de spécifique qui permettrait de fixer cette version de l'histoire. Anna a recommencé à parler à Shlomo, qui a secoué la tête. Non. Mais comme ils se remettaient à parler, j'ai entendu un nom que je connaissais bien : Ciszko Szymanski. J'ai levé la tête, les yeux écarquillés. Pour quiconque a passé beaucoup de temps dans les archives à faire des recherches sur des événements qui se sont depuis longtemps effacés dans les mémoires de chacun, à l'exception peut-être de quelques personnes très âgées, il est gratifiant d'obtenir une confirmation des histoires sur lesquelles vous enquêtez. Elle aussi avait donc entendu parler de l'histoire de Ciszko Szymanski. Anna a souri, hoché la tête et dit quelque chose à Shlomo. Elle dit que Ciszko Szymanski était le petit ami de Frydka, a dit Shlomo. J'ai demandé à Shlomo de lui dire que Meg Grossboard, à Sydney, ne voulait rien nous dire - je me suis tourné vers Anna et j'ai dit, Gurnisht ! Rien ! et elle a souri - parce que Ciszko n'était pas juif. Shlomo a traduit pour Anna, qui m'a regardé avec un air incrédule, les sourcils froncés et les bras écartés, comme pour dire, Qui se préoccupe encore de choses pareilles ? Je lui ai dit que nous avions appris de Jack Greene que Ciszko Szymanski avait été exécuté pour avoir essayé d'aider Frydka. Elle a parfaitement compris ce que je disais, parce que avant même que j'aie fini de parler, elle m'a regardé en disant en yiddish, Oui, c'est ce que j'ai entendu dire. C'est à ce moment-là qu'elle s'est penchée au-dessus de la table basse, comme une femme qui voudrait confier un cancan à une amie, et qu'elle a parlé très rapidement. La tension entre l'intimité de son geste et le fait d'avoir à attendre la traduction de Shlomo m'a frappé comme quelque chose de significatif : ça m'a paru être-un symbole de tout ce que je ressentais ce jourlà - l'étrangeté d'avoir à intégrer, d'un coup, des distances impossibles de temps, de langues et de mémoires, à l'immédiateté et à la vivacité des fragments, très brefs mais émouvants, que j'entendais sur mes parents morts depuis longtemps. Viens prendre des fraises ! Il était sourd ! Un papillon ! Shlomo écoutait ce qu'Anna disait, penchée vers moi dans ce mouvement de confidence, et il s'est ensuite adressé à moi. Elle a dit que lorsqu'ils se sont fait prendre, Ciszko a déclaré, Si vous la tuez, alors vous devriez me tuer aussi ! Pendant un instant, plus personne n'a rien dit. Je savais, bien entendu, que Frydka avait inspiré bien plus qu'une amourette. Ce garçon a payé de sa vie pour ça, avait dit Jack à Sydney. Mais c'était vraiment quelque chose que d'entendre à présent la ferveur, la bravade juvénile, des derniers mots de ce garçon. Si vous la tuez, alors vous devriez me tuer aussi ! Et ils l'ont tué. Làdessus, tout le monde était d'accord, même s'il allait me falloir encore deux ans pour découvrir comment exactement. J'ai dit, Comment sait-elle tout cela ? Shlomo et Anna ont parlé, puis il m'a dit, Elle en a entendu parler par son cousin, qui était à Kfar Saba, mais qui est maintenant à Haïfa. Il avait été en Russie, mais lorsqu'il est revenu, il est allé vivre à Bolechow juste après la guerre. C'est un de ceux qui ont construit le mémorial à Taniawa. Il savait donc beaucoup de choses - quand, comment, où les choses se sont passées. Ils ont parlé, vous savez, ceux qui sont revenus, ils ont parlé après la guerre, juste après la guerre, ils ont parlé aux Ukrainiens. Shlomo s'est interrompu, puis il a dit, à moi seulement, Il y a tant de choses que je n'ai pas demandées... que je n'ai pas demandées. Vous savez, je me pose des questions... Aujourd'hui, je veux-en savoir plus que je ne voulais en savoir à l'époque. Il a repris son souffle et il est revenu au sujet du cousin d'Anna, qui avait entendu parler des derniers mots de Ciszko Szymanski. En parlant de lui, Shlomo a répété, Il savait des choses, il savait beaucoup de choses et c'est ce qu'il avait entendu dire. Qu'est devenu ce cousin ? ai-je demandé. J'étais excité tout à coup : s'il était à Haïfa, je prendrais le train pour aller lui parler, peut-être y avait-il d'autres détails dont il se souvenait.
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« s'était retrouvé, luiaussi, coincé àBolechow pendantlaguerre ;si sa merveilleuse habiletéà magouiller pourobtenir cequ'il voulait, poursesortir detoutes lessituations enbaratinant, n'appartenait qu'àluiou bien était l'expression d'untraitdecaractère autrefoisflorissant dans notre famille maisqui(c'était l'impression nondite quianimait notreintérêt) semblait s'être éteint. Shlomo venaitdedire, nonsans unecertaine admiration : Elle s'était arrangée pourtravailler à l'intérieur ! Elle aurait dûvivre denos jours ! arépété Anna.J'aisouri.

Oui,ai-je pensé, c'étaitcertainement une filledont onpouvait tomberamoureux.     Je voulais revenir auxphotos, àl'unique photodeson amie Lorka quenous possédions.

Maisà l'instant oùjeme suis penché versledossier pourensortir l'agrandissement decette photo de groupe, quiavait àprésent unpeu moins desoixante-dix ans,Anna adit quelque choseà Shlomo.

J'aientendu lesnoms de Shmiel et de Frydka.

Allions-nous parlerdeFrydka toutle temps ?me suis-je demandé. Puis, Shlomo adit, Ah, ah ! Il s'est tourné versmoi. Elle adit, m'a-t-il dit,qu'elle avaitentendu dire,quelque part,queFrydka etShmiel étaient probablement cachésetque quelqu'un lesavait dénoncés, etils avaient ététués.

Frydka etShmiel ? ai-je répété bêtement.

Annam'aregardé ;elle avait compris, c'étaitclair, que j'avais entendu unehistoire différente.

Elleahoché latête, sansmequitter desyeux, et elle acontinué. Zey zent behalten bayalererin... Shlomo aécouté ettraduit, mêmesij'étais capable desuivre l'histoire.

Iladit, Ilsont été capturés chezuneinstitutrice.

C'étaitl'institutrice quileur avait appris àdessiner. Le professeur dedessin, ai-jedit. Oui, a-t-il dit.Leprofesseur dedessin.

UnePolonaise. Est-ce qu'elle connaissait lenom decette femme ?ai-je demandé.

Jevoulais quelque chosede concret, quelquechosedespécifique quipermettrait defixer cette version del'histoire. Anna arecommencé àparler àShlomo, quiasecoué latête.

Non.

Mais comme ilsse remettaient àparler, j'aientendu unnom quejeconnaissais bien: Ciszko Szymanski.

J'ai levé la tête, lesyeux écarquillés.

Pourquiconque apassé beaucoup detemps danslesarchives à faire desrecherches surdes événements quisesont depuis longtemps effacésdansles mémoires dechacun, àl'exception peut-êtredequelques personnes trèsâgées, ilest gratifiant d'obtenir uneconfirmation deshistoires surlesquelles vousenquêtez.

Elleaussi avaitdonc entendu parlerdel'histoire deCiszko Szymanski.

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