ASSUJETTIR, verbe transitif.

ASSUJETTIR, verbe transitif. Imposer quelque chose soit en obligeant ou en contraignant, soit simplement en assurant l'immobilité et la stabilité de l'objet. I.— [L'idée d'obligation domine] A.— [Le sujet désigne une personne ou un groupe de personnes] Avec soumission aliénante, le plus souvent pénible. 1. [Le complément désigne un pays ou un peuple] : Ø 1. Aucune des classes [de la société européenne] n'a pu vaincre ni assujétir les autres; la lutte, au lieu de devenir un principe d'immobilité, a été une cause de progrès;... FRANÇOIS GUIZOT, Histoire générale de la civilisation en Europe depuis la chute de l'Empire romain jusqu'à la Révolution française, 1828, page 29. Ø 2. « Alexandre à Persépolis, sur son trône d'or, au milieu de ses quatre cents femmes, de ses gitons et des rois prosternés, cet Alexandre qu'on salue alors vrai fils de Jupiter, ne connaît pas les joies du jeune guerrier qui tranchait le noeud gordien, s'élançait le premier dans la bataille ou mesurait, de l'oeil d'un aigle, l'empire qu'il lui fallait assujettir. » MARCEL ARLAND, L'Ordre, 1929, page 16. a) De même. [Avec un complément indirect d'objet secondaire] Assujettir quelqu'un à quelque chose ou quelqu'un. Assujettir un peuple à un autre, à une influence : Ø 3. S'il y avait en face l'une de l'autre deux races d'hommes, l'une civilisée, l'autre incivilisable, la seule politique devrait être d'anéantir la race incivilisable, ou de l'assujettir rigoureusement à l'autre. ERNEST RENAN, L'Avenir de la science, 1890, page 339. b) De même. Emploi pronominal. [Avec valeur d'objet secondaire du pronom] S'assujettir un peuple, un groupe social, une province : Ø 4. Un groupe [social] ne peut se défendre contre un autre groupe ou se l'assujettir qu'à condition d'agir avec ensemble. ÉMILE DURKHEIM, De la division du travail social, 1893, page 170. 2. [Le complément désigne une personne] Assujettir une personne. L'accaparer, la priver de, ou limiter sa liberté : Ø 5. Madame Gérard, triomphante, exaltée d'avoir conquis et assujetti Madame Baudouin, trouva sa fille dans les larmes. LOUIS-ÉMILE-EDMOND DURANTY, Le Malheur d'Henriette Gérard, 1860, page 175. — Fréquent. [Avec un complément indirect d'objet secondaire] Assujettir une personne à quelque chose : Ø 6. Elle croyait deviner, sous chaque parole d'Albert, les vues étroites et despotiques du mari qui entend borner sa femme à lui-même, l'assujettir à ses goûts, la cacher au monde. JACQUES CHARDONNE, L'Épithalame, 1921, page 391. SYNTAXE : Fig. Assujettir le Saint-Esprit à ses heures, ou à la forme pronominale de l'objet secondaire s'assujettir un homme, une femme, ou invariable assujettir son coeur à une femme, à un homme. 3. Rare. [Le complément désigne un animal] Synonyme : domestiquer. L'homme assujettit et adapte la bête (JOSEPH DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, 1932, page 133 ). 4. Par analogie. [L'objet désigne une chose abstraite] Assujettir le monde, la terre. Diriger, dominer les éléments naturels. Remarque : Inversement, on rencontre des expressions illustrant la condition philosophique de l'homme : l'homme est assujetti au temps, aux maux inévitables, etc. — De même. S'assujettir quelque chose : Ø 7. En revanche, ce nain, en cheminant toujours et en accumulant son travail, fait le tour de son globe, escalade les plus hauts sommets, construit la science, s'assujettit par la pensée l'espace et le temps, réalise des choses colossales, et maîtrise les éléments et les forces de cette même planète, pour laquelle il n'est qu'un point imperceptible. HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime, 1866, page 216. B.— [Le sujet désigne indifféremment quelqu'un ou quelque chose qui contraint] Avec simple obéissance à la loi (physique ou morale) commune ou aux conventions sociales. Assujettir quelqu'un ou quelque chose à quelque chose (ou à suivi de l'infinitif). Confer se plier, se conformer (à). 1. [L'objet désigne une personne, un groupe social, ou un corps de métier] Synonyme : astreindre. Assujettir quelqu'un à un exercice journalier, à un travail, à une corvée : Ø 8. (651). La loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l'un à l'égard de l'autre, indépendamment de toute convention. Code civil des Français (ou Code Napoléon) 1804, page 119. Ø 9. Ces fonctions nouvelles qui vous assujettiront sans relâche vous ont donc fait oublier mes montagnes et la promesse que vous m'aviez faite? ÉTIENNE PIVERT DE SENANCOUR, Obermann, tome 2, 1840, page 144. — Par analogie. [L'objet désigne une chose concrète] : Ø 10. Le gérant (directeur de la publication) qui s'apprête à faire paraître un journal ou une revue doit accomplir un certain nombre de formalités auxquelles est assujettie la publication d'un périodique. GILBERTE ET HENRY COSTON, L'A.B.C. du journalisme, 1952, page 148. Remarque : On rencontre également des expressions du type " la prose (...) assujettit (...) la parole écrite aux seules règles d'une grammaire... " (OZANAM, Essai sur la philosophie de Dante, 1838, page 28). 2. DROIT (impôts). Assujettir quelqu'un (personne ou groupe social ou ethnique) à un (l') impôt, à une redevance, à un tribut. 3. Forme pronominale de l'objet premier. Se plier. S'assujettir à une autorité, un devoir, un exercice, une loi, une règle. Se conformer, suivre à la lettre. S'assujettir à une convention, une méthode, un plan; s'assujettir à faire quelque chose. — Par analogie, dans la langue abstraite : Ø 11.... c'est que la nature ne s'assujettit point aux règles logiques qui président à la coordination systématique de nos idées. AUGUSTIN COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, 1851, page 237. II.— [L'idée d'immobilité, de stabilité domine] A.— Assujettir un objet concret. Le caler, l'attacher : Ø 12. Le hublot resté ouvert vint battre soudain contre la paroi, comme si le navire eût viré brusquement; et, en me retournant pour l'assujettir, je vis que le ciel avait pâli légèrement au ras de la mer. JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes, 1951, page 220. SYNTAXE : Assujettir une étiquette sur une bouteille, une fenêtre, ses lunettes, une porte, une table, un volet. De même (avec un pronom objet secondaire) s'assujettir un chapeau sur la tête avec une ficelle. — Par analogie, rare. [L'objet désigne une personne] : Ø 13. — Je m'en fais une fête, dit la marquise en s'assujettissant doucement sur sa causeuse, comme quelqu'un qui se met à l'aise pour mieux jouir d'une circonstance agréable. OCTAVE FEUILLET, Monsieur de Camors, 1867, page 234. B.— MÉDECINE VÉTÉRINAIRE. Assujettir un animal. Le contenir dans la position la plus favorable pour l'opérer, le panser ou faciliter la guérison de quelque partie malade (confer assujetti exemple 5). — MÉDECINE. Assujettir un membre malade. Le maintenir au moyen d'instruments ou d'objets rudimentaires : Ø 14. Leur conduite m'a paru un peu mieux raisonnée dans le traitement des fractures; ils mettent les bouts des os fracturés en contact, et les y maintiennent par un bandage, en assujettissant le membre dans une écorce d'arbre qui l'emboîte par le moyen de lisières de peau : le malade garde le repos jusqu'à la parfaite consolidation des parties. Voyage de la Pérouse autour du monde (MILET DE MUREAU) tome 4, 1797, page 59. C.— Par analogie. [Le sujet désigne une chose] Assujettir quelqu'un. Synonymes : attacher, retenir prisonnier : Ø 15. Quand Jean Valjean fut seul avec Javert, il défit la corde qui assujettissait le prisonnier par le milieu du corps, et dont le noeud était sous la table. VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 2, 1862, page 477. D.— Spécialement. MANÈGE. · Assujettir un cheval. Le conduire de manière que les épaules et les hanches ne sortent point de la piste. Remarque : Attesté dans Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse)-Nouveau Larousse illustré, DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE (ÉMILE LITTRÉ), DICTIONNAIRE DES DICTIONNAIRES (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892; ne figure pas dans Dictionnaire de l'Académie. · Assujettir la croupe d'un cheval. La fixer avec la rêne de dedans et la jambe de dehors. Remarque : Attesté dans Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse)-Nouveau Larousse illustré, DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE (ÉMILE LITTRÉ), DICTIONNAIRE DES DICTIONNAIRES (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892. STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 225. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 493, b) 293; XXe. siècle : a) 254, b) 225.