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Aviv, les fondations instables du bundestag, titrait Haaretz, le jour où nous avions rendez-vous avec Josef Adler.

Publié le 06/01/2014

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Aviv, les fondations instables du bundestag, titrait Haaretz, le jour où nous avions rendez-vous avec Josef Adler. Nous sommes arrivés devant la porte d'entrée où nous attendait Josef. Cette fois encore, il était sobrement vêtu d'une tenue presque militaire. Mais cette fois - en partie parce qu'il était dans le confort de sa maison et en partie à cause de la présence de sa femme, llana, une brune mince et très jolie, qui faisait beaucoup moins que son âge et dont la voix avait, comme souvent chez les femmes israéliennes, ce timbre un peu âpre très séduisant, cette note qui faisait penser à de l'écorce d'orange -, cette fois, il avait l'air plus détendu, plus expansif qu'il ne l'avait été six mois plus tôt, quand il m'avait fait le récit détaillé, rapide et froid comme un historien, de l'Occupation à Bolechow. Une fois les présentations faites, nous nous sommes assis autour d'une table basse et llana a apporté une cafetière et un énorme plat en cuivre couvert de fruits frais et secs : oranges, dattes, figues. Nous avons bu le café amer et mangé les fruits, et nous avons parlé. Pour Ilana, j'ai décrit de nouveau ce qu'était notre projet et ce que nous espérions pouvoir réaliser. Comme quelque chose me séduisait dans ce couple, j'avais envie de dire à Ilana une chose qui lui plairait et serait vraie. Après avoir présenté notre projet pendant une vingtaine de minutes, j'ai dit, Je dois vous dire que j'ai été très heureux de parler à M. Adler, la dernière fois que j'étais ici. J'ai continué en disant combien j'avais été touché par le fait qu'il avait fait le trajet de Haïfa jusqu'à ma chambre d'hôtel de Tel-Aviv pour venir me parler. J'ai dit combien il était important que les gens soient aussi disponibles, aussi généreux avec leurs souvenirs. J'ai expliqué comment, dans certains cas, il fallait plus d'une interview pour établir un véritable contact avec les gens. J'ai souri quand j'ai raconté comment il m'avait fallu appeler Meg Grossbard tous les jours, quand nous étions à Sydney, pour essayer de la persuader de nous parler, et combien elle avait été adorable et enthousiaste finalement lorsque nous l'avions rencontrée dans le petit apparte­ment de son beau-frère. Et cependant, même à ce moment-là, ai-je ajouté, elle avait été très réticente à l'idée de parler de la guerre, de dire quoi que ce fût concernant sa famille. Josef, de l'autre côté de la table, m'a regardé droit dans les yeux et a dit, Elle avait une bonne raison pour ça. Matt et moi avons échangé un regard troublé, et Matt a demandé, Et quelle était cette raison ? D'une voix posée, Josef a dit, Son frère était membre de la police juive, et il n'avait pas très bonne réputation à cause de ça. Matt et moi nous sommes regardés. Je n'ai rien su, avait plaisanté Meg. Je n'ai rien vu. J'ai pensé à Anna Heller Stern qui, lors de ma dernière visite, avait dit qu'elle avait plus peur de la police juive que de n'importe qui d'autre. J'ai pensé aussi combien il est plus facile, souvent, d'être cruel avec ceux qui sont véritablement nos proches, avec ceux que nous connaissons intimement. Caïn et Abel, avais-je pensé en écoutant Anna. Frères, me suis-je dit. Peut-être que Ciszko Szymanski n'était pas la seule personne dont Meg ne voulait pas se souvenir. Comment s'appelait-il ? avons-nous demandé en même temps. Lonek, a dit Josef. Pas une très bonne réputation ? Josef a pris un ton philosophique. Euh, vous savez, c'est très difficile aujourd'hui de juger ces choses-là. J'ai fait un grand geste de la main. Je ne juge pas ! Je ne juge personne, ai-je dit. Et c'était vrai. Parce qu'il est impossible de savoir certaines choses, parce que je ne ferai jamais l'expérience des pressions que certaines personnes ont subies pendant les années de guerre, des choix inimaginables qu'il a fallu faire, en raison de tout cela, je refuse de juger. Pourtant, une pensée nouvelle germait pendant que j'étais assis là à manger des dattes et des figues : toutes ces années passées à ne rien savoir de Shmiel et du reste avaient fait naître en moi un formidable désir de connaître les faits, les dates, les détails ; et cependant, il ne m'était jamais venu à l'esprit que les faits, les dates et les détails que j'apprenais pourraient un jour constituer quelque chose de plus que des entrées dans un glossaire ou des éléments dans une histoire - qu'ils pourraient un jour m'obliger à juger les gens. J'ai dit, Je veux souligner que mon propos n'est pas de juger. Je ne juge personne. Je ne peux pas être en 1942, je ne sais pas ce que c'était, les gens ont fait ce qu'ils ont fait, ils étaient soumis à des pressions et à un stress inimaginables. Josef a dit, C'est compliqué. Il y avait des gens dans la police juive qui étaient bien, et d'autres qui n'étaient pas bien. J'ai dit, Bien sûr que c'est compliqué. Josef a soupiré et dit, Dans le cas de Lonek Ellenbogen... (le nom de jeune fille de Meg, je savais, était Ellenbogen, ce qui veut dire coude en allemand, un nom qui peut vous paraître incroyablement bizarre, tant que vous n'avez pas fait la moindre recherche sur la banque de données de jewishgen.org dans les archives juives de Pologne, où vous pouvez tomber sur un nom aussi courant que Katzellenbogen, coude du chat) ... dans le cas de Lonek, c'était comme ça. Nous étions, Shlomo et moi, dans ce camp de travaux forcés. Le cousin de Shlomo, Moishele, avait été amené du ghetto de Stryj. Il s'est retrouvé avec nous. Mais le jour où ils ont décidé de liquider le ghetto de Stryj - à Stryj -, ils ont aussi arrêté des gens qui avaient été envoyés depuis Stryj à Bolechow pour travailler dans le camp de travaux forcés. A Sydney, des mois auparavant, Jack Greene m'avait raconté une histoire à propos de Dolina, la ville natale de mon arrière-grand-mère, un endroit où le mémorial de la Seconde Guerre mondiale, parce qu'il a été érigé par les Soviétiques, ne fait aucune mention du fait que les gens qui sont enterrés dans la fosse commune située derrière ce qui était la synagogue de la ville autrefois -- une église baptiste, aujourd'hui - étaient des Juifs. Même après plusieurs Aktionen à Bolechow, avait-il dit, la voix remplie d'une certaine perplexité, même au bout de deux ans d'occupation, alors que les Allemands avaient massacré quatre ou cinq fois à Bolechow, les Juifs de Dolina restaient épargnés. Cela, m'avait dit Jack, avait troublé et enragé les Juifs survivants de Bolechow, qui pensaient que le Judenrat de Dolina faisait quelque chose que ne faisait pas le Judenrat de Bolechow. Et puis, avait poursuivi Jack, une nuit, les Allemands étaient venus et avaient liquidé l'ensemble de la ville de Dolina d'un coup. Toute la ville ! C'est la façon de procéder, la logique, des Allemands, je ne sais pas comment l'appeler. A présent, en écoutant à Haïfa Josef Adler parler de l'Aktion de Stryj, je me disais, C'était pareil là aussi : liquider les Juifs de Stryj ne signifiait pas simplement tuer les Juifs qui se trouvaient à Stryj. Logique allemande. Donc, a continué Josef, Lonek est arrivé avec les Allemands, les baraquements ont été encerclés par les SS et la police juive, et Lonek est entré et il a reconnu Moishele. Il a dit, Moishele, tu dois nous suivre. Et Moishele a dit, Aie pitié de moi, tu me connais. Et Lonek a répondu, Tu dois nous suivre, c'est ton devoir. Josef a jeté un coup d'oeil vers moi. Vous comprenez, Lonek était convaincu d'accomplir une sorte de devoir très important qu'il ne pouvait pas refuser. Et les autres avaient aussi leur devoir à accomplir... Et Moishele a été emmené au Rynek et ils l'ont fusillé. Nous avons écouté dans un silence absolu. Puis Matt a dit, Qu'est-ce qui est arrivé au frère de Meg - à ce Lonek ? Josef a dit, Il a été tué dans le cimetière, lui aussi. Il avait essayé de s'enfuir, mais je ne me souviens pas si c'était le même jour ou si c'était plus tard. Non, c'était plus tard. J'en ai seulement entendu parler. Tout d'abord, ils ont dû les arrêter, et puis ils les ont emmenés le long de la rue Shevska, Schustergasse, et ils avaient une sorte de discipline militaire, ils les avaient fait mettre en rang... Sa voix s'est éteinte et puis il a dit, Ah, que c'était étrange ! En Ukraine, nous avait raconté Olga, Ils les faisaient marcher en rang, deux par deux, le long de cette rue jusqu'au cimetière. Le bruit des coups de feu a duré tellement longtemps que ma mère a descendu sa vieille machine à coudre... Et Lonek Ellenbogen, il a essayé de s'échapper, il a essayé d'escalader le mur du cimetière - le mur n'existe plus aujourd'hui - et il a été abattu. Et quelqu'un a raconté à Shlomo comment ça s'était passé. Josef avait terminé et Matt, articulant une de mes pensées non dites, a déclaré, Si vous étiez dans la police juive, peut-être que vous vous disiez, naïvement sans doute, Puisque je suis dans la police juive, je serai mieux traité ? C'est compliqué, a répété Josef. En tout cas, après tant d'années, Meg n'est pas responsable après tout. J'ai pensé à Meg, à sa fierté, à son acuité fascinante, à son oscillation entre la tendresse et la dureté, et pendant un bref instant, j'ai failli pleurer. Elle avait sûrement toujours su les histoires que nous entendions pour la première fois ce jour-là, et tout aussi sûrement, je m'en rendais compte maintenant, elle avait dû être terrifiée que nous les découvrions. Terrifiée que nous puissions juger son frère, un garçon de... quoi ? une vingtaine d'années, qui avait cédé à des pressions qu'aucun gamin américain ou australien de dix-neuf ou vingt ans aujourd'hui ne pourrait même concevoir. Il avait fanfaronné, pensé qu'il faisait quelque chose d'important en refusant de laisser s'enfuir un vieil ami. Elle avait été terrifiée que nous puissions le juger. Non, ai-je pensé : terrifiée que nous puissions la juger. J'ai secoué la tête et j'ai dit à Josef, Non, non, j'essaie simplement de comprendre la psychologie - Meg se souvenait de beaucoup de choses, mais de rien en ce qui la concernait pendant la guerre ! Comment elle avait survécu, c'était son histoire : rien. C'était une sorte de trou noir. Ilana, qui était restée silencieuse pendant le récit de son mari et ma réponse, s'est mise à parler tout doucement. Elle a dit, Et je pense que le temps ne change rien à l'affaire, parce que nous n'oublions pas. Je l'ai regardée. Il y avait quelque chose chez cette femme sombre et pensive que je trouvais

« choses-là. J'ai fait ungrand gestedelamain.

Jene juge pas ! Je ne juge personne, ai-je dit.Etc'était vrai. Parce qu'ilestimpossible desavoir certaines choses,parcequejene ferai jamais l'expérience des pressions quecertaines personnes ontsubies pendant lesannées deguerre, deschoix inimaginables qu'ilafallu faire, enraison detout cela, jerefuse dejuger.

Pourtant, unepensée nouvelle germaitpendant quej'étais assislààmanger desdattes etdes figues :toutes ces années passées àne rien savoir deShmiel etdu reste avaient faitnaître enmoi unformidable désir deconnaître lesfaits, lesdates, lesdétails ;et cependant, ilne m'était jamaisvenuà l'esprit quelesfaits, lesdates etles détails quej'apprenais pourraientunjour constituer quelque chosedeplus quedesentrées dansunglossaire oudes éléments dansunehistoire – qu'ils pourraient unjour m'obliger àjuger lesgens. J'ai dit, Jeveux souligner quemon propos n'estpasdejuger.

Jene juge personne.

Jene peux pas être en1942, jene sais pasceque c'était, lesgens ontfaitcequ'ils ontfait, ilsétaient soumis àdes pressions etàun stress inimaginables. Josef adit, C'est compliqué.

Ilyavait desgens dans lapolice juivequiétaient bien,etd'autres qui n'étaient pasbien. J'ai dit, Bien sûrque c'est compliqué. Josef asoupiré etdit, Dans lecas deLonek Ellenbogen... (le nom dejeune filledeMeg, jesavais, étaitEllenbogen, cequi veut dire coude en allemand, un nom quipeut vous paraître incroyablement bizarre,tantquevous n'avez pasfaitlamoindre recherche surlabanque dedonnées dejewishgen.org danslesarchives juivesdePologne, où vous pouvez tomber surunnom aussi courant queKatzellenbogen, coude duchat) ... dans lecas deLonek, c'étaitcomme ça.Nous étions, Shlomo etmoi, dans cecamp detravaux forcés.

Lecousin deShlomo, Moishele, avaitétéamené dughetto deStryj.

Ils'est retrouvé avec nous.

Maislejour oùilsont décidé deliquider leghetto deStryj – àStryj –, ilsont aussi arrêté des gens quiavaient étéenvoyés depuis Stryj à Bolechow pourtravailler danslecamp de travaux forcés. A Sydney, desmois auparavant, JackGreene m'avaitraconté unehistoire àpropos deDolina, la ville natale demon arrière-grand-mère, unendroit oùlemémorial delaSeconde Guerre mondiale, parcequ'ilaété érigé parlesSoviétiques, nefait aucune mention dufait que lesgens qui sont enterrés danslafosse commune situéederrière cequi était lasynagogue delaville autrefois —une église baptiste, aujourd'hui – étaientdesJuifs.

Même aprèsplusieurs Aktionen à Bolechow, avait-ildit,lavoix remplie d'unecertaine perplexité, mêmeaubout dedeux ans d'occupation, alorsquelesAllemands avaientmassacré quatreoucinq foisàBolechow, lesJuifs de Dolina restaient épargnés.

Cela,m'avait ditJack, avait troublé etenragé lesJuifs survivants de Bolechow, quipensaient queleJudenrat deDolina faisaitquelque chosequenefaisait pasle Judenrat deBolechow.

Etpuis, avait poursuivi Jack,unenuit, lesAllemands étaientvenuset avaient liquidél'ensemble delaville deDolina d'uncoup.

Toute laville ! C'estlafaçon de procéder, lalogique, desAllemands, jene sais pascomment l'appeler.Aprésent, enécoutant à Haïfa JosefAdler parler del' Aktion de Stryj, jeme disais, C'était pareillàaussi :liquider lesJuifs de Stryj nesignifiait passimplement tuerlesJuifs quisetrouvaient àStryj.

Logique allemande. Donc, acontinué Josef,Lonek estarrivé aveclesAllemands, lesbaraquements ontétéencerclés par lesSSetlapolice juive,etLonek estentré etila reconnu Moishele.

Iladit, Moishele, tudois. »

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