ADRESSE 1 , substantif féminin. I.- Point d'acheminement ou indications sur le point d'acheminement d'un objet ou d'une personne. A.- Phraséologie. (Dans certaines locutions figées ou archaïques). Point d'acheminement d'un objet, d'un acte; destination, destinataire. 1. [Adresse est suivi du syntagme de + substantif ou accompagné d'un adjectif possessif] a) Archaïsme . [En parlant d'un projectile, d'une parole, d'un écrit] Aller, arriver à son adresse. Atteindre sa destination : Ø 1. - Mon cher Spilett, et vous, Pencroff, reprit Cyrus Smith, raisonnons froidement. Si les convicts étaient gîtés dans un endroit de l'île, si cet endroit nous était connu, et s'il ne s'agissait que de les en débusquer, je comprendrais une attaque directe. Mais n'y a-t-il pas lieu de craindre, au contraire, qu'ils ne soient assurés de tirer le premier coup de feu? - Eh, Monsieur Cyrus, s'écria Pencroff, une balle ne va pas toujours à son adresse! - Celle qui a frappé Harbert ne s'est pas égarée, Pencroff, répondit l'ingénieur. JULES VERNE, L'Île mystérieure, 1874, page 494. b) (Être) à l'adresse de + nom du destinataire . - [En parlant d'une lettre] Porter l'indication (écrite) du destinataire : Ø 2.... Léon Rolland brisa la volumineuse enveloppe que lui avait remise le comte. Elle renfermait deux lettres. L'une, dont la suscription était de la main de Jeanne, était à l'adresse de Cerise. L'autre, écrite par le comte, était pour Léon Rolland. PIERRE-ALEXIS, VICOMTE PONSON DU TERRAIL, Rocambole, les drames de Paris, tome 2, Le Club des valets de coeur, 1859, page 157. - Au figuré . [En parlant d'un propos, ou de quelque autre moyen d'expression : geste, mimique, etc.] Être destiné à (une personne) : Ø 3. Encore un mot. Vous êtes-vous douté que six lignes de parenthèse à l'adresse des puissants négateurs étaient pour vous ? VICTOR HUGO, Correspondance, 1862, page 398. Remarque : De + nom du destinataire peut être remplacé par un adjectif possessif non réfléchi : une lettre, des paroles, etc. à votre adresse, etc. 2. [Adresse est complément verbal] Se tromper d'adresse. Se tromper de destination ou de destinataire. - [En parlant d'une personne considérée dans un de ses actes] : Ø 4. CLAUDIO. - Cela vous est (...) arrivé, puisque ma femme a enjoint à ses gens de vous fermer la porte au nez à la première occasion. OCTAVE. - Tes lunettes sont myopes, juge plein de grâce : tu te trompes d' adresse dans ton compliment. ALFRED DE MUSSET, Comédies et proverbes, Les Caprices de Marianne, 1834, II, 1, page 153. Ø 5.... tu ne t'es pas regardée, ma pauvre fille. Tu seras ridicule. Au bout d'une heure, on te renverra avec un coup de pied dans le derrière. Mannequin? Tu t'es trompée d' adresse. Tu aurais dû t'engager comme épouvantail. JEAN COCTEAU, Les Enfants terribles, 1929, page 101. - [En parlant d'un geste, des paroles, etc., d'une personne] : Ø 6. Un soir de voyage, au carrefour où les chemins de Delphes et de Daulie se croisent, il rencontre une escorte. Un cheval le bouscule; une dispute éclate; un domestique le menace; il riposte par un coup de bâton. Le coup se trompe d' adresse et assomme le maître. Ce vieillard mort est Laïus, roi de Thèbes. Et voici le parricide. JEAN COCTEAU, La Machine infernale, 1934, page 25. B.- Langue courante. Indications permettant d'atteindre le point d'acheminement. 1. [Le point d'acheminement est le lieu où doivent être envoyés ou portés des objet (colis, lettres, etc.) destinés à une personne; plus rarement, où doit se rendre une personne pour en rencontrer une autre] a) [Le nom du destinataire connu est indiqué ou bien par un complément de nom ou un adjectif possessif, ou bien par le sujet de la proposition] Indication du lieu où peut être atteinte cette personne : Ø 7. Si vous croyez que mon adresse à Paris ne soit pas sûre, écrivez-moi sous celle de M. Gautier de Tournes à Genève. Il faut mettre sur l' adresse par la France ou par Ostende. Suivant les temps la route de France est plus courte; l'autre, je n'en sais rien. Vous savez qu'il faut affranchir. GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Correspondance générale, lettres inédites à Louis de Narbonne, 1792, page 20. Ø 8. Mon adresse est changée. Je demeure maintenant rue de Mézières, no. 10 (faubourg Saint-Germain). VICTOR HUGO, Correspondance, 1821, page 320. Ø 9. Sir Williams donnait un faux nom et une fausse adresse dans l'unique but de dépister la police... PIERRE-ALEXIS, VICOMTE PONSON DU TERRAIL, Rocambole, les drames de Paris, tome 1, L'Héritage mystérieux, 1859, page 468. Ø 10.... que savaient-ils l'un de l'autre? Tout au plus une adresse, parce qu'elle figurait à l'annuaire. Encore Michon n'avait-il jamais vu la maison de M. Baslèvre et M. Baslèvre pouvait-il se demander si Michon logeait en garni ou en appartement. ÉDOUARD ESTAUNIÉ, L'Ascension de Monsieur Baslèvre, 1919, page 22. Ø 11. Cette image chérie se faisait toujours plus lointaine et insaisissable, se fondait là-bas à l'horizon, en une brume de sang, parmi la foule des victimes. Une seule carte de la Croix-rouge, et puis plus de nouvelles. Aucune adresse, aucun renseignement. Par voie officielle, par voie occulte, M. Feuillebois avait tenté d' entrer en relations avec son fils, il avait échoué. MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, page 216. Ø 12. Tout abonnement téléphonique principal ordinaire donne droit à une inscription gratuite dans la liste alphabétique. Cette inscription comporte exclusivement : le nom suivi de l'initiale du prénom (...); la profession (...); l' adresse et le numéro d'appel. Annuaire officiel des abonnés au téléphone . 1968, page III. Remarque : Syntagmes fréquents : connaître l'adresse de quelqu'un; donner son adresse; il a une nouvelle adresse; donner, laisser, savoir, trouver l'adresse de quelqu'un; l'ancienne, la nouvelle adresse de quelqu'un; c'est la bonne adresse; fausse adresse; partir sans laisser d'adresse. - Par métonymie. Le lieu lui-même. Se rendre, aller à l'adresse indiquée. Spécialement (commerce, gastronomie, etc.). Avoir, connaître de bonnes adresses : des endroits où l'on achète, mange, s'amuse bien. b) [Le nom du lieu est mentionné dans un complément de nom accompagnant adresse] Indications précisant ce lieu. Donner l'adresse d'un lieu : Ø 13. Un soir de l'été dernier, une lettre, écrite d'une grosse écriture, qui portait l' adresse d'un village lointain, avait appris à Louisa que son frère était mort,... ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, La Révolte, 1907, page 537. Ø 14.... je me précipitai dans l'escalier, hors de la maison, dans le taxi. Je criai au chauffeur l' adresse de la rue Saint-Guillaume. Je tremblais que Mme. Ortègue, revenue à elle, ne me suivît (...). Une fois arrivé à la clinique et tandis que je payais le chauffeur, je constatai que la rue Saint-Guillaume restait déserte. Mme. Ortègue ne m'avait pas suivi,... PAUL BOURGET, Le Sens de la mort, 1915, pages 252-253. Ø 15.... quand il arriva, son père était déjà en bière. On remit seulement à Pascal une liasse de papiers et l' adresse de la chambre où avait habité Simon. C'était rue de Flandre, au sixième d'un petit hôtel. MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14, 1935, page 441. c) [Ni le lieu, ni la personne ne sont encore mentionnés] Mention du nom d'une personne, suivie de l'indication du lieu où elle peut être atteinte. Écrire l'adresse sur une enveloppe : Ø 16. Armand dormit sous le Pont-Neuf, (...). Ses rêves agités par la réalité toujours présente le firent retrouver le forgeron Avril qui faisait des adresses qui faisait des adresses sans fin, et toujours la même adresse. Mme. Sarah Bernhardt, villa Pain-Béni, aux îles-d'Or... LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers, 1936, page 388. Remarque : 1. Syntagmes fréquents : écrire, envoyer à l'adresse suivante, à l'adresse indiquée; carnet, livre d'adresses; adresse télégraphique (adresse réduite pour l'envoi des télégrammes). 2. Les indications d'une adresse portent au minimum un nom de lieu auprès d'un nom de personne; l'adresse est d'ordinaire complétée par des indications précisant le lieu (nom d'une résidence, rue et n° de la rue, localité voisine, département, pays, parfois l'itinéraire, confer exemple 7) ou le nom (prénom(s), nom complémentaire, titres divers, etc.), le but étant d'éviter des erreurs d'acheminement, et de remise au destinataire par la multiplication des indications d'identité; certaines indications de politesse (titres honorifiques, etc.) ne font pas partie de l'adresse proprement dite, quoique pouvant figurer sur la suscription d'une lettre. d) Par restriction . - DIPLOMATIE. [L'indication du lieu étant donnée avant ou après] Formule comportant les nom, titre et qualité du destinataire, employée en tête d'un acte rédigé en forme de lettre (d'après Grand Larousse encyclopédique en dix volumes). Remarque : Sous les emplois mentionnés sous 1 se devine une spécification du sens classique " renseignement (sur une affaire, une personne) ", qui survit dans l'expression très vieillie bureau d'adresse " lieu, établissement où l'on s'adressait pour obtenir certains renseignements. Figuré et familier C'est un vrai bureau d'adresse, se dit d'une maison (ou d'une personne, Dictionnaire de l'Académie Française 1798-1878) où l'on débite ordinairement beaucoup de nouvelles. " (Dictionnaire de l'Académie Française tome 1 1932) (confer infra étymologie) : Ø 17. Après son expédition du 17 mai à Port-Royal des Champs, l'archevêque fit dire à M. Arnauld qu'il voulût bien quitter pendant quelque temps son faubourg Saint-Jacques; que les assemblées qui s'y tenaient déplaisaient au roi; qu'on l'accusait d'être le bureau d' adresse de tous les ecclésiastiques mécontents. CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 5, 1859, page 136. 2. Par analogie . INFORMATIQUE. Partie d'une instruction, indiquant, sous forme numérique ou littérale, le fragment de mémoire d'ordinateur dans lequel ou à partir duquel un nombre doit être écrit ou lu au cours de l'exécution de cette instruction. (Le fragment de mémoire peut être une page, un mot, un demi-mot, un octet, un bit...) : Ø 18. L'entier associé à un élément est appelé son adresse. Ainsi une adresse définit-elle un élément et un seul de la mémoire. La donnée de cette adresse permet l'accès direct à l'élément qu'elle désigne, grâce au système technologique d' adressage. JACQUES ARSAC, Les Systèmes de conduite des ordinateurs, Paris, Dunod, 1968, page 27. Ø 19. Chaque mot dans une mémoire à tores, à tambour ou à disques a une adresse et vous pouvez donner à l'ordinateur des instructions lui commandant de copier le contenu d'une certaine cellule dans le totalisateur, ou bien d'additionner le contenu d'une certaine cellule à celui du totalisateur, etc. THÉODORE-G. SCOTT, Ordinateurs électroniques, techniques de programmation, traduit par J. Charbonneau-Kohiyama, Paris, Gamma, 1968, page 283 A. Remarque : Dans cet emploi technologique, l'objet à adresser est remplacé par un nombre; le destinataire est la machine assimilée à une personne pensante. II.- Vieilli. Déclaration formulée à l'intention d'un destinataire. En particulier . dans le domaine de la politique Déclaration le plus souvent écrite dans laquelle des particuliers, le plus souvent appartenant à un même groupe (corps constitués, villes, provinces, colonies, etc.), communiquent à une personne investie de tout ou partie du pouvoir (le plus souvent un chef d'État) ou à plusieurs personnes appartenant à un même corps politique (généralement représentatif, par exemple l'Assemblée nationale), leur opinion ou leurs voeux concernant une affaire importante : Ø 20.... c'est en vain que la Garde nationale avignonoise a présenté à l'Assemblée nationale une adresse, où elle manifeste la résolution de combattre jusqu'à la mort pour la défense des frontières de l'Empire françois;... MAXIMILIEN DE ROBESPIERRE, Discours, Sur la pétition du peuple avignonais, tome 6, 1790, page 592. Ø 21. L' adresse en réponse fut rédigée par Mme. Étienne et Guizot. Elle disait : « Sire, la charte consacre comme un droit l'intervention du pays dans la délibération des intérêts publics. Cette intervention fait du concours permanent des vues de votre gouvernement avec les voeux du peuple la condition indispensable de la marche régulière des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement, nous condamnent à vous dire que ce concours n'existe pas. » L' adresse fut votée à la majorité de deux cent vingt et une voix contre cent quatre-vingt-une. FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 3, 1848, page 580. Ø 22. Je vous serais obligé de bien vouloir inviter M. le commissaire de la République de la région de Lyon à faire connaître aux comités expéditeurs de l'« adresse » que j'ai noté avec intérêt leur voeu de voir définir clairement le rôle des comités départementaux de libération... CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, Le Salut, 1959, page 319. - Par extension (hors du domaine politique), rare . Adresse au lecteur, à une personne illustre. - Par ironie, néologisme d'auteur. Message sous forme de soufflet : Ø 23.... ce qui lui attira un jour sur chacune de ses joues un soufflet bien appliqué. Il s'en vengea en faisant bâtonner de nuit celui qui avait osé imprimer son adresse sur ses joues. LOUIS-FRANÇOIS RABAN, MARCO SAINT-HILAIRE , Mémoires d'un forçat, ou Vidocq dévoilé, tome 2, 1828-1829, page 258. Remarque : 1. Syntagmes fréquents : rédiger, voter une adresse; envoyer, expédier, lire, présenter, prononcer, recevoir une adresse. 2. Le substantif désignant la personne (ou le groupe) qui reçoit l'adresse peut être introduit par la préposition à et celui qui désigne la personne (ou le groupe) qui l'envoie par la préposition de; le terme exprimant les sentiments, opinions ou voeux objets de l'adresse peut déterminer directement le mot adresse et est alors introduit par la préposition de : adresse de félicitations, de protestation. 3. Sous la monarchie constitutionnelle, l'adresse (ou le projet d'adresse) était une réponse faite au discours du roi, d'où l'expression adresse en réponse (au discours de la couronne ou du trône, exemple 20). Le décret du 31 janvier 1867 a remplacé l'adresse par le droit d'interpellation. Forme dérivée du verbe "adresser" adresser ADRESSER 1 , verbe transitif. I.- Emploi transitif (Confer article à) [Généralement suivi d'un objet secondaire précédé de la préposition à. Le sujet est toujours une personne] Faire parvenir à destination. A.- Envoyer quelque chose vers (ou à) un destinataire ou un lieu de destination. Antonyme : recevoir. 1. [L'objet direct est une chose matérielle (le plus souvent une lettre) envoyée à une personne précise, par l'intermédiaire d'une autre personne ou de la poste] Envoyer quelque chose à quelqu'un en un certain lieu, à une certaine adresse (confer adresse) : Ø 1.... il tenait une cassette ouverte; il y avait quelques lettres; j'en vis une pour sa soeur, une autre adressée à Valérie;... BARBARA JULIANE VON VIETINGHOFF, BARONNE DE KRÜDENER, Valérie, 1803, page 264. Ø 2. Ce 24 juillet 1837. Je n' ai reçu votre lettre que depuis deux jours, mon cher ami, parce que vous me l'aviez envoyée à Baugy, au lieu de me l' adresser chez moi. ALEXIS DE TOCQUEVILLE, Correspondance avec Henry Reeve . 1837, page 39. Remarque : Dans l'exemple 1, l'emploi en synonyme de adressé à et de la préposition pour montre que la valeur sémantique de adresser est proche de la simple idée d'attribution ou de destination. - ADMINISTRATION DES POSTES. - Adresser quelque chose poste restante. Expédier quelque chose en mettant comme lieu de destination : poste restante. - Adresser quelque chose franco. L'expédier sans frais pour le destinataire. Antonyme : en port dû : Ø 3. Asserme devait ses succès à une imagination baroque et fertile. Au temps où il représentait les Alpes-Orientales, il avait un préfet peu maniable. Le cabinet d'alors hésitait à faire sauter cet administrateur. Une idée vint au député. Il alla chez un marchand de couronnes funéraires, il choisit un bel article, jais noir, avec l'inscription : souvenirs et regrets, il fit emballer, adresser franco, sans nom d'expéditeur, à M. le Préfet des Alpes-Orientales. Le lendemain, même envoi d'un autre magasin;... EUGÈNE MELCHIOR, VICOMTE DE VOGÜÉ, Les Morts qui parlent, 1899, page 17. Remarque : Pour adresser une enveloppe, confer adresser 2. 2. [L'objet direct est une personne] Envoyer une personne auprès d'une autre (avec des recommandations, des références, un mot d'introduction) : Ø 4. Ma tante Marie (...) avait approché Mme. Swetchine, Montalembert, les frères Lamennais, Lacordaire, le banquier Rothschild. C'est par elle qu'en 1901 je fus recommandé au P. de Valépée. C'est par elle qu'en février 1894, je fus adressé à l'abbé Leriche. ANDRÉ BILLY, Introïbo, 1939, page 28. - Vieilli . Être bien adressé : Ø 5. J'ai (...) trouvé fort de mon goût Mme. Mansell, à Tours, et Miss Mélina, sa soeur, deux jolies et gracieuses Anglaises, aux manières distinguées, chez qui nous avons reçu l'hospitalité la plus aimable (...) amies de Lady Bentinck, la femme du gouverneur général des Indes. Nous étions, vous voyez, bien adressées. EUGÉNIE DE GUÉRIN, Lettres, 1839, pages 282-283. Remarque : Pour la construction, confer être bien ou mal reçu. B.- [L'objet désigne une parole ou un geste ayant une signification précise pour son destinataire] Exprimer quelque chose à l'intention de quelqu'un. 1. [Une parole agréable ou désagréable] Adresser la parole à quelqu'un. Lui parler avec une intention précise : Ø 6. Le rieur, (...), se crut obligé de lui adresser des excuses qui furent faites et reçues de fort bonne grâce. JOSEPH, COMTE DE MAISTRE, Les Soirées de Saint-Pétersbourg, tome 2, 1821, page 273. Ø 7. Le duché d'Aumale a été longtemps dans notre famille avant d'entrer dans la maison de France, expliquait M. de Charlus à M. de Cambremer, devant Morel ébahi et auquel, à vrai dire, toute cette dissertation était sinon adressée du moins destinée. MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922, page 951. Remarque : Autres syntagmes : adresser un reproche à quelqu'un : faire un reproche à quelqu'un; - une question à quelqu'un : poser une question à quelqu'un, l'interroger; - une prière à quelqu'un : invoquer quelqu'un; - des compliments, des voeux; - des excuses à quelqu'un : faire des excuses à quelqu'un; - une injure à quelqu'un : insulter quelqu'un. 2. [Un geste, généralement de courtoisie] Adresser un salut. Faire un geste en direction de quelqu'un : Ø 8. Il ralentit encore le pas. Dans la rue de la banne, à mesure qu'il avançait vers le marché, les boutiquiers accouraient sur les portes, le suivaient curieusement des yeux. Il fit un petit signe de tête au boucher, qui resta ahuri, sans lui rendre son salut. La boulangère, à laquelle il adressa un coup de chapeau, parut si effrayée qu'elle se rejeta en arrière. La fruitière, l'épicier, le pâtissier se le montraient du doigt d'un trottoir à l'autre. ÉMILE ZOLA, La Conquête de Plassans, 1874, page 1116. Remarque : Autres syntagmes : adresser un sourire à quelqu'un : faire un sourire; - un regard à quelqu'un : lancer, jeter un regard. C.- LITTÉRATURE. [L'objet direct désigne une oeuvre, un document, une lettre, etc.] Adresser un ouvrage à quelqu'un. Avoir en vue un destinataire privilégié en écrivant ou en dédicaçant cet ouvrage : Ø 9. Est-ce le temps de nous diviser. Battus de tous les vents, pour nous deux est-ce le temps de nous séparer. Vais-je gratter sur ma copie votre nom, faire un faux en somme, puisqu' elle était faite pour vous, puisqu'elle était inscrite pour vous, puisqu'elle vous était adressée, puisqu'elle vous était envoyée. Vais-je mettre à la place, à votre place un faux-nom, en somme, un nom feint, un pseudonyme. CHARLES PÉGUY, Victor-Marie, comte Hugo, 1910, page 808. Remarque : Inscrite est un latinisme ( confer CICÉRON, Office 2, 21 : Liber qui inscribitur Laelius « livre ayant pour titre : Laelius »; ici portant sur la page de titre : pour vous, Daniel Halévy). Ø 10.... quoi qu'il advienne j'achèverai le livre, dût-il ne point paraître ni maintenant ni même après notre mort à tous deux, et je remettrai à Gide la fin du livre puisque la lettre-envoi est essentiellement à lui, adressée à lui seul, en dehors de toute question de publication. CHARLES DU BOS, Journal, mai 1928, page 114. Ø 11. Maurras y exposait la doctrine devant Bainville, Dimier, Montesquiou, Vaugeois, et même Souday, qui n'était pas ennemi de ces conversations, qui les écoutait comme on essaye un jour un pernod, et à qui Maurras adressait ses livres avec des dédicaces chaudement tournées,... LÉON-PAUL FARGUE, Le Piéton de Paris, 1939, page 159. D.- Emplois vieillis ou littéraires . 1. Archaïsme littéraire . Adresser ses pas (vers un lieu ou vers une personne). Diriger ses pas, se diriger : Ø 12. Depuis trois ans j'étais retiré à Aulnay : sur mon coteau de pins, en 1811, j'avais suivi des yeux la comète qui pendant la nuit courait à l'horizon des bois; elle était belle et triste, et, comme une reine, elle traînait sur ses pas son long voile. Qui l'étrangère égarée dans notre univers cherchait-elle? À qui adressait- elle ses pas dans le désert du ciel? FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 2, 1848, page 468. Remarque : Dans cet exemple l'emploi de la préposition à pour vers ( confer article à ) est également un archaïsme . 2. Adresser (une balle, etc. dans quelque chose). Tirer, lancer. - emploi absolu . Bien adresser. Être bon tireur. - Au figuré . Adresser un trait, une flèche à quelqu'un : Ø 13. Dans le précédent poème de Guiraldes le « et plutôt qu'à juger autrui, à me laver de mes propres impuretés », m'atteignait comme une flèche à moi adressée, en songeant à mon futur entretien avec Mauriac. CHARLES DU BOS, Journal, novembre 1938, page 220. 3. Adresser un mot à quelqu'un. L'appliquer à quelqu'un : Ø 14. Les hommes vraiment coupables sont ceux qui, après s'être approchés de Louis XVIII, après en avoir obtenu des grâces et lui avoir fait des promesses, ont pu se réunir à Bonaparte; le mot, l'horrible mot de trahison est fait pour ceux-là; mais il est cruellement injuste de l' adresser à l'armée française. GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, tome 1, 1817, page 259. Remarque : Ce dernier emploi est proche de l'emploi B 1. II.- Emploi pronominal . A.- S'adresser quelque chose (emploi pronominal réciproque). S'adresser des lettres d'amour, d'injures... (confer supra I A); s'adresser la parole; s'adresser des sourires, des signes... (confer supra I B). B.- S'adresser à. [Généralement suivi d'un objet secondaire précédé de la préposition à] Aller dans une direction déterminée afin d'atteindre un destinataire (ou une certaine destination). 1. [Le sujet est une personne (ou un être assimilé à une personne)] a) [L'objet secondaire est une personne] - Se tourner vers une personne déterminée pour lui parler : Ø 15. - Vous, poursuivit Baccarat, s'adressant à Léon Rolland, il n'a fallu rien moins que mon apparition subite et la vue de l'homme qui a été votre ami, pour dissiper les fumées de cette ivresse sanguinaire allumée dans vos veines. PIERRE-ALEXIS, VICOMTE PONSON DU TERRAIL, Rocambole, les drames de Paris, tome 3, Le Club des valets de coeur, 1859, page 203. Ø 16. Il reprit sa marche, puis s'assit au fond du salon. Comme s'il s'adressait à un témoin de cette scène, il se tourna vers une chaise, et dit, avec des gestes passionnés : - On pardonne une sottise à un ami. Mais on ne pardonne rien à sa femme. On veut qu'elle soit un monde, votre monde! On veut qu'elle partage même vos idées! JACQUES CHARDONNE, L'Épithalame, 1921, page 264. Remarque : 1. S'adresser s'emploie fréquemment au participe présent; il introduit presque toujours le discours direct ou bien est employé en incise dans le corps du discours; employé conjointement avec des verbes tels que parler et dire, il est destiné à les compléter, c'est-à-dire à indiquer la personne visée, ou, si elle est déjà nommée (exemple 15) à la préciser. 2. (En parlant d'un orateur, d'un écrivain) s'adresser à quelqu'un, parler en public, écrire pour quelqu'un : Ø 17.... Passavant plaît aux jeunes. Peu lui chaut l'avenir. C'est à la génération d'aujourd'hui qu'il s'adresse (ce qui vaut certes mieux que de s'adresser à celle d'hier) - mais comme il ne s'adresse qu' à elle, ce qu' il écrit risque de passer avec elle. ANDRÉ GIDE, Les Faux-monnayeurs, 1925, page 990. - En particulier. Aller, se tourner vers quelqu'un, pour lui parler et obtenir de lui un renseignement, un service, la satisfaction d'un désir : Ø 18. Hier, dimanche, réunion chez moi le matin. On raconte une anecdote que je ne garantis pas comme vraie, mais dont l'invention, même si elle est faite à plaisir, peut donner une idée des moeurs du temps. On prétend que le maréchal Molitor, voulant obtenir une place de sous-préfet pour un de ses parents, a été s'adresser à M. de Corbière, Ministre de l'Intérieur. Celui-ci l'a fort bien reçu, mais lui a dit qu'il serait bon, avant d'aller plus loin dans les démarches, de voir M. de Lavaux (Jésuite), préfet de police. Celui-ci, employant toujours les formes les plus douces, lui conseilla d' en parler à M. Franchet (Jésuite), chef de division à la police. ÉTIENNE-JEAN DELÉCLUZE, Journal, 1825, page 185. Ø 19. Il y a bien longtemps que j'ai de prêt Les Paysans, qui serviront près d'un mois le feuilleton de La Presse, il ne faut pas quinze jours pour les mettre en état de paraître; mais il faut savoir à qui s'adresser, où aller pour les faire composer. HONORÉ DE BALZAC, Correspondance, 1840, page 121. Ø 20. Maison fermée. Un mur. Personne, sauf un chien sur le mur. Pour louer, s'adresser au chien. Il vous recevra. JULES RENARD, Journal, 1906, page 1077. Remarque : 1. L'exemple 19 offre l'étroite synonymie entre s'adresser à quelqu'un et aller dans un certain lieu, synonymie qui ne fait que confirmer l'idée de direction contenue dans le verbe. Remarque : 2. Au lieu d'être suivi d'un objet secondaire de personnes, s'adresser peut s'employer avec un adverbe de lieu, qui renvoie à une personne implicite : Ø 21. Artistes ou partisans, ceux qui désirent des ordres d'assaut ou des chansons de marches, ceux qui attendent des appels de pied et des sonneries de clairon se trompent en se tournant vers moi. Ils commettent une erreur de personne. Qu'ils veuillent bien m'excuser, je ne peux rien pour eux. Il faut qu'ils s'adressent ailleurs. JEAN-RICHARD BLOCH, Destin du siècle, 1931, pages 29-30. Remarque : 3. L'objet secondaire de personnes peut être tout à fait implicite. S'adresser se construit alors absolument avec une détermination adverbiale qualitative. Peut être rapproché de l'expression frapper à la bonne, à la mauvaise porte : Ø 22. Lorsque le général Bonaparte fut nommé consul, ce qu'on attendait de lui, c'était la paix. La nation était fatiguée de sa longue lutte; et, sûre alors d'obtenir son indépendance, avec la barrière du Rhin et des Alpes, elle ne souhaitait que la tranquillité, certes elle s'adressait mal pour l'obtenir. GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, tome 1, 1817, page 32. Il se rencontre exceptionnellement au participe passé pris substantivement, un mal adressé (personne qui s'est adressée à quelqu'un par méprise) : Ø 23. Le laquais sort. Resté seul, don César se rassied, s'accoude sur la table, et paraît plongé dans de profondes réflexions. C'est le devoir du chrétien et du sage, quand il a de l'argent, d'en faire un bon usage. (...) Mais je n'ose m'y fier, car on va me reprendre la chose. C'est mal- adressé aura mal entendu,... méprise sans doute, et ce VICTOR HUGO, Ruy Blas, 1838, IV, 3, page 426. b) Au figuré . [L'objet secondaire est une chose abstraite] Se tourner vers quelque chose afin d'en obtenir ce qu'on désire, ce dont on a besoin; recourir à : Ø 24. Un échotier de Clartés signe l'existentialiste et au fond le mot a pris aujourd'hui une telle largeur et une telle extension qu'il ne signifie plus rien du tout. Il semble que, faute de doctrine d'avant-garde analogue au surréalisme, les gens avides de scandale et de mouvement s'adressent à cette philosophie, qui ne peut d'ailleurs rien leur apporter dans ce domaine;... JEAN-PAUL SARTRE, L'Existentialisme est un humanisme, 1946, page 16. 2. [Le sujet est une chose traduisant l'activité, la parole, les gestes, etc. d'une personne] a) [L'objet secondaire est une personne] Aller vers, être destiné à : Ø 25. Son petit volume - qu'on trouve chez l'éditeur Victor Lecoffre - offre cette originalité que, sous une forme très pure et très distinguée, il s'adresse à tous, au grand public. C'est au peuple directement qu' est destinée cette histoire de son grand ami. FRANÇOIS COPPÉE, La Bonne souffrance, 1898, page 134. Ø 26. Nos relations étaient fondées sur un malentendu qui ne pouvait manquer de se manifester dès que mes hommages, au lieu de s'adresser à la femme relativement supérieure qu'elle croyait être, iraient vers quelque autre femme aussi médiocre et exhalant le même charme involontaire. MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, Le Côté de Guermantes 2, 1921, page 503. Ø 27. - Mais enfin, puis-je savoir si ce rire ou ce ricanement s'adresse à votre serviteur ? - Mais à qui donc voulez-vous que je le dédie ? PAUL VALÉRY, Variété IV, 1938, page 187. Ø 28.... mais le regard est une intention. Faute de cette intention, la vision n'est qu'un phénomène abstrait et indifférent. Surtout une paire d'yeux ne fait pour moi un regard que si elle est dirigée sur moi, orientée vers moi, que si elle s'adresse à moi dans l'imploration, l'invocation ou l'interpellation. VLADIMIR JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, page 91. Remarque : Parfois l'idée de direction l'emporte sur celle d'attribution et de destination, ou vice-versa. b) Par métonymie . [L'objet secondaire désigne une partie du corps traduisant la pensée, le sentiment, etc. d'une personne] : Ø 29. Quand Madame de Mortsauf me quittait pour un moment, elle semblait laisser à l'air le soin de me parler d' elle; les plis de sa robe, quand elle s'en allait, s'adressaient à mes yeux comme leur bruit onduleux arrivait joyeusement à mon oreille quand elle revenait;... HONORÉ DE BALZAC, Le Lys dans la vallée, 1836, page 283.