anorexie mentale
Publié le 03/04/2015
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anorexie mentale (angl. Anorexia Nervosa; allem. Anorexia nervosa). Trouble symptomatique de la conduite alimentaire se traduisant principalement par une restriction très importante de l'alimentation et dont la détermination, paradoxale, semble joindre une affirmation très forte d'un désir menacé à une néga-tion de l'identification sexuelle qui pourrait donner une issue à ce désir.
À la différence de la boulimie, l'ano¬rexie mentale est isolée comme telle depuis la fin du )(De siècle (Gull, Las-sègue, Huchard). Elle apparaît princi¬palement chez des adolescentes ou de jeunes adultes, avant 25 ans, et elle est très rare chez les hommes. Elle se tra¬duit par des restrictions de nourriture dont le prétexte est souvent, au moins au départ, un régime fondé sur des rai-sons esthétiques. Ces restrictions peuvent s'accompagner de vomisse-ments provoqués, de prises de laxatifs et de diurétiques. Elles produisent l'ef¬facement des formes féminines, la fonte des muscles, divers troubles somatiques, l'aménorrhée et mettent parfois la vie en danger.
Pour les psychanalystes, outre la res¬ponsabilité qu'ils peuvent avoir, en tant que thérapeutes, lorsqu'ils sont consul¬tés, l'anorexie pose divers problèmes cliniques et, d'abord, celui de sa défini¬tion. S'agit-il d'un symptôme qui peut être associé à certaines structures névrotiques, voire psychotiques ou perverses, et, dans ce cas-là, à quelle structure particulièrement? Ou s'agit-il d'un trouble spécifique posant à sa façon la question du désir?
Les psychiatres et psychanalystes qui se sont intéressés à l'anorexie y ont vu parfois une pathologie parapsycho-tique. C'est le cas, par exemple, de M. Selvini-Palazzoli (L'Anoressia men¬tale, 1963), qui y voit une psychose monosymptomatique. Dans une pers¬pective voisine, H. Bruch (les Yeux et le ventre, 1984) souligne les distorsions quasi délirantes de l'image du corps (perçu par exemple comme un corps d'obèse alors qu'il est extrêmement maigre), les distorsions dans l'interpré¬tation cognitive des stimulus qui pro-viennent de l'intérieur du corps ainsi que le refus de reconnaître la fatigue. On pourrait néanmoins objecter qu'une telle conception repose sur l'idée que la réalité, pour le sujet non psychotique, est généralement
reconnue de façon objective. En fait, la réalité pour chacun est organisée par le fantasme et on trouve chez de très nombreux sujets non psychotiques des distorsions considérables par rapport à ce qui apparaîtrait comme réel pour un observateur extérieur. En somme, les références à la psychose ne sont pas plus convaincantes que ne le seraient par ailleurs les références à la névrose obsessionnelle : certes l'anorexique pense constamment à la nourriture, elle pèse et calcule, elle contrôle sans cesse son poids ou son tour de cuisse, etc. Mais une telle détermination reste¬rait trop formaliste, trop exclusivement descriptive.
ANOREXIE ET HYSTÉRIE
Classiquement, d'ailleurs, l'anorexie est plutôt rapprochée de l'hystérie. C'était généralement la position de Freud, même s'il se demandait à l'occa¬sion quels liens il pouvait y avoir entre anorexie et mélancolie. Encore faut-il ici s'entendre. Ce repérage structural n'aurait guère d'intérêt s'il devait conduire à appliquer mécaniquement des interprétations stéréotypées de la fantasmatique de l'anorexique. Ainsi, à la suite de K. Abraham, qui mettait en lumière le lien entre l'ingestion d'ali-ments et le fantasme de «fécondation orale «, certains auteurs ont mis en rap-port l'anorexie avec le refoulement de ce fantasme. On voit facilement combien une telle conception peut être réductrice.
Si l'anorexie peut cependant être abordée à partir de l'hystérie, c'est sans doute dans une tout autre perspective. On sait que le désir est toujours lié à un manque. Ainsi, comme le souligne J. Lacan, l'enfant gavé par la mère peut refuser de s'alimenter pour recréer un manque que celle-ci a bouché en ten-tant seulement de satisfaire ses besoins. « C'est l'enfant que l'on nour¬rit avec le plus d'amour qui refuse la nourriture et joue de son refus comme d'un désir. «
Une telle approche situe l'anorexie mentale à l'extrême de la position hys-térique à l'égard du désir. L'hystérique, déjà (--> hystérie), par sa façon de lier le désir à l'insatisfaction, tend à démon¬trer que le désir ne porte pas sur l'objet particulier qu'il semble viser, qu'en dernier ressort il vise un manque, un « rien «. Dès lors, l'anorexie n'apparaît plus comme une affection tout à fait particulière. Lacan reprend à E. Kris le cas d'un auteur convaincu d'avoir pla¬gié, alors que ses emprunts ne vont pas au-delà de ce qui est communément admis dans son domaine d'activité. L'intervention de son analyste, qui cherche à l'en convaincre, déclenche un acting-out.: il se retrouve en train de manger des «cervelles fraîches« dans un restaurant non loin de chez celui-ci. C'est que de fait, dit Lacan, cet homme volait, mais volait « rien «, comme l'anorexique mange « rien «. Incons¬ciemment, il désirait s'approprier l'ob¬jet, mais sous sa forme la plus dépouillée, Anorexie en l'occurrence proprement mentale, dit Lacan, ano¬rexie quant au mental.
LA JOUISSANCE DE L'AUTRE
S'il n'est pas question de nier la portée d'une telle approche, il faut bien relever qu'elle peut paraître aujourd'hui devoir être complétée, ne serait-ce d'ailleurs qu'à partir de certaines autres articula-tions de Lacan, par exemple sur la jouissance du corps.
Il faut notamment souligner ceci : l'anorexique dépense une très grande énergie intellectuelle et même phy¬sique (veilles prolongées, exercices sportifs, hyperactivité, etc.) mais cette énergie est mise tout entière au service d'un symptôme dont le propre est d'empêcher l'identification sexuelle (l'anorexique n'est ni homme ni femme) et de dessécher toute possibi-lité de relation affective ou sexuelle.
On pourrait alors envisager de mettre l'accent, comme le font E. et
J. Kestemberg et S. Decobert (la Faim et le corps, 1972) sur ce qui constituerait une forme de «masochisme érogène primaire « où le plaisir serait lié directe¬ment à la sensation de faim. Cette pers¬pective, qui semble supposer le primat de quelque chose qui relèverait de l'au-toérotisme, ne nous paraît pas contra-dictoire, malgré la différence d'approche, avec les développements que nous pouvons faire par ailleurs à partir de l'opposition lacanienne entre jouissance phallique et jouissance de l'Autre.
La jouissance phallique, pour Lacan, suppose l'identification sexuelle, elle-même en rapport avec le complexe de castration. Si cette voie est fermée pour l'anorexique, il semble bien que celle-ci privilégie la jouissance du corps
comme jouissance Autre jouis
sance). Ici, ce terme ne doit pas être compris comme synonyme de plaisir, c'est-à-dire de ce qui procède de la diminution de la tension. Mais, pour prendre un exemple particulier, il n'est pas rare que des anorexiques qui multi-plient les vomissements provoqués décrivent la sensation du poids de la nourriture comme insupportable, un insupportable qu'on sent identique à une très forte jouissance.
Nous avons là les éléments qui per-mettent une autre distinction de struc-ture. E. et J. Kestemberg et S. Decobert invoquent l'importance du mécanisme de « dénégation « chez l'anorexique pour parler de perversion. Mais, outre que dans cette perspective on atten-drait plutôt «déni« que « dénégation«, la démonstration ne semble pas tout à fait probante : certes, il y a chez l'ano-rexique une négation de la différence sexuelle, négation concrétisée dans la réalité par le fait que son symptôme empêche l'épanouissement des attri-buts corporels de la féminité. Cette négation peut-elle se rapprocher du déni pervers ? En tout cas, la maîtrise que tente d'exercer l'anorexique
(notamment en se montrant plus forte que ceux qui lui demandent de man-ger) n'est jamais, comme chez le per-vers, une maîtrise de la jouissance sexuelle, de la jouissance « phallique «.
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