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C'est le lendemain, le lundi, que Matt et moi sommes retournés chez Jack pour l'interviewer en privé ; c'est le lundi qu'il nous a dit tant de choses à propos de Ruchele.

Publié le 06/01/2014

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C'est le lendemain, le lundi, que Matt et moi sommes retournés chez Jack pour l'interviewer en privé ; c'est le lundi qu'il nous a dit tant de choses à propos de Ruchele. Comme je l'ai déjà dit, il avait commencé par parler de Frydka - elle portait son sac comme ÇA ! -, mais si nous voulions apprendre des choses sur Frydka, avait-il dit, c'était avec Meg qu'il fallait parler. Et donc, après quelques heures passées avec Jack chez lui, ce lundi après-midi, alors que Matt et moi marchions dans le centre de Sydney, avec ses immeubles lumineux et étincelants, la douceur de son climat de fin d'été, l'allure et la gentillesse des vendeurs des magasins, des chauffeurs de taxi et des passants, où il était difficile d'émerger physiquement, pendant cette visite, après les ténèbres produites par les histoires que nous avions entendues, et qui - à l'exemple de celle de Jack et de Bob -étaient devenues des récits d'enfermement, de dissimulation, de fixation souterraine, alors que nous marchions dans la ville, je me suis arrêté à une cabine téléphonique et j'ai composé le numéro de l'appartement du beau-frère de Meg pour lui demander encore une fois si elle consentirait à m'accorder une interview en tête à tête. Je dis « encore une fois » parce que, au moment où tout le monde était parti la veille, je leur avais signalé à tous que j'aurais aimé leur parler en tête à tête, et chacun avait hoché la tête en signe d'approbation. Sauf Meg, qui avait secoué la tête. Désolée, avait-elle dit. C'est tout ce dont je me souviens, je ne peux plus vous aider. De plus, avait-elle ajouté en ramassant sa pochette en cuir, elle devait s'occuper de son beaufrère, qui était très fragile et avec qui elle voulait passer un peu de temps avant de s'envoler pour Melbourne, à la fin de la semaine. J'avais donc peu d'espoir en composant l'étrange numéro à huit chiffres que Jack m'avait donné. Le téléphone a sonné. Hallo, a dit Meg. Bonjour, madame Grossbard, ai-je dit, le coeur tambourinant dans la poitrine, comme lorsque j'avais appelé, des années auparavant, la soeur de mon grand-père, Sylvia, qu'on m'avait appris à craindre, d'une certaine façon, pour lui dire que je voulais l'interviewer à propos de l'histoire de la famille et qu'elle m'avait répondu, Je ne te dis pas le jour où je suis née parce qu'il aurait mieux valu que je ne sois jamais née... Bonjour, ai-je dit, et j'ai dit de nouveau que j'espérais qu'elle avait pu réfléchir et décider de nous parler avant nos vingt-deux heures de vol de retour vers New York. Sa voix, à l'autre bout du fil, était plus lasse que coléreuse. Je ne peux pas vous aider, je vous ai dit que je ne me souvenais de rien d'autre, a-t-elle dit - même si nous savions tous les deux que c'était un mensonge. Comme j'étais au téléphone et non en face d'elle, j'ai trouvé le courage pour insister. Oh, s'il vous plaît, ai-je dit, tout ce que nous voulons, c'est bavarder avec vous. A quoi bon ? a-t-elle répliqué, mais un peu comme si elle se parlait à elle-même. Personne ne sait, tout le monde s'en fiche. Ça va disparaître avec nous, de toute façon. J'ai compris soudain qu'elle voulait être persuadée. J'ai donc dit, Madame Grossbard, je crois que vous vous trompez. C'est la raison essentielle pour laquelle nous sommes venus ici, pour parler avec vous tous, pour entendre les histoires, pour les noter. Je veux préserver ce dont vous vous souvenez, voilà la raison essentielle. J'ai ajouté après un bref silence, Ça va mourir uniquement si vous ne nous parlez pas. Bien, a-t-elle dit. La ligne est restée morte pendant une minute et puis elle a dit, Si je vous vois, ce sera dans un restaurant, mon beau-frère est malade, je ne peux pas recevoir des gens ici. Très bien, ai-je dit. C'est indifférent pour nous. Nous vous retrouverons où vous voudrez, ditesnous simplement où. En silence, j'articulais gagné pour Matt. Ouais ! s'est écrié Matt. OK, a dit Meg, je vous verrai demain, mercredi. Téléphonez-moi ce soir, nous fixerons l'heure. Formidable ! ai-je dit. Merci beaucoup ! Plus tard, dans la soirée, j'ai téléphoné à Meg de nouveau depuis notre hôtel. Elle avait certainement eu le temps de réfléchir à notre rendez-vous. Elle a dit, J'ai décidé que nous allions nous rencontrer ici, chez Salamon, pour le déjeuner. Formidable ! me suis-je exclamé. J'ai fait le V de la victoire en direction de Matt qui regardait les nouvelles à la télévision. Le premier soldat américain avait été tué dans la nouvelle guerre. Mais je ne peux rien préparer pour vous, a ajouté Meg. Ce n'est pas grave, ai-je dit. Peut-être que je pourrais faire quelques sandwichs, a-t-elle dit. Nous adorons les sandwichs, ai-je roucoulé. Alors vous devriez venir vers midi, a-t-elle dit. Elle m'a donné l'adresse de M. Grossbard, ajoutant d'une voix ferme que nous ne pourrions pas lui parler, parce qu'il était trop fragile pour sortir de son lit. J'ai serré les dents et j'ai répondu que ce n'était pas grave, que nous comprenions. Je me suis apprêté à raccrocher. Il y a une chose encore sur laquelle j'insiste particulièrement, a-t-elle dit d'une voix qui s'était durcie. Oui ? ai-je dit. Et elle m'a alors donné la liste des conditions dans lesquelles elle acceptait de me parler en tête à tête. Premièrement : elle ne parlerait pas de la guerre, parce que c'était un sujet trop pénible pour elle. Vous savez, a-t-elle dit, je ne parle jamais de l'Holocauste. Mon fils est un rat de bibliothèque, il me supplie de tout écrire, et maintenant que j'approche de la fin, je pense parfois que je vais peut-être le faire. Mais je ne peux pas - je n'arrive pas à me décider. OK, ai-je dit. J'ai promis de ne pas lui poser de questions sur la guerre. Elle a poursuivi. Elle préférait ne pas parler de sa propre vie et ne répondrait qu'à des questions d'ordre général concernant la vie à Bolechow pendant les années qui avaient précédé la guerre, pendant son enfance et le début de son adolescence. Elle serait très heureuse de partager ses souvenirs de la famille Jäger, mais elle préférait ne pas parler de sa propre famille. Si, pour une raison quelconque, elle faisait mention de certaines expériences qu'elle avait connues pendant la guerre, cela devait rester entre nous et je ne devrais pas en faire mention dans le livre qu'elle savait que j'allais écrire un jour. Les dents serrées, j'ai dit, OK. Alors vous voulez toujours m'interviewer ? a demandé Meg, et cette fois j'ai eu l'impression qu'elle souriait de son sourire amer. Bien sûr, ai-je répondu. Peut-être que j'étais déjà en train de me dire qu'elle allait changer d'avis quand nous serions là, quand nous sortirions notre matériel d'enregistrement, la caméra digitale, les trépieds et les parapluies de Matt, les bandes magnétiques et tout le reste. Il y a encore une chose, a dit Meg. J'ai su, avant même qu'elle ouvre la bouche, ce qu'elle allait dire. Elle a dit, Je ne répondrai à aucune question concernant Ciszko Szymanski.     Ce qui explique pourquoi, même si Matt et moi avons passé en fait près de quatre heures avec elle, pendant lesquelles, ayant apparemment oublié les restrictions qu'elle avait imposées, Meg a parlé à n'en plus finir non seulement de ce dont elle se souvenait à propos de ma famille, mais aussi de la guerre, des autres gens dont elle se souvenait, des histoires souvent terribles, je ne peux pas en reproduire une ligne. Je ne veux pas que ma vie se retrouve dans votre livre, m'a-t-elle dit. Un de ces jours, je vais écrire mon propre livre. Oui, vous verrez, je vais le faire. Elle et moi, même au moment où elle l'a dit, savions parfaitement qu'elle n'écrirait jamais un livre elle-même, mais en dépit de ma frustration de ne pouvoir inclure certaines choses qu'elle m'a dites ce jour-là, des histoires et des anecdotes qui pourraient éclairer ce qu'a pu être le fait de traverser la guerre à Bolechow, je comprends parfaitement ce dont elle avait peur, pourquoi elle redoutait de voir ses histoires figurer dans mon livre. Elle savait que dès l'instant qu'elle m'autoriserait à raconter ses histoires, elles deviendraient les miennes. Je ne peux pas donc vous raconter ce qu'elle a dit pendant notre interview. Mais je peux vous dire que lorsque nous sommes arrivés dans l'appartement minuscule, qui sentait un peu le renfermé, de Salamon Grossbard, dans le centre de Sydney, nous n'avons pas trouvé les sandwichs attendus. Une petite table avait été soigneusement dressée dans la cuisine du vieux monsieur, sur laquelle chauffaient quatre réchauds en argent. Meg, qui affichait un large sourire, nous a fait entrer dans la cuisine. Maintenant je dois vous dire, a-t-elle annoncé, que j'ai préparé un déjeuner que votre grandpère aurait adoré. J'ai cligné les yeux. OK, ai-je dit un peu méfiant. Typique de Bolechow ! a-telle déclaré, avec un grand geste de la main en direction des réchauds. Un déjeuner à la Bolechow ! Puis elle m'a regardé attentivement et elle a dit, Mais je n'étais pas sûre de... Quelle était la nationalité de votre grand-mère ? Russe, ai-je dit. J'ai pensé à la petite maison en bois d'Odessa ravagée par l'incendie, à l'adolescente « traversant l'Europe a pied ». Oh, ai-je pensé, moi aussi j'aurais des histoires à vous raconter.

« J'ai ajouté aprèsunbref silence, Çavamourir uniquement sivous nenous parlez pas. Bien, a-t-elle dit.Laligne estrestée mortependant uneminute etpuis elleadit, Sije vous vois, ce sera dans unrestaurant, monbeau-frère estmalade, jene peux pasrecevoir desgens ici. Très bien, ai-jedit.C'est indifférent pournous.

Nousvousretrouverons oùvous voudrez, dites- nous simplement où. En silence, j'articulais gagnépourMatt. Ouais ! s'estécrié Matt. OK, adit Meg, jevous verrai demain, mercredi.

Téléphonez-moi cesoir, nous fixerons l'heure. Formidable ! ai-jedit.Merci beaucoup ! Plus tard, danslasoirée, j'aitéléphoné àMeg denouveau depuisnotrehôtel.

Elleavait certainement euletemps deréfléchir ànotre rendez-vous. Elle adit, J'aidécidé quenous allions nousrencontrer ici,chez Salamon, pourledéjeuner.

Formidable ! me suis-je exclamé.

J'aifait leVde lavictoire endirection deMatt quiregardait les nouvelles àla télévision.

Lepremier soldataméricain avaitététué dans lanouvelle guerre. Mais jene peux rienpréparer pourvous, aajouté Meg. Ce n'est pasgrave, ai-jedit. Peut-être quejepourrais fairequelques sandwichs, a-t-elledit. Nous adorons lessandwichs, ai-jeroucoulé. Alors vousdevriez venirversmidi, a-t-elle dit.Elle m'a donné l'adresse deM.

Grossbard, ajoutant d'unevoixferme quenous nepourrions pasluiparler, parcequ'ilétait tropfragile pour sortir deson lit.J'ai serré lesdents etj'ai répondu quecen'était pasgrave, quenous comprenions.

Jeme suis apprêté àraccrocher. Il ya une chose encore surlaquelle j'insisteparticulièrement, a-t-elleditd'une voixquis'était durcie. Oui ?ai-je dit. Et elle m'a alors donné laliste desconditions danslesquelles elleacceptait deme parler entête à tête. Premièrement :elle neparlerait pasdelaguerre, parcequec'était unsujet troppénible pour elle.

Vous savez, a-t-elle dit,jene parle jamais del'Holocauste.

Monfilsest unrat de bibliothèque, ilme supplie detout écrire, etmaintenant quej'approche delafin, jepense parfois quejevais peut-être lefaire.

Maisjene peux pas– je n'arrive pasàme décider. OK, ai-je dit.J'aipromis dene pas luiposer dequestions surlaguerre. Elle apoursuivi.

Ellepréférait nepas parler desapropre vieetne répondrait qu'àdesquestions d'ordre général concernant lavie àBolechow pendantlesannées quiavaient précédé laguerre, pendant sonenfance etledébut deson adolescence.

Elleserait trèsheureuse departager ses souvenirs delafamille Jäger,maisellepréférait nepas parler desapropre famille.

Si,pour une. »

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