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ABHORRER, verbe transitif.

Publié le 27/09/2015

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ABHORRER, verbe transitif.  

I.—  Emploi transitif.  Avoir pour une personne ou une chose une antipathie telle qu'on ne saurait la voir ou y penser sans éprouver un frémissement et un mouvement tendant à s'en éloigner ou à l'éloigner. 

A.—  [Le sujet est un nom de personne] 

1. [L'objet est un nom de personne] :

Ø 1. Et nous songeons à vous, les rois et les barons,

Et nous vous exécrons et nous vous abhorrons!

VICTOR HUGO, La Légende des siècles,  1883, page 301. 

Ø 2. Elle exposa son grand désir de pouvoir sortir de Blankenbourg, avant l'arrivée des prussiens. Elle les craignait, les abhorrait.

ÉLÉMIR BOURGES, Le Crépuscule des dieux,  1884, page 28. 

Ø 3. « Les incroyants me détestent, parce que je bafoue leurs sophismes, et les croyants m'abhorrent, parce que je conspue leur lâcheté. (...) »

LÉON BLOY, Journal,  1894, page 136. 

Ø 4. Ils [ces libres Autrichiens] regrettent ce Napoléon, qu'ils ont naguère abhorré.

ROMAIN ROLLAND, Beethoven, tome 2, 1903, page 596. 

Ø 5. Je n'ignore pas combien on me déteste et combien la plupart de ceux qui m'abhorrent seraient embarrassés, si on exigeait qu'ils précisassent leurs griefs.

LÉON BLOY, Journal,  1904, page 52. 

Ø 6. Sachez que votre action mauvaise est effacée

En tant qu'il est de moi, et je suis en paix avec vous,

Et que je ne vous méprise et abhorre point parce que vous êtes atteint et malade,

Mais je vous traiterai comme un homme sain et Pierre de Craon, notre vieil ami, que je révère, aime et crains.

PAUL CLAUDEL, L'Annonce faite à Marie, Version pour la scène, Prologue, 1948, page 137. 

2. [L'objet désigne une chose en relation direct ou indirect avec une personne] :

Ø 7. Vingt bras l'ont enchaîné comme il parloit encore.

Mais d'un sang criminel, de ce sang qu'il abhore, 

Le peuple, déposant son glaive redouté,

Ne veut point de ses mains souiller la pureté;...

JEAN-LOUIS LAYA, L'Ami des loix,  1793, V, page 114. 

Ø 8. Ma passion pour quitter Grenoble, c'est-à-dire lui, et ma passion pour les mathématiques, seul moyen que j'eusse de quitter cette ville que j'abhorrais et que je hais encore, car c'est là que j'ai appris à connaître les hommes, ma passion mathématique me jeta dans une profonde solitude de 1797 à 1799.

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Vie de Henry Brulard, tome 2, 1836, page 85. 

Ø 9. C'est l'heure où tout l'Islam psalmodie la sourate des infidèles, et Maxence répète lentement la sombre prière, qu'il a lue dans le livre : « Souratoul et Koufar. Dis : ô infidèles! Je n'adorerai point ce que vous adorez. Vous n'adorerez point ce que j'adore. J'abhorre votre culte. Vous avez votre religion, et moi la mienne. »

ERNEST PSICHARI, Le Voyage du centurion,  1914, page 98. 

Ø 10. Peu à peu ceux qui les [les fables] aimaient, ceux qui les goûtaient, ceux qui les pouvaient entendre disparaissent. Ceux qui les abhorraient, ceux qui les déchiraient, ceux qui les persiflaient sont morts aussi.

PAUL VALÉRY, Variété II,  1929, page 50. 

3. [L'objet désigne une chose considérée comme un être animé doué d'une certaine agressivité] :

Ø 11. Oh! Que suis-je venu chercher ici! Éternelle douleur!

Larisse, Thessalie, Tempé, flots du Pénée que j'abhorre! 

O Polémon, cher Polémon!...

« Que dis-tu, au nom de notre bon ange, que dis-tu de poignards et de sang?

CHARLES NODIER, Smarra ou Les Démons de la nuit, Épilogue, 1821, page 105. 

Ø 12.... nous rejetons la hache au tas noir des épées; nous l'abhorrons;...

VICTOR HUGO, La Légende des siècles, tome 6, 1883, page 292. 

Ø 13. Et par mille fissures invisibles, ainsi qu'une eau sombre et secrète, la fatalité qu'il abhorre est entrée dans son destin.

GEORGES BERNANOS, Un Mauvais rêve,  1948, page 903. 

4. [L'objet est un verbe à l'infinitif] 

a) [L'objet est un verbe à l'infinitif précédé de la préposition de)] :

Ø 14. En honnête homme qui abhorre d'exagérer, je ne sais comment faire.

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL. Vie de Henry Brulard,  1836, page 501. 

Ø 15. Physiquement elle était devenue hideuse, au désespoir du ruiné Chapuis, qui n'aurait pas abhorré de liciter sa tendre compagne, mais qui ne pouvait plus l'offrir désormais qu'en qualité de guenille bonne à laver les dalles des morts dans un hôpital de lépreux.

LÉON BLOY, La Femme pauvre,  1897, page 23. 

b) [L'objet est un verbe à l'infinitif précédé d' une proposition complétive introduit par que] :

Ø 16. Je lui faisais des hontes abominables. Il rougissait de haut en bas. Il abhorrait qu'on le remarque.

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE. Mort à crédit,  1936, page 82. 

Remarque : La construction a (confer historique I A 2) n'est illustrée dans la documentation que par 4 exemple du XIXe.  siècle, dont 3 de Stendhal; l'exemple 20, dans lequel se trouve attestée la construction b est unique. 

B.—  Par extension.  [Le sujet désigne un être ou une entité assimilés à une personne] :

Ø 17. L'homme que je haïssais comme les ténèbres abhorrent la lumière n'est plus qu'un cadavre!

PIERRE-ALEXIS, VICOMTE PONSON DU TERRAIL, Rocambole, les drames de Paris, tome 3, Le Club des valets de coeur, 1859, page 543. 

Ø 18. Hélas! L'astre du ciel te hait, la fleur du pré

Te craint, autour de toi tous les êtres ensemble

Frémissent, les clartés frissonnent, l'azur tremble

L'infini te redoute et t'abhorre; eh bien, moi,

Je t'apporte en amour tout cet immense effroi!

VICTOR HUGO, La Fin de Satan, Hors de la terre III, 1885, page 927. 

Ø 19. On peut dire que la métaphysique a reconquis le terrain perdu en montrant à l'homme l'illusion des prétendues solutions scientifiques et en ramenant l'esprit vers la région mystérieuse que la petite science abhorre.

GEORGES SOREL, Réflexions sur la violence,  1908, page 208. 

Ø 20. Il arrivait bien à ne pas pécher contre la mesure, à garder cette attitude si perverse de « l'honnête homme » que tout le monde révérait et que Dieu peut-être abhorrait, mais au prix de quelle surveillance continuelle sur soi, de quels sacrifices renouvelés et toujours sensibles?

MARCEL JOUHANDEAU, Monsieur Godeau intime,  1926, page 46. 

Ø 21. Ainsi l'esprit semble abhorrer et fuir le procédé même de la vie organique profonde, qui exige, au contraire, la répétition des actes élémentaires desquels dépendent les échanges vitaux.

PAUL VALÉRY, Variété,  1936, page 211. 

—  Emploi absolu (confer historique II, remarque 2) : 

Ø 22. Vous jugez si cette âme altière, en tout extrême,

Qui dans le même jour abhorre autant qu'elle aime, 

A l'aspect d'un écrit, que son amour jaloux

Croira pour la princesse... elle entre; laissez-nous.

GABRIEL LEGOUVÉ, La Mort de Henri IV,  1806, IV, 4, page 402. 

Ø 23. J'aime ou j'abhorre, dans l'acception physique du mot.

ALPHONSE DE LAMARTINE, Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient (1832-1833) ou Note d'un voyageur,  1835, page 63. 

Remarque : Dans cet emploi, rare dans la documentation, abhorrer s'oppose à aimer, également en construction absolue. 

II.—  Emploi pronominal (confer historique II, remarque 1) S'abhorrer. 

1. Réfléchi : 

Ø 24. Je m'abhorrois moi-même en pensant que, sans mon fatal amour, sa vie entière eût été aussi paisible, aussi fortunée que brillante...

STÉPHANIE FÉLICITÉ DUCREST DE SAINT-AUBIN, COMTESSE DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, tome 1, 1795, page 165. 

Ø 25. Oh! Combien je t'aime! Et combien je m'abhorre de t'avoir si souvent tourmentée!

VICTOR HUGO, Lettres à la fiancée,  1822, page 259. 

2. Réciproque : 

Ø 26. L'unité de doctrine une fois brisée, il y a des jurisconsultes, des philologues, des métaphysiciens, des théologiens, qui, tous, s'abhorrant les uns les autres, marchent fort habilement dans des directions contraires.

EDGAR QUINET, Allemagne et Italie,  1836, page 123. 

Remarque : 1. Associations très fréquentes, la plupart déjà attestées dans les dictionnaires (abhorré de tous; abhorré de tout ce qui l'environne [Littré] ), dans lesquelles le verbe ou l'adjectif est mis en relation avec un terme exprimant la totalité :. abhorré de tous, etc. (Général Louis-Narcisse Baudry des Lozières, Voyage à la Louisiane, 1802, page 95);. (nous avons) tous abhorré... (Léon Dierx, Les Lèvres closes, 1867, page 219);.... abhorré partout (Lautréamont, Les Chants de Maldoror, 1869, page 146); ou l'universalité ou l'irréversibilité dans le temps :. j'abhorre à jamais (Jean-Louis Laya, L'Ami des loix, 1793, V, 5, page 114);. abhorrer sans retour (Pierre Drieu La Rochelle, Rêveuse bourgeoisie, 1937, page 238). 2. a) Employé soit au présent, soit au passé (à l'imparfait le plus souvent), le verbe exprime un procès qui est l'effet des dispositions affectives du sujet Cette action est exercée normalement par un être humain, moins souvent par une partie de l'être humain (telle que l'âme, l'esprit, la chair, le coeur, la nature); par une activité ou par un état propres à l'être humain; plus rarement par une entité ou par un être assimilés à l'être humain sous le rapport de l'affectivité. —  L'objet de l'action (complément d'objet du verbe ou substantif qualifié par le participe passé-adjectif) est soit une personne, soit une chose en rapport avec une personne ou avec un ensemble de personnes (chose considérée comme partie d'une personne; chose perçue par une personne; produit de l'activité humaine, etc.), soit une entité, un être, un objet assimilés à une personne sous le rapport du mouvement, de l'agressivité, de l'affectivité. On notera plus spécialement, pour ce dernier cas, la présence du mot dans des contextes relatifs (confer exemple 9), chez quelques auteurs des XIXe. -XXe.  siècle conscients du fait que abhorrer fut d'abord (confer étymologie) d'un emploi surtout relatif avant de passer, avec une valeur très forte, dans le vocabulaire général; cette utilisation résurgente du mot n'est pas nouvelle, elle se rencontre au XVIIe.  siècle (confer Corneille, Polyeucte, II, 6). L'objet abhorré est ou négatif par lui-même (despotisme, etc.), ou neutre, mais senti comme négatif par le locuteur (souvenir, etc.). La motivation du procès consiste dans le fait que l'objet abhorré dépasse les limites de l'acceptable sur le plan religieux, moral, affectif, etc. Ce dépassement produit une sorte de frémissement qui fait que l'on est amené à s'éloigner de l'objet abhorré (on abhorre les méchants) ou à l'éloigner (un malade abhorre les remèdes). Le mot a ainsi conservé les 2 éléments significatifs que contient son correspondant latin (confer étymologie) : ab- indique l'action de se détourner, de s'éloigner; horrere celle d'avoir horreur, primitivement avec hérissement des cheveux, sous l'effet d'une grande frayeur. b) Abhorrer fonctionne : —  dans des séries antonymes à 2 termes (exemple 22, 23, etc.), les oppositions le plus fréquemment rencontrées étant : abhorrer / aimer (Alain, Propos, 1936, page 940; etc.); abhorrer / mépriser (Henri Beyle, dit Stendhal, Lucien Leuwen, tome 2, 1836, page 362; etc.); —  dans des séries synonymes à 2 ou à 3 termes (exemple 1, etc.); dans ou en dehors d'une série synonyme, en association avec un verbe indiquant la motivation ou explicitant les suites de la réaction violente exprimée par abhorrer (exemple 2, 12, etc.); quelquefois en association avec des verbes exprimant, comme lui, une attitude négative (exemple 10). Les 4 verbes abhorrer, détester, exécrer, haïr, expriment 4 degrés d'un même sentiment. L'aversion portée à l'extrême est exprimée par exécrer, l'aversion très intense, mais non portée à l'extrême, par abhorrer, ce dernier terme l'emportant en intensité sur détester ou sur haïr. Abhorrer désigne une réaction de la sensibilité et s'applique particulièrement à un mal présent ou dont on craint la présence; détester est l'effet du jugement et de la raison, et s'applique à la cause du mal ou à un mal passé dont il subsiste des traces (aversion, regrets); dans le premier cas, on frissonne, dans le second, on repousse. Exécrer ajoute à l'idée d'horreur celle d'un mal digne de malédiction; maudire implique l'idée d'une extériorisation du sentiment par la parole, le geste. 

 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 223. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 691, b) 221; XXe.  siècle : a) 211, b) 110. 

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