ABONDER, verbe intransitif.
Publié le 27/09/2015
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ABONDER, verbe intransitif.
I.— Emploi absolu. Être disponible en grande quantité.
A.— [En parlant de ce qui est nombrable]
1. [Le sujet est une notion abstraite] :
Ø 1.... surtout sa rivière, sa rivière limpide, tranquille et sauvage, où foisonnent les truites, où abondent les légendes, où se hérissent les rochers, où le flot, compliqué d'écueils, n'est qu'un inextricable réseau de tourbillons et de courants;...
VICTOR HUGO, Le Rhin, 1842, page 308.
Ø 2. L'acrimonie vigilante, les insinuations perfides, les commentaires fâcheux, les inventions gratuites, la commisération hypocrite et toutes les variantes de ce Protée qu'on appelle la méchanceté abondent, pullulent à tous les étages et dans tous les cercles de cette ville acide.
HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime, 11 février 1866, page 129.
Ø 3. Qu'espèrent les socialistes de leur système? Un peu plus de justice, un peu plus d'égalité? Je le veux. Mais, que la justice et l'égalité abondent ou bien qu'elles se raréfient dans la vie d'un état, le commerçant reste commerçant, le poète, poète : pour peu que celui-ci s'absente dans son rêve, il perd un peu du temps que l'autre continue d'utiliser à courir l'or qu'ils cherchent ensemble.
CHARLES MAURRAS, L'Avenir de l'intelligence, 1905, page 64.
2. [Le sujet est un objet concret] :
Ø 4. Les armoiries, les manteaux héraldiques, la mitre, la couronne, le chapeau électoral, le chapeau cardinal, les sceptres, les épées, les crosses abondent, s'entassent et s'amoncellent sur ces monuments, et s'efforcent de recomposer devant l'oeil du passant cette grande et formidable figure qui présidait les neuf électeurs de l'empire d'Allemagne et qu'on appelait l'archevêque de Mayence.
VICTOR HUGO, Le Rhin, 1842, page 244.
Ø 5. L'étudiant parqué dans le quartier latin y a la connaissance la plus exacte des Temps : il sait quand les haricots et les petits pois réussissent, quand la Halle regorge de choux, quelle salade y abonde, et si la betterave a manqué.
HONORÉ DE BALZAC, Les Illusions perdues, 1843, page 208.
3. [Le sujet est un être vivant] :
Ø 6. En regard des coquettes, il faut placer les mystiques. Elles sont rares dans les romans de nos écrivains, elles abondent dans ceux de Tourguéniev.
PAUL BOURGET, Nouveaux essais de psychologie contemporaine, 1885, page 246.
B.— [En parlant d'objet nombrables ou non nombrables, avec insistance sur leur apparition continue] Affluer :
Ø 7. Quand, l'âme doucement émue,
J'y reviens méditer l'instant où je l'ai vue,
Et l'instant où je dois la voir.
Pour elle seule encore abonde
Cette source, jadis féconde,
Qui coulait de ma bouche en sons harmonieux.
ANDRÉ CHÉNIER, Odes amoureuses, Fanny, 1794, page 219.
Ø 8. Tout récemment, à la Villette, quand il a fallu, sans interrompre la navigation et sans vider le canal, faire passer l'égout collecteur sous le canal Saint-Martin, une fissure s'est faite dans la cuvette du canal, l'eau a abondé subitement dans le chantier souterrain, au delà de toute la puissance des pompes d'épuisement : il a fallu faire chercher par un plongeur la fissure qui était dans le goulet du grand bassin, et on ne l'a point bouchée sans peine.
VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 2, 1862, page 524.
Ø 9. Vers cette époque se produisit un événement mondain. D'inconstantes rumeurs, pareilles à celles qui foisonnèrent au-dessus d'une grande chute, abondaient maintenant autour d'une étonnante résurrection. L'histoire du lent effritement des Préfailles resta, pour le commun des hommes, perdue dans les brumes augustes où s'enveloppe le malheur des grands.
JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 1, 1933, page 78.
C.— Emploi figuré [abonder + complément d'objet interne non exprimé]
1. Emploi absolu. Parler avec abondance, jaser :
Ø 10. Il faudrait l'entendre lui-même s'étendant au long sur le mérite si extraordinaire de son beau-père, de sa belle-mère, et de tout ce qui leur attenait; car il abonde et ne tarit plus, une fois sur ce chapitre des alliances, des parentés, et des mérites de tous les siens.
CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 2, 1842, page 249.
2. Abonder dans le sens de quelqu'un :
Ø 11. Je ne suis jamais à ma place : je ne la connais même pas bien. Je cède surtout par une sorte de paresse d'esprit et pour ne pas disputer. J'abonde extérieurement dans un sens que je désapprouve au fonds. Je me donne un air hypocrite. Ce n'est pas ainsi qu'on se rend considérable.
MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal, 1817, page 47.
Ø 12. Tu ne veux pas être importun, indiscret, curieux et par conséquent, dès qu'on se détourne un peu, tu abondes dans le même sens. C'est là ton excès. Reconnais pleinement le droit d'autrui et ne fais pas valoir pleinement le tien.
HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime, 4 juin 1866, page 309.
Ø 13. Peut-être préférait-elle la façon de Georges. Et celui-ci, malgré sa finesse ironique, n'était pas loin de se laisser convaincre par la foi de son amoureuse. Christophe n'y contredisait pas; malicieusement, il abondait dans le sens de la jeune fille (quand il ne lui arrivait pas toutefois, de quitter la place, excédé, en frappant les portes un peu fort).
ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, La Nouvelle journée, 1912, page 1573.
Ø 14. CONSTANT, riant — Mais en quoi mes paroles...
GABRIELLE. — En rien! Tu as raison!... C'est la vérité. Vous êtes des esclaves courbés sous ma loi!
CONSTANT. — Ma chère enfant..
GABRIELLE. — Tous vos actes sont dictés ou suggérés par moi seule!
CONSTANT. — Enfin Gabrielle...
GABRIELLE. — Mais je te donne raison J'abonde dans ton sens!
HENRY BERNSTEIN, Le Secret, 1913, II, 8, page 23.
Ø 15. Il y avait en lui des erreurs; elles étaient nécessaires; il se devait d'en supporter les conséquences, sans s'en étonner ni en souffrir; elles entraient dans le cortège des nécessités qu'il était, qu'il avait l'honneur d'être. Il valait mieux qu'il abondât dans son genre que de le contredire, puisqu'il ne pouvait pas l'effacer : à propos d'une fille qui avait le genre antique et s'habillait de volants, M. Godeau pensait à son âme.
MARCEL JOUHANDEAU, Monsieur Godeau intime, 1926, page 150.
Remarque : Noter dans la langue familière le raccourci abonder avec le même sens :
Ø 16. Et puis deux mille francs à ton oncle! Ton père le répétait ce matin... C'est de la vraie aberration! Et c'est bien exact!... J'ai pas voulu abonder mais ton père voit clair!... Il n'a pas les yeux dans sa poche! Je me demande où nous allons dénicher, fabriquer une somme pareille! Deux mille francs!...
LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit, 1936, page 243.
Remarque : 1. En français moderne abonder dans son (propre) sens serait ironique; il signifiait plus anciennement « s'obstiner en répétant la même opinion » (confer historique) :
Ø 17.... mais ils ne répondent mot, et me mettent en prison. Quel argument, je vous prie? Est-ce là raisonner? Dès lors, plus de doute. J'ai dit la vérité; j'abonde dans mon sens et n'en veux pas démordre. Ma remarque subsiste. Me voilà convaincu, et le public avec moi, qu'ils ne savent que dire, qu'ils n'ont pas même pour eux de mauvaises raisons;...
PAUL-LOUIS COURIER, Pamphlets politiques, Réponses aux anonymes qui ont écrit des lettres à Paul-Louis Courier, 1822, page 148.
Ø 18. Il réfléchit donc, puisque observer, expérimenter, c'est réfléchir; il raisonne, puisqu'il ne peut pas ne pas raisonner; et en réfléchissant, il se fait illusion; en raisonnant, il se trompe, et il croit avoir raison, il s'obstine, il abonde dans son sens, il s'estime lui-même et méprise les autres. Dès lors il s'isole, car il ne pourrait se soumettre à la majorité qu'en faisant abnégation de sa volonté et de sa raison, c'est-à-dire qu'en se reniant lui-même, ce qui est impossible.
PIERRE-JOSEPH PROUDHON, Qu'est-ce que la propriété? 1840, page 319.
Remarque : 2. Dans l'exemple suivant abonder dans signifie « s'abandonner, se soumettre à » :
Ø 19. Ainsi, d'un côté, les principes, de l'autre, une inquiétude vague m'empêchèrent longtemps d'abonder dans les regards assassins de la princesse autant qu'elle l'eût désiré.
LOUIS REYBAUD, Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale, 1842, page 293.
II.— [Suivi d'un complément introduit par les prépositions de ou en] Avoir à sa disposition, contenir ou produire quelque chose en très grande quantité.
— [Le sujet est une entité abstraite] :
Ø 20. La religion schismatique grecque est une lettre morte; elle ne commande point des vertus, mais des grimaces; elle abonde en exigences minutieuses et en prescriptions vexatoires; elle excelle à macérer le corps sans profit pour l'esprit; elle fatigue le bras sans fortifier le coeur; elle incline le corps vers la terre sans élever l'âme vers le ciel : cette religion, fille du bas-empire, participe de l'imbécilité byzantine.
EDMOND ABOUT, La Grèce contemporaine, 1854, page 282.
Ø 21.... j'oscille entre deux tendances contraires : la bienveillance humaine qui abonde en sympathie; la défiance qui se retire à l'écart. Par nature, j'incline à la tendresse et à la douceur envers tous les êtres et en particulier envers ceux de mon espèce; mais par expérience et par instinct de justice, je les ai en suspicion.
HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime, 9 janvier 1866, page 54.
— [Le sujet désigne une personne] :
Ø 22. Il abondait de renseignements; il était alphabet et almanach; il était étiage et tarif. Il savait par coeur le péage des phares, surtout des anglais; un penny par tonne en passant devant celui-ci, un farthing devant celui-là.
VICTOR HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866, page 139.
STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 659. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 1 050, b) 1 189; XXe. siècle : a) 756, b) 812.
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