ABOYER, verbe intransitif.
Publié le 27/09/2015
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ABOYER, verbe intransitif.
I.— Sens propre. [En parlant du chien] Émettre son cri le plus habituel consistant en un bruit sonore et bref, généralement répété par saccades. [Le sujet est un nom désignant un chien ou un animal de la même famille] :
A.— Il peut s'agir d'un bruit familier au milieu d'autres dans la nature :
Ø 1. On a beau faire rage autour de lui, les hommes jurent, les femmes querellent, les enfants crient, les chiens aboient, les chats miaulent, l'horloge sonne, le couperet cogne, la lèchefrite piaille, le tournebroche grince, la fontaine pleure, les bouteilles sanglotent, les vitres frissonnent, les diligences passent sous la voûte comme le tonnerre;...
VICTOR HUGO, Le Rhin, Lettre à un ami, 1842, page 30.
Ø 2. Aux champs, au fond des terres même, l'absence de bruits n'est jamais entière. Un chien aboie, un taureau mugit de désir en rôdant, une bête maraudeuse jette son cri de chasse,...
JOSEPH DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, tome 1, 1925, page 182.
B.— Il peut s'agir d'un réflexe significatif qu'il soit instinctif ou acquis par dressage :
Ø 3. L'intelligent animal allait et venait sur la berge, s'arrêtait soudain, et regardait les eaux, une patte levée, comme s'il eût été en arrêt sur quelque gibier invisible; puis, il aboyait avec fureur, en quêtant, pour ainsi dire, et se taisait subitement.
JULES VERNE, L'Île mystérieuse, 1874, page 148.
Ø 4. Mon oncle reprit : « tiens, revoilà le chien qui hurle; je vas lui apprendre comment je tire, moi. Ça sera toujours ça de gagné ».
Mais mon père, qui était bon, reprit : « il vaut mieux l'aller chercher, ce pauvre animal qui crie la faim. Il aboie au secours, ce misérable; il appelle comme un homme en détresse. »
GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, Mademoiselle Perle, 1886, page 635.
Remarque : Le chien dans une situation de détresse est comparé à l'homme :
Ø 5. Je leur rappelai qu'au dire des voisins, les chiens de garde n'avaient point aboyé à l'assassin.
ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, L'Orme du mail, 1897, page 187.
Ø 6. Par moments une plainte s'élevait, venant du dehors, une clameur affolante, comme le cri des chiens qui aboient (à la mort), sous la lune levante, au fond des fermes perdues dans la campagne.
ÉMILE MOSELLY, Terres lorraines, 1907, page 292.
Ø 7. Je voudrais bien voir qu'il n'ait pas grondé pendant l'élévation! Un chien que j'ai dressé moi-même pour la garde et qui doit aboyer dès qu'il entend une sonnette!
GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, La Maison de Claudine, 1922, page 183.
— Locution proverbiale : Les chiens aboient, la caravane passe (citée dans Grand Larousse encyclopédique en dix volumes, au mot proverbes, dans le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (PAUL ROBERT), au mot caravane, et dans Petit Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (Paul Robert)) Sens : \" Les critiques violentes et mal fondées des envieux sont repoussées avec dédain et ne sauraient entraver une grande action sûre d'elle-même. \" Proverbe synonyme (mais plus abstrait et plus moralisateur), bien faire et laisser dire :
Ø 8. Pendant plus d'un mois les ennemis de Vaugoubert ont dansé autour de lui la danse du scalp, dit M. De Norpois, en détachant avec force ce dernier mot. Mais un bon averti en vaut deux; ces injures il les a repoussées du pied, ajouta-t-il plus énergiquement encore, et avec un regard si farouche que nous cessâmes un instant de manger. Comme dit un beau proverbe arabe : « les chiens aboient, la caravane passe ». Après avoir jeté cette citation, M. De Norpois s'arrêta pour nous regarder et juger de l'effet qu'elle avait produit sur nous. Il fut grand; le proverbe nous était connu : il avait remplacé cette année-là chez les hommes de haute valeur cet autre : « qui sème le vent récolte la tempête », lequel avait besoin de repos,...
MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1918, page 461.
— Synonymes : Aboyer s'oppose à japper qui désigne des aboiements clairs en parlant de chiens jeunes ou petits, à clabauder qui se dit d'aboiements violents, à hurler qui désigne un cri perçant et continu.
II.— Péjoratif. [En parlant d'une personne] Reproduire volontairement ou involontairement le cri du chien; prononcer des paroles violentes et incohérentes [se dit en particulier des critiques malveillantes (confer aboyer et supra locutions adverbiales)] .
A.— Emploi absolu :
Ø 9. Moi, j'use d'une autre recette que j'ai apprise dans mes livres. Je dis, mais tout bas, à part moi : Messieurs, ne vous gênez point; criez, aboyez tant qu'il vous plaira.
PAUL-LOUIS COURIER, Lettres de France et d'Italie, 1810, page 825.
Ø 10. Il me semble que j'aurais chaud dans le ventre des baleines, et que je respirerais plus à l'aise sur ces vastes envergures. J'ai besoin d'aboyer, de beugler, de hurler. Que n'ai-je des nageoires, une trompe? Je voudrais vivre dans un antre, souffler de la fumée, porter une trompe, tordre mon corps et me diviser partout, être en tout, m'émaner avec les odeurs, me développer comme les plantes, vibrer comme le son, briller comme le jour, me modeler sous toutes les formes, entrer dans chaque atome, circuler dans la matière,...
GUSTAVE FLAUBERT, La Tentation de Saint Antoine, 2e. version, 1856, page 409.
Ø 11.... Caniveau, formant un porte-voix de ses mains, commença à imiter les aboiements des chiens courants en chasse. Il jappait, hurlait, piaulait, aboyait. Et tout le monde se mit à rire dans la voiture,...
GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, La Bête à Maît'Belhomme, 1885, page 198.
Ø 12. Nous avons eu déjà cette énorme peine qui menace de revenir. Puis, tout le reste que vous savez bien. Les créanciers anciens ou nouveaux, les fournisseurs impatients et aboyants, la recherche quotidienne des expédients et la difficulté presque insurmontable pour un écrivain plongé dans un tel enfer, de se recueillir, de se récupérer suffisamment.
LÉON BLOY, Journal, 1903, page 153.
Ø 13. On l'accusa d'avoir voulu étouffer de jeunes artistes. Encore s'il n'avait eu affaire qu'à ceux dont le métier est d'aboyer, à ces critiques nabots qui grimpent sur les épaules du grand homme, et qui crient :
— Je suis plus grand que toi!
ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Les Amies, 1910, page 1190.
Ø 14. Quel ancêtre mal embouché aboie en moi avec cette virulence non seulement verbale, mais sentimentale?
GABRIELLE COLLETTE, DITE COLETTE, La Vagabonde, 1910, page 294.
Ø 15.... à l'intérieur de la Bourse les hommes d'argent aux yeux de sourds aboient et télégraphient avec les mains!
PAUL CLAUDEL, L'Échange, 2e. version, 1954, page 733.
Remarque : Il semble que cet emploi de aboyer corresponde à l'un des emplois de aboyeur.
B.— Avec un complément d'objet.
1. Il s'agit le plus souvent d'un objet interne :
Ø 16. Je prenais philosophiquement mon mal en patience et regardais le paysage, sans même prêter attention à des matelots qui se disputaient de belle sorte et s'aboyaient force injures, à plein museau, dans cette affreuse langue hollandaise, langue bâtarde qui ressemble à de l'allemand mâtiné d'anglais.
MAXIME DU CAMP, En Hollande, Lettre à un ami, 1859, page 163.
Ø 17. Lui (M. Kahn) avait la voix très-grosse, il aboyait certains mots.
ÉMILE ZOLA, Son Excellence Eugène Rougon, 1876, page 95.
2. L'objet peut être un pronom personnel :
Ø 18. Gardez-vous bien de croire que j'aie voulu répondre aux sottises des gazettes. Je les ai laissées dix mois entiers me huer, m'aboyer, sans seulement y faire attention;...
PAUL-LOUIS COURIER, Lettres de France et d'Italie, 1810, page 840.
Remarque : Dans l'exemple suivant, il s'agit d'un verbe dialectal homonyme signifiant « aspirer à », « désirer » (confer étymologie et historique) :
Ø 19. Aboyer, verbe ancien — Au figuré. Dévorer du regard, désirer ardemment, brûler pour. Ex. :... [Enfin elle a épousé son galant] , depuis le temps qu'a l'aboyait!
Glossaire étymologique et historique des patois et des parlers de l'Anjou (ANATOLE-JOSEPH VERRIER, RENÉ ONILLION) 1908.
3. Dans la construction passive, ce pronom personnel devient sujet :
Ø 20. On discernait assez vaguement des masses dans les ombres... des autres contours de bicoques... Nous fûmes aboyés, hurlés, vociférés, au passage de chaque barricade... la meute se donnait à pleine rage... nous marchions...
LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit, 1936, page 542.
C.— Avec une préposition :
Ø 21. À la première vue, je me pris de goût pour ce militaire à crocs gris, dogue fidèle. Chargé d'aboyer autour de son mouton il appartenait à ces loyaux porte-grenade qu'estimait l'effrayant maréchal de Montluc...
FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 4, 1848, page 239.
Ø 22.... le gouvernement vous jettera mille francs d'appointements, comme on jette une soupe à un dogue de boucher. Aboie après les voleurs, plaide pour le riche, fais guillotiner des gens de coeur.
HONORÉ DE BALZAC, Le Père Goriot, 1835, page 121.
III.— Par analogie. [En parlant de choses dont le bruit rappelle l'aboiement du chien]
A.— Le sujet est le plus souvent employé au figuré, désignant le langage ou le sentiment humain :
Ø 23. Il est devenu complètement apoplectique et sa parole tudesque, comme étranglant de colère par moments, aboie contre l'ineptie, les bourdes, l'ignorance de ses confrères, qu'il accuse d'avoir fait la guerre, qu'il accuse de l'avoir rendue si fatale.
EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, janvier 1871, page 728.
Ø 24. La rage alors sortit de l'abîme immobile;
On entendit, terreur! Le cri du lieu muet;
L'enfer aboya
L'ombre écumait et huait.
VICTOR HUGO, La Fin de Satan, 1885, page 924.
Ø 25. Un chien perdu grelotte en abois à la lune...
Oh! pourquoi ce sanglot quand nul ne l'a battu?
Et, nuits! que partout la même âme! en est-il une
Qui n'aboie à l'exil ainsi qu'un chien perdu?
JULES LAFORGUE, L'Imitation de Notre-Dame la Lune, Nobles et touchantes divagations, 1886, page 266.
Ø 26.... et pourtant le salon de La Roque n'avait rien de bien luxueux; mais on s'y sentait à l'abri de cette meute de soucis qu'excite et fait aboyer la misère.
ANDRÉ GIDE, Si le grain ne meurt, 1924, page 466.
B.— Dans le domaine militaire, le verbe aboyer est couramment employé pour distinguer l'explosion de grenades, obus, etc. sur le champ de bataille :
Ø 27. Je distingue, près de moi, la silhouette de Mesnil Joseph qui, tout debout, sans chercher à se dissimuler, se dirige sur le point où des suites saccadées d'explosions aboient. Une détonation jaillit d'un coin de la tranchée, entre nous deux.
HENRI BARBUSSE, Le Feu, 1916, page 279.
Remarque : La langue de l'armurerie emprunte volontiers des termes propres au chien (gueule du canon, chien de fusil).
— Construction du verbe. — Dans les emplois I, II, III, le verbe aboyer peut se construire soit d'une manière absolue, soit avec une préposition. Les prépositions les plus fréquemment rencontrées sont après, contre, à, autour de, de. Après suggère une idée de poursuite de la personne qui est l'objet des aboiements (exemple 22); contre suggère une idée de face à face et d'hostilité à l'égard de la personne qui s'approche du chien ou d'un objet qui provoque la haine (exemple 23). L'emploi de à suscite les remarques suivantes : aboyer à la mort et par analogie à l'exil (exemple 6). Le substantif précédé de la préposition à indique une circonstance ou une présence hostiles motivant l'aboiement; aboyer à l'assassin, au secours : expression analogue de « crier à l'assassin » « au secours », exemples 4, 5. Le substantif précédé de la préposition à indique une présence ou une circonstance dangereuses dans lesquelles le chien semble demander une intervention; on remarquera d'autre part que le substantif avec sa préposition constitue un syntagme ayant une existence indépendante en langue (à l'assassin!, au secours! étant des exclamatifs se suffisant à elles-mêmes); aboyer à la lune (confer exemple 25), locution proverbiale : « aboyer en direction de la lune comme pour la saisir » (confer l'expression prendre la lune avec ses dents); en raison de l'éloignement de l'objet au sens littéral s'est superposée et finalement imposée l'idée d'un objectif impossible à atteindre. Aboyer autour de, exemple 21, exprime une idée de harcèlement. De suivi d'un substantif traduisant un sentiment, a sa valeur causale habituelle : aboyer de, aboyant de joie (ALPHONSE DE LAMARTINE, Les Confidences, 1849, page 133); aboyer d'angoisse (ÉMILE ZOLA, Pot-Bouille, 1882, page 382).
STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 585. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 547, b) 1 150; XXe. siècle : a) 995, b) 803.
Liens utiles
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