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arrêté sur son cou, très fin, et sur sa nuque, qu'elle tenait dégagée, ayant noué ses longs cheveux de côté.

Publié le 06/01/2014

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arrêté sur son cou, très fin, et sur sa nuque, qu'elle tenait dégagée, ayant noué ses longs cheveux de côté. Il y avait chez elle une brusquerie d'adolescente mêlée à une grâce toute féminine, mais il fallait prendre le temps de le découvrir. Marion détacha soudain ses yeux des photos et surprit chez son hôte une expression qu'elle n'attendait pas. Il semblait troublé par sa présence. -- Tout va bien ? s'enquit-elle à mi-voix. -- Mais oui... Vous avez remarqué ce que j'ai mis en évidence sur ces documents ? -- L'abondance des 8, encore et encore. Ici, dans les motifs du pourpoint, là, sur la croupière du cheval. -- Je suis pourtant passé d'innombrables fois devant ces tableaux de Jean Clouet au musée du Louvre, mais c'est seulement après vos constatations que je les ai vus sous un autre angle. Je me suis aperçu avec étonnement que le plan du donjon principal de Chambord, en forme de croix, est composé de quatre salles comportant chacune quatre-vingts caissons. Les caissons alternent les F majuscules et les salamandres. Les F sont bordés de cordes sculptées représentant des 8 formés par le noeud en « lacs d'amour ». Elle entra sans peine dans ses déductions. -- Et ce symbole fera partie des armoiries de la franc-maçonnerie dans les siècles suivants. Sa présence est un indice important. Que dites-vous de la fameuse tour-lanterne qui coiffe le château ? -- Elle aussi m'a dévoilé ses 8 et ses F. Ils sont presque invisibles depuis les parterres, les terrasses ou les fenêtres, mais en accédant au petit escalier en colimaçon réservé au roi et qui mène au sommet, on devine par les interstices huit énormes médaillons cachés. Ils sont si aboutis et si travaillés qu'on se demande pourquoi de telles oeuvres sont cachées. On y découvre huit F, toujours entourés de cordes aux « lacs d'amour », mais également quatre croix papales couvertes d'un 8. Ces croix sont représentées trente-deux fois, et formées par un double H collé. Un H qui est la huitième lettre de notre alphabet. Le 8 orne également les étriers et l'épée de François Ier. Les multiples de ce nombre sont partout. -- Ça ne peut être qu'une clé, dit Marion. -- La clé de la symétrie, pour être plus précis. Le 8 en est le parfait symbole, il est composé d'un double S. Un S comme symétrie, ou salamandre, ou... secret. -- Le 8 et la salamandre jalonnent aussi le château de Fontainebleau. La demeure principale du roi, ou plutôt des rois, ajouta Marion. -- En traçant sur une carte une ligne entre Chambord et Fontainebleau, on va de surprise en surprise. Yvan sortit une carte de France sur laquelle il avait tiré plusieurs lignes. Il avait entouré le milieu de celle qui joignait les deux châteaux. -- Qu'est-ce qu'il y a à cet endroit ? demanda Marion. -- Le ruisseau de l'Esse. ESSE, comme un S, écrit de façon symétrique, avec un double S. À l'époque, un esseux était un cours d'eau. Et il se trouve dans l'alignement parfait, à mi-chemin entre les deux châteaux. Marion émit un sifflement admiratif. Son partenaire avait l'oeil. -- Quand avez-vous découvert tout cela ? Et ces photos ? demanda-t-elle. -- En début de semaine, j'ai passé deux jours à Chambord. -- Sans moi ! lâcha Marion d'une voix plus dépitée qu'elle ne l'aurait voulu. Yvan se sentit fautif. -- Mais... Je pensais que... -- Je croyais qu'on travaillait ensemble, fit-elle, cette fois sur un ton mutin. Ils poursuivirent leurs échanges jusqu'à midi. Marion finit par s'inquiéter de l'heure. -- Jane va m'attendre, je dois y aller. Yvan la raccompagna sur le palier, et comme il la quittait en lui faisant la bise, elle se dressa sur ses talons pour le fixer du regard et lui lança : -- La prochaine fois, tu ne pars pas sans moi ! Le tutoiement lui avait échappé. Elle s'empourpra légèrement, sans pour autant baisser les yeux. -- Promis, je t'enverrai le carton d'invitation. 10 Cette nuit-là, Eddy Lopez avait dû sortir et rouler des kilomètres pour accomplir une corvée. Il appelait ça « débarrasser la table ». C'était la deuxième fois en quinze jours. Il lui faudrait ralentir, mais c'était plus fort que lui. L'instinct avait parlé. Et s'il était son maître, il était aussi son esclave. Décidément, la vie était pleine de paradoxes. Un mélange impur. De retour à son domicile, Eddy n'avait pas résisté au besoin de faire un dernier tour dans son labo, ce local aménagé par ses soins et dont il était si fier. Il voulait vérifier que tout y avait repris sa place habituelle. Il entra en faisant jouer avec délectation les gonds de la porte à trois points. Une odeur mentholée de produits aseptisants flottait dans la pièce. Il l'éclaira, ouvrit le placard métallique enfermant ses trésors, contempla ses mains, musclées comme celles d'un gymnaste exercé aux barres, puis enfila une paire de gants en daim. L'endroit tenait à la fois d'une salle d'examen à la blancheur clinique et du studio photo. À l'intérieur du meuble était disposé son équipement, pieds en aluminium, parapluies, lampes, boîtiers numériques haut de gamme... Il prit l'un des appareils et le mit en fonction. Un bip électronique retentit pendant que les lentilles de l'objectif cherchaient leur cible. Les flashs commencèrent à crépiter tel un stroboscope au ralenti. Il mitrailla dans le vide, puis laissa tomber. Assez joué. Il rangea le matériel, retira ses gants et ressortit du local d'un pas pesant. Il avait son compte.   Une heure plus tôt, il palpait du doigt une dalle de ciment posée le jour même. Il avait garé son véhicule près d'un lotissement en construction, inspecté des fondations et repéré l'endroit qui conviendrait. Ensuite, il avait regagné sa voiture, ouvert le coffre, et s'était lesté du fardeau pour le décharger là où il l'avait décidé. Il décidait de tout. Désormais, sous la couche de terre glaiseuse, entre des fers à béton, dormirait pour l'éternité la chose qui l'avait encombré. 11 Sous la verrière du patio, deux perruches suspendues à la balançoire de leur cage s'épouillaient bruyamment. Jane ne prêtait plus attention à ces cris familiers. Ses doigts modelaient dans l'argile une tête d'angelot. L'atelier donnait dans la petite cour aménagée en jardin d'hiver. Jane se tenait assise sur un tabouret à vis qu'elle avait réglé à bonne hauteur pour ménager son dos. Les copeaux s'amoncelaient au sol à mesure que se précisaient les traits poupins de la figurine. Cette activité permettait à Jane de laisser vagabonder son esprit. Elle songeait à Marion, au bien que lui procurait sa présence dans l'appartement. C'était une compagnie agréable, car chacune avait son indépendance tout en veillant sur l'autre. Jane avait offert spontanément l'hospitalité à cette nièce qu'elle connaissait à peine. Elle l'avait vue grandir de loin ; en effet, cette quinquagénaire à la belle chevelure rousse et à la silhouette fine, après avoir divorcé très jeune, était partie s'installer en France, à Paris, pour s'y reconstruire. Elle aimait cette ville, son atmosphère, ses musées. Elle faisait partie de ces Américains dont le tempérament ne s'accorde qu'avec le climat intellectuel des bords de Seine. Le père de Marion s'était moqué de ce « caprice ». Ils ne s'entendaient pas. Mais quand Marion était arrivée, Jane n'avait eu aucun mal à gagner sa confiance : elles se comprenaient. Jane ne jugeait pas sa nièce, ne la couvait pas davantage. Elle ne remplacerait ni sa mère ni son père. Et Marion lui en savait gré. Elle se livrait peu, tout confier l'aurait fragilisée plus encore. Jane était pourtant sa seule confidente. Elle admirait le courage de cette enfant et sa ténacité. Au quotidien, rien n'était venu troubler leur cohabitation. Mais, depuis quelque temps, Jane s'inquiétait de voir Marion aussi peu entourée d'amis, enfermée dans sa chambre des journées entières. Elle la soupçonnait de veiller tard, trop souvent, devant ses livres et son ordinateur, et la trouvait encore plus silencieuse que d'habitude, presque mutique. Contrevenant à ses principes, Jane s'était introduite à plusieurs reprises, en l'absence de sa nièce, dans son domaine. Ce n'était pas par curiosité malsaine, elle n'aurait jamais fouillé dans ses tiroirs. Une simple incursion la rassurait. Pour cela, Jane devait emprunter le couloir longeant le patio. Les cris des perruches venaient couvrir les grincements du parquet sous ses pas. De hauts plafonds moulurés, des miroirs, une porte à vitraux... Après quoi, Jane entrait dans un petit salon à peu près vide où Marion avait installé un rétroprojecteur pour regarder ses vidéos, puis elle passait dans la chambre. Des livres sommeillaient dans une bibliothèque attenante à la cheminée. Un foulard était plié sur la console, près du canapé. Sur le rebord intérieur de la fenêtre, une pierre transparente offrait ses rayons colorés à la convoitise des pies. Par une porte donnant dans la salle de bains, on apercevait quelques produits de beauté et des accessoires posés sur les étagères en verre. Bien peu, à vrai dire. Mais le parfum de Marion, fruité, juvénile, une essence légèrement acidulée, flottait partout alentour. Le bureau, jonché d'enveloppes et de formulaires, était aussi recouvert de photos et de cartes postales représentant des oeuvres d'art. Des câbles électriques pendaient à une lampe design, ils s'entrecroisaient au pied du mur où étaient branchés les chargeurs de divers équipements. Le lit était fait, mais le dessous de la commode recélait un fatras de cartons à chaussures et d'emballages divers. Sur le plateau du dessus s'empilaient des chandails, un chemisier froissé, des tee-shirts. La visite s'achevait toujours sur ce constat : Marion n'était pas très soigneuse avec ses affaires. Ce matin-là, Jane s'était tournée vers la grande armoire. Marion avait sûrement assez de place pour y loger ses vêtements plutôt que de les laisser traîner par terre. Elle-même ne parviendrait pas à la remplir, et pourtant son propre vestiaire était celui d'une ancienne styliste. S'approchant des battants de l'armoire, Jane s'aperçut que la clé n'était plus dans la serrure et que la porte était fermée. Son coeur se serra. * -- Ah non, pas ce matin ! Yvan sortit de sa douche : il venait de se taillader la joue au rasoir à cause d'une coupure de courant. La salle d'eau, une pièce aveugle, était plongée dans le noir. Il se tamponna le visage, noua la serviette mouillée autour de sa taille et courut sur le palier. À coup sûr, le disjoncteur avait encore sauté. Pourtant, il n'avait pas fait fonctionner ses plaques chauffantes en même temps que le sèche-cheveux, ni mis en marche ses trois radiateurs, et le réfrigérateur était en panne. En atteignant le palier, torse nu, les mollets à l'air et de la mousse à raser jusqu'aux oreilles, il tomba nez à nez avec sa voisine. Elle portait une valise d'une main, et de l'autre la cage du chat. -- Excusez-moi, je venais remettre le compteur... Vous avez toujours le courant ? -- Oh, je suis désolée ! J'ai voulu couper le mien et le système a dû sauter une fois de plus. -- Vous partez en voyage ? fit Yvan. -- Oui... À mon âge, voyager coûte moins cher et j'ai encore des jambes. Yvan se proposa pour l'aider à entrer dans l'ascenseur, mais la vieille dame ne souhaitait pas lâcher ses paquets. Il n'insista pas. Il était déjà assez ridicule dans cette tenue. -- Si je peux me permettre, monsieur Sauvage, l'eau et l'électricité ne font pas bon ménage sur un compteur défectueux, lança-t-elle avant que la grille de l'ascenseur ne se referme. Yvan regarda ses pieds dégoulinants. Il retourna se sécher.  

« 10 Cette nuit-là, EddyLopez avaitdûsortir etrouler deskilomètres pouraccomplir unecorvée.

Il appelait ça« débarrasser latable ».

C’étaitladeuxième foisenquinze jours.Illui faudrait ralentir,mais c’était plusfortque lui.L’instinct avaitparlé.

Ets’il était sonmaître, ilétait aussi sonesclave.

Décidément, la vie était pleine deparadoxes.

Unmélange impur. De retour àson domicile, Eddyn’avait pasrésisté aubesoin defaire undernier tourdans sonlabo, ce local aménagé parses soins etdont ilétait sifier.

Ilvoulait vérifier quetoutyavait repris saplace habituelle.

Ilentra enfaisant joueravecdélectation lesgonds delaporte àtrois points.

Uneodeur mentholée deproduits aseptisants flottaitdanslapièce.

Ill’éclaira, ouvritleplacard métallique enfermant ses trésors, contempla sesmains, musclées commecellesd’ungymnaste exercéauxbarres, puisenfila une paire degants endaim.

L’endroit tenaitàla fois d’une salled’examen àla blancheur cliniqueetdu studio photo.

Àl’intérieur dumeuble étaitdisposé sonéquipement, piedsenaluminium, parapluies, lampes, boîtiersnumériques hautdegamme… Ilprit l’un des appareils etlemit enfonction.

Unbip électronique retentitpendant queleslentilles del’objectif cherchaient leurcible.

Lesflashs commencèrent à crépiter telun stroboscope auralenti.

Ilmitrailla danslevide, puislaissa tomber.

Assezjoué.Ilrangea le matériel, retirasesgants etressortit dulocal d’unpaspesant.

Ilavait soncompte.   Uneheure plustôt,ilpalpait dudoigt unedalle deciment poséelejour même.

Ilavait garéson véhicule prèsd’unlotissement enconstruction, inspectédesfondations etrepéré l’endroit qui conviendrait.

Ensuite,ilavait regagné savoiture, ouvertlecoffre, ets’était lestédufardeau pourle décharger làoù ill’avait décidé.

Ildécidait detout. Désormais, souslacouche deterre glaiseuse, entredesfers àbéton, dormirait pourl’éternité la chose quil’avait encombré.. »

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