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aujourd'hui, de décrire un de mes voisins qui vivait en face de chez moi, il y a quarante ans, je ne serais pas sûr de pouvoir dire autre chose que Il était ingénieur, Ils étaient très gentils.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

aujourd'hui, de décrire un de mes voisins qui vivait en face de chez moi, il y a quarante ans, je ne serais pas sûr de pouvoir dire autre chose que Il était ingénieur, Ils étaient très gentils. Alors à quoi pouvais-je bien m'attendre ? Et Mme Grossbard, qui avait des souvenirs bien plus précis, s'était montrée trop protectrice de ses souvenirs de Frydka pour pouvoir les partager librement. C'était ce qui expliquait, je le savais, la raideur et la rétention que j'avais ressenties dès le début. Et depuis que le sujet de Frydka et de Ciszko Szymanski avait été abordé, elle m'avait en quelque sorte fermé la porte au nez, suspicieuse de mes mobiles, se méfiant à juste titre du fait que mon désir de découvrir une histoire, une sorte de drame pour animer les vies impossibles à connaître de ces gens, me pousserait à faire de la Frydka qu'elle avait connue une caricature ou un chiffre. J'avais donc échoué jusqu'à présent à redonner vie aux disparus. Mais Jack, je le sentais, serait en mesure de saisir ce que je désirais ; il s'agissait seulement de trouver le bon moment pour parler. Jack, qui peut être péremptoire dans la conversation, est néanmoins très courtois, d'une manière presque désuète. Il ne coupe jamais la parole et il s'est toujours empressé de s'excuser chaque fois qu'il s'est aperçu d'une erreur de sa part à propos d'un nom ou d'une date (dans la mesure où Mme Grossbard n'a jamais commis d'erreur, à ma connaissance, je n'ai jamais eu l'occasion de la voir s'excuser). Cette modestie, ai-je supposé, était ce qui l'empêchait de s'étendre sur ses rapports avec Ruchele devant le groupe, et je me suis donc arrangé pour le voir seul, chez lui, le lendemain après-midi. L'appartement était silencieux - Sarah était sortie, après nous avoir préparé du café et du gâteau - et la conversation a été facile. Ses souvenirs de Ruchele, m'a-t-il dit, remontaient à l'époque ou tous deux avaient à peine quatorze ans, quand il la voyait, le soir, aux réunions de l'organisation sioniste, Hanoar HaZioni. Elles avaient lieu tous les soirs m'a-t-il dit. C'était organisé par groupes d'âges, j'étais donc dans un groupe de garçons de mon âge et elle était dans un groupe de filles de son âge. Il prononçait le f de filles comme un v. Pendant les années 1930, les réunions du Hanoar étaient le lieu essentiel pour les rencontres des adolescents juifs, apparemment. Jack a poursuivi. En Europe, le repas principal, c'était le déjeuner. Le soir, on mangeait des sandwichs et, après ça, on allait à la réunion du Hanoar. Je dirais que, en hiver, la réunion se déroulait de cinq heures et demie à dix heures du soir, et de huit heures, ou sept heures et demie à dix heures, l'été. Tous les soirs. Et le samedi, c'était de l'heure du déjeuner jusqu'à la nuit. Écoutez, j'allais en train à l'école tous les jours, au collège de Stryj, j'avais des devoirs à faire, les journées étaient denses. Mais le club du Hanoar, c'était le moment agréable. On jouait ensemble, on dansait ensemble, les horas, les conférences, et tout le reste. J'avais dû faire la connaissance des filles Jäger auparavant, mais je me souviens d'elles à partir de ce moment-là. Matt a demandé, A quoi ressemblait-elle ? Jack a souri et, au bout d'un instant, a dit, Elle était blonde et j'aime les blondes. C'était une belle fille, elle avait les cheveux longs, vous savez, comment on appelle ça... (il a mis sa main sur sa nuque et a tricoté avec ses doigts) ... elle avait des tresses. Elle avait, je crois, les yeux verts, et sur l'un d'eux (il a placé son pouce et son index en opposition devant son oeil et a cligné les paupières), elle avait un quartier brun. Ecoutez, a-t-il fini par dire, elle était ma poupée, comme on dit, mon amour, et j'étais complètement épris. Comment s'étaient-ils rencontrés, voulions-nous savoir. Jack nous a raconté une histoire drôle. Je n'étais pas le premier garçon, a-t-il expliqué. Il y avait un type qui avait un an de plus que moi, il allait à l'école à Stryj, lui aussi, et il sortait avec elle. Munzio Artman. C'était un garçon très religieux et il n'allait pas à l'école à Stryj, le samedi - il y allait le vendredi et y restait le week-end, ce qui fait qu'il ne rentrait pas le samedi. Il m'avait donc dit : « Écoute, occupe-toi d'elle, le samedi. » Ce que j'ai fait ! Ça s'est refroidi entre eux et je me suis retrouvé avec elle. J'avais quatorze ans, treize peut-être, et elle avait le même âge. Alors qu'est-ce qu'on faisait à Bolechow à la fin des années 1930 quand on sortait avec une fille ? avons-nous demandé. On se retrouvait au Hanoar surtout, et quand les garçons n'étaient pas séparés des filles, on faisait tout ensemble. On avait des conversations, des débats. Inutile de vous dire qu'elle était plus mure que moi. Je m'en suis rendu compte plus tard. Vous comprenez, je n'aimais pas l'école. Les études, je n'étais pas doué sur les études ! Il a ricané avec un bon sens de l'autodérision. Lorsqu'il a dit sur les études, j'ai souri. Des années après cette conversation, le fils de Mme Begley m'a dit que le plus dur dans l'apprentissage de l'anglais, c'étaient les prépositions. Je me souviens, a continué Jack, qu'à la fin de l'année, j'ai reçu mon bulletin scolaire. Ruchele était dans le train avec moi, ou peut-être était-ce à l'école, et elle voulait voir mes résultats. Et je ne peux vous dire à quel point elle a été déçue quand elle les a vus ! Et je crois même que ça a fini par la refroidir un peu... Matt jubilait. Elle voulait un docteur ! a-t-il plaisanté. Je jubilais pour une autre raison. J'adorais le plus mûre que moi. Ça donnait à cette fille, dont il n'existe plus qu'une seule photo, une certaine présence. Je me suis dit, elle avait donc des idées bien arrêtées sur ce que devait être son petit ami ; elle se faisait peut-être une très haute idée d'elle-même. C'était une Jäger après tour. J'ai demandé à Jack si Ruchele était une bonne élève. Jack a souri tristement et dit, « Ça, je ne sais pas. Mais je suppose que Frydka était la plus intelligente parce qu'elle était allée au lycée et les autres pas. Peut-être que les parents ont décidé que seule Frydka irait au lycée et pas elle. Peut-être que Ruchele était une bonne élève, mais Shmiel n'avait plus les moyens de l'envoyer au lycée à l'époque. Il s'est tu. Les frais de scolarité étaient élevés, a-t-il fini par dire, comme pour excuser Shmiel de ne pas avoir envoyé Ruchele au lycée. Plus le transport, plus les livres, plus les uniformes... Les uniformes, je les avais vus à présent. Parmi les photos que Meg avait sorties du sac en plastique, la veille, il y en avait une ancienne - elle datait de 1936, les filles devaient avoir quatorze ans - de Meg, Frydka et Pepci Diamant, debout devant une clôture au cours d'une journée d'hiver. Toutes les trois portant de gros manteaux d'hiver, sombres, croisés, ceinturés, à col de fourrure ; aux pieds, des bottes courtes, et sur la tête, le béret de l'école. Elles ont des visages doux et juvéniles ; Frydka commence à perdre ses joues de petite fille. Son visage me fait l'effet d'être plus âgé sur cette photo que sur une autre que Meg m'a montrée, un instantané qui appartenait à Pepci (qui a péri, a dit une seconde fois Meg en me montrant la photo, alors que son album de photos a survécu), ou Frydka est couchée sur le ventre, avec le bras droit plié devant elle ; elle a le menton posé sur le dos de sa main droite, pendant qu'elle maintient ouvert de la main gauche (curieuse coïncidence) un album de photos. Elle regarde, assez délibérément, sur la droite, les yeux vers le haut. Il y a quelque chose de très posé dans la photo, de très actrice. C'est encore une jeune fille, mais elle pose déjà. Sur cette photo, ses joues sont encore rondes, tandis que sur les autres photos apportées par Meg - l'instantané de Frydka, daté de 1940, où elle porte un mouchoir style babouchka et regarde, avec un air pensif, vers vous hors champ, l'oeil sombre et calme ; les photos de groupe sur lesquelles Meg, Frydka et leur amie qui a péri, Pepci Diamant, font du ski, nagent, prennent la pose -, sur ces photos, Frydka est déjà une jeune femme à l'allure éblouissante : grande, brune, fine, avec un air amusé dans le regard. Donc, Ruchele n'est pas allée au lycée à Stryj, disait Jack. A l'époque, elle était en troisième au collège, et puis elle a commencé à apprendre le métier de couturière. Je ne l'ai pas signalé à Jack à ce moment-là, mais j'avais déjà appris tout ça dans des lettres de Shmiel, comme celle où il écrivait, par exemple :   Je suis très isolé ici et la chère Ester a des frères et soeurs indignes de confiance, je ne veux rien avoir à faire avec eux, imaginez qu'ils ne voulaient même pas aider Lorka à apprendre le métier de photographe.   Non que j'aie à vous dire, mes très chers, ce que même les étrangers disent, à savoir que j'ai les filles les meilleures et les plus distinguées de Bolechow ; quel bien cela me vaut ? Frydka chérie vient de terminer le lycée, ça m'a coûté une fortune et où est-on censé trouver un travail pour elle ? Ruchaly chérie a fini la troisième avec le tableau d'honneur, j'ai dépensé 25 dollars pour elle et maintenant elle apprend le métier de couturière depuis un an...   Frydka avait l'habitude d'aller en train à Stryj, disait Jack. Et c'était une fille grande, je m'en souviens, vous savez, les filles... Il a levé la main et dit, Attendez, je vais apporter un sac. Pendant que je le regardais, un peu perplexe, il est sorti rapidement de la salle de séjour et il est revenu, quelques secondes plus tard, avec une vieille serviette défraîchie, pour pouvoir faire une imitation convaincante de Frydka, disparue depuis longtemps, descendant rapidement du train, son cartable à la main. Vous comprenez, a-t-il continué, tout le monde portait son cartable comme ça - il a fait quelques pas, en portant le cartable très bas sur le côté, comme s'il avait été très lourd - parce qu'il était rempli de livres. Mais Frydka était grande, c'était une fille énergique et elle marchait comme ça. Balançant la serviette contre sa poitrine et la serrant avec un bras, il a avancé d'un pas déterminé pour imiter Frydka. Elle était toujours l'une des premières à descendre du train, tous les jours, et elle portait son cartable comme ça, a-t-il dit.

« Jack nous araconté unehistoire drôle. Je n'étais paslepremier garçon,a-t-ilexpliqué.

Ilyavait untype quiavait unande plus que moi, ilallait àl'école àStryj, luiaussi, etilsortait avecelle.Munzio Artman.

C'étaitungarçon très religieux etiln'allait pasàl'école àStryj, lesamedi – ilyallait levendredi etyrestait le week-end, cequi fait qu'il nerentrait paslesamedi.

Ilm'avait doncdit:« Écoute, occupe-toi d'elle, lesamedi. » Ceque j'aifait ! Ças'est refroidi entreeuxetjeme suis retrouvé avecelle. J'avais quatorze ans,treize peut-être, etelle avait lemême âge. Alors qu'est-ce qu'onfaisait àBolechow àla fin des années 1930quand onsortait avecunefille ? avons-nous demandé. On seretrouvait auHanoar surtout, etquand lesgarçons n'étaient passéparés desfilles, on faisait toutensemble.

Onavait desconversations, desdébats.

Inutiledevous direqu'elle était plus mure quemoi.

Jem'en suisrendu compte plustard.

Vous comprenez, jen'aimais pas l'école.

Lesétudes, jen'étais pasdoué surlesétudes ! Il aricané avecunbon sens del'autodérision.

Lorsqu'iladit sur lesétudes, j'ai souri.

Des années aprèscetteconversation, lefils deMme Begley m'aditque leplus durdans l'apprentissage del'anglais, c'étaient lesprépositions. Je me souviens, acontinué Jack,qu'àlafin del'année, j'aireçu mon bulletin scolaire.

Ruchele était dans letrain avecmoi,oupeut-être était-ceàl'école, etelle voulait voirmes résultats.

Et je ne peux vousdireàquel point elleaété déçue quand ellelesavus ! Etjecrois même queça a fini par larefroidir unpeu... Matt jubilait. Elle voulait undocteur ! a-t-ilplaisanté. Je jubilais pouruneautre raison.

J'adorais le plus mûre quemoi.

Ça donnait àcette fille,dont il n'existe plusqu'une seulephoto, unecertaine présence.

Jeme suis dit,elle avait donc desidées bien arrêtées surceque devait êtresonpetit ami;elle sefaisait peut-être unetrès haute idée d'elle-même.

C'étaituneJäger après tour. J'ai demandé àJack siRuchele étaitunebonne élève. Jack asouri tristement etdit, « Ça, jene sais pas.

Mais jesuppose queFrydka étaitlaplus intelligente parcequ'elle étaitallée aulycée etles autres pas.Peut-être quelesparents ont décidé queseule Frydka iraitaulycée etpas elle.

Peut-être queRuchele étaitunebonne élève, mais Shmiel n'avaitpluslesmoyens del'envoyer aulycée àl'époque. Il s'est tu.Les frais descolarité étaientélevés,a-t-ilfinipar dire, comme pourexcuser Shmielde ne pas avoir envoyé Ruchele aulycée.

Plusletransport, plusleslivres, pluslesuniformes... Les uniformes, jeles avais vusàprésent.

Parmilesphotos queMeg avait sorties dusac en plastique, laveille, ilyen avait uneancienne – elledatait de1936, lesfilles devaient avoir quatorze ans– de Meg, Frydka etPepci Diamant, deboutdevantuneclôture aucours d'une journée d'hiver.Touteslestrois portant degros manteaux d'hiver,sombres, croisés,ceinturés, à col defourrure ;aux pieds, desbottes courtes, etsur latête, lebéret del'école.

Ellesontdes visages douxetjuvéniles ;Frydka commence àperdre sesjoues depetite fille.Sonvisage me fait l'effet d'être plusâgésurcette photo quesurune autre queMeg m'amontrée, un instantané quiappartenait àPepci ( qui apéri, a dit une seconde foisMeg enme montrant la. »

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