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ABUS, substantif masculin.

Publié le 28/09/2015

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ABUS, substantif masculin.  

I.—  [Avec un complément introduit par la préposition de et précisant l'objet de l'abus]  Action d'abuser d'un bien : 

Ø 1. L'homme moderne s'enivre de dissipation. Abus de vitesse, abus de lumière, abus de toniques, de stupéfiants, d'excitants... abus de fréquence dans les impressions; abus de diversité; abus de résonance; abus de facilités; abus de merveilles; abus de ces prodigieux moyens de déclenchement, par l'artifice desquels d'immenses effets sont mis sous le doigt d'un enfant Toute vie actuelle est inséparable de ces abus.

PAUL VALÉRY, Variété III,  1936, page 265. 

—   L'abus s'exerce dans divers domaines où apparaissent des expressions usuelles précisant l'objet de l'abus. 

a) Domaine des choses consommables ou d'usage habituel : 

Ø 2. L'abus des narcotiques c'est-à-dire leur usage habituel, contribue beaucoup à hâter cette vieillesse précoce, si commune dans les pays chauds.

PIERRE CABANIS. Rapports du physique et du moral de l'homme, tome 2, 1808, page 70. 

Ø 3. Il faut toutefois le détourner de ce qui peut augmenter son exubérance organique : menus trop succulents, abus de viandes, surtout de viandes rouges (le régime carné lui est plus nuisible qu'à tout autre tempérament), du vin, des sucreries; sinon gare aux pléthores, aux congestions, à l'embonpoint.

EMMANUEL MOUNIER, Traité du caractère,  1946, page 186. 

b) Domaine de la morale ou de la religion : 

Ø 4. Il ne s'agit pas d'examiner rigoureusement ces croyances. Loin de rien ordonner à leur sujet, la religion servoit au contraire à en prévenir l'abus, et à en corriger les excès;...

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Le Génie du christianisme, tome 2, 1803, page 169. 

Ø 5. Du haut en bas de notre société, je ne vois qu'iniquité, abus de pouvoir, exploitation d'autrui, tromperie...

ANDRÉ GIDE, Journal,  1932, page 1130. 

Remarque : Dans cet exemple, il peut s'agir aussi d'une expression juridique (confer infra c). 

c) Domaine du droit public ou privé : 

Ø 6.... mais ce n'est point là le nom d'une forme particulière de société, d'une espèce particulière de gouvernement. Il y a despotisme, oppression, abus d'autorité, par-tout où la loi établie est sans force, et cède à la volonté d'un homme ou de plusieurs.

ANTOINE-LOUIS-CLAUDE DESTUTT DE TRACY, Commentaire sur l'Esprit des lois de Montesquieu,  1807, page 8. 

Ø 7. Rien d'autre à dire, devant les passe-droits et les abus de confiance dont vous nous voyez victimes.

ANDRÉ GIDE, Les Caves du Vatican,  1914, page 770. 

Ø 8. Quant à prétendre, en telle occasion où le pape exerce son pouvoir indirect, qu'il outrepasse les limites de son autorité légitime, et à invoquer alors, pour permettre la non-obéissance, un abus de pouvoir au sens juridique de ce mot, c'est une absurdité, puisqu'il s'agit là précisément d'un pouvoir dont la matière ne comporte pas de limites tracées d'avance, et de l'application duquel, en chaque cas particulier, il appartient au pape seul de déterminer l'étendue.

JACQUES MARITAIN, Primauté du spirituel,  1927, page 58. 

d) Domaine de la pensée : 

Ø 9. Ne personnifiez-vous pas, avec votre beauté et votre tristesse, avec votre ennui et votre scepticisme, l'excès de douleur produit par l'abus de la pensée?

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Lélia,  1833, page 117. 

Ø 10. Par ce jour de la fin de mai, jouissant du parc de Mirabeau et voyant combien il est trop abondant pour que je puisse l'épuiser, je vois les abus de l'érudition, l'inutilité des voyages, la surcharge de notre culture, je vois que je n'ai rien épuisé de ce qui est à la portée de ma main.

MAURICE BARRÈS, Mes cahiers,  mars-juillet 1910, page 132. 

Remarque : Les dictionnaires signalent, en le qualifiant de vieilli, le sens « erreur ». Aucun exemple dans la documentation confer historique. 

e) Domaine du langage (ou de l'expression littéraire) : 

Ø 11. Quel que soit le mérite de l'histoire des vents, de celle de la vie et de la mort, et de celle de la densité et de la rareté, personne ne peut disconvenir qu'elles fourmillent d'erreurs, d'abus de mots, et d'idées mal déterminées.

ANTOINE-LOUIS-CLAUDE DESTUTT DE TRACY. Élémens d'idéologie, 3. Logique, 1805, page 93. 

Ø 12. Que si je m'avise à présent de m'informer de ces emplois, ou plutôt de ces abus du langage, que l'on groupe sous le nom vague et général de « figures », je ne trouve rien de plus que les vestiges très délaissés de l'analyse fort imparfaite qu'avaient tentée les anciens de ces phénomènes « rhétoriques ».

PAUL VALÉRY, Variété III,  1936, page 45. 

—  Rare.  [En parlant d'un genre littéraire] :

Ø 13. Tacite est la perfection d'un genre dont Sénèque est l'abus.

CHARLES-JULIEN LIOULT DE CHÊNEDOLLÉ, Journal,  1832, page 137. 

II.—  emploi absolu. 

A.—  Généralement au pluriel. Domaine politique ou social.  Résultat de l'action d'abuser; injustice introduite et fixée par coutume : 

Ø 14. Ces guerres-là construisent la paix. Une énorme forteresse de préjugés, de privilèges, de superstitions, de mensonges, d'exactions, d'abus, de violences, d'iniquités, de ténèbres, est encore debout sur le monde avec ses tours de haine. Il faut la jeter bas. Il faut faire crouler cette masse monstrueuse. Vaincre à Austerlitz, c'est grand, prendre la Bastille, c'est immense.

VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 2, 1862, page 361. 

Ø 15. Elle proclame que depuis le 14 juillet 1789 la nation est rentrée virtuellement en possession de tous ses droits, que tous les privilèges et abus du passé sont abolis de fait comme de droit depuis cette date,...

JEAN JAURÈS, Études socialistes,  1901, page 210. 

Ø 16. J'en suis venu à souhaiter de tout mon coeur la déroute du capitalisme et de tout ce qui se tapit à son ombre, d'abus, d'injustices, de mensonges et de monstruosités.

ANDRÉ GIDE, Journal,  1932, page 1116. 

Ø 17. Il se rendait compte que jamais il ne l'avait sérieusement mise en question; les tares, les abus de l'U.R.S.S.? il les connaissait :...

SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 300. 

Ø 18. Il fallait marquer aux alliés que la France libre était dans leur camp pour y incorporer la France, mais non pour y couvrir, vis-à-vis de la nation française, les abus ou empiétement qu'ils commettraient à son détriment.

CHARLES DE GAULLE, Mémoires de guerre, L'Appel, 1954, page 208. 

Remarque : Les abus peuvent avoir pour origine : les formes de gouvernement et les institutions, les croyances, les guerres, le comportement des classes sociales; ils peuvent affecter la politique internationale. Si le mot est suivi d'un complément (péroposition de), ce complément indique cette origine (exemple 17) ou encore l'époque à laquelle ils appartiennent (exemple 15). 

—  Par extension.  Le mot s'applique au domaine moral : 

Ø 19. La souffrance, la misère, sont des forces vives qui ont leurs abus, comme le pouvoir a les siens.

HONORÉ DE BALZAC, Le Médecin de campagne,  1833, page 146. 

—  Familier.  (Il) y a de l'abus : 

Ø 20. Ah! ça, alors. Y a de l'abus tu nous embêtes, à la fin. J'en ai marre, moi! j'en ai marre!

HENRI DE MONTHERLANT, Fils de personne,  1943, III, 1, page 317. 

·    Argot. Il y a de l'abutre : 

Ø 21. Ce Parisien aimait à allonger les mots. Une de ses phrases favorites était il y a de l'abutre pour il y a de l'abus (109e.  Infra, 1916-1917).

DICTIONNAIRE HISTORIQUE DES ARGOTS FRANÇAIS  (GASTON ESNAULT) Notes complémentaires au \"Poilu tel qu'on le parle\" (Gaston Esnault) [1919] 1957  1919. 

B.—  Au singulier,  DROIT ANCIEN RÉGIME.  Appel comme d'abus. Recours contre un abus de pouvoir commis par une autorité ecclésiastique qui empiète sur la juridiction royale, ou inversement : 

Ø 22. Cette première réclamation du droit civil contre le droit canonique produisit dans la suite l'appel comme d'abus, sauvegarde de la justice...

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mélanges politiques,  1815, page 192. 

—  Proverbe. Le monde n'est qu'abus et vanité (abus au sens ancien de \" tromperie \"; confer historique) : 

Ø 23.... je ne suis pas très instruit dans la cabbale [sic] , mon maître ayant péri... Mais le peu que j'ai appris de son art me fait... soupçonner que tout en est illusion, abus et vanité.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, La Rôtisserie de la Reine Pédauque,  1893, page 2. 

Remarque : Dans cet exemple le contexte fait penser que le mot a gardé son sens actif ancien aujourd'hui inusité, de « tromperie, imposture ». Confer infra étymologie 3 et historique II C. 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 1 373. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 3 428, b) 1 341; XXe.  siècle : a) 1 201, b) 1 471. 

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