abandon ABANDON, substantif masculin.
Publié le 27/09/2015
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abandon
ABANDON, substantif masculin.
I.— [L'agent est toujours une personne] Action de rompre le lien qui attachait une personne à une chose ou à une personne.
A.— [Le verbe correspondant serait à l'actif; l'objet est introduit par la préposition de ou un adjectif possessif (exemple 7)]
1. [L'objet est une chose]
— DROIT. (le lien antérieur avec l'objet était un lien de propriété). Action de renoncer à la possession d'un bien :
Ø 1. De la cession de biens.
1265. La cession de biens est l'abandon qu'un débiteur fait de tous ses biens à ses créanciers, lorsqu'il se trouve hors d'état de payer ses dettes.
1266. La cession de biens est volontaire ou judiciaire.
Code civil des Français (ou Code Napoléon) 1804, page 228.
Ø 2.... chez les peuples civilisés (...) la vie domestique (...) a des devoirs qui imposent perpétuellement le sacrifice de ces droits. Mais l'abandon qu'on en fait est volontaire, généreux, honorable; il devient ainsi une possession, une jouissance et un bien de plus.
JOSEPH JOUBERT, Pensées, 1824, page 239.
Remarque : 1. Noter l'expression faire l'abandon de (exemple 1 et 2). 2. Dans l'exemple 1, un objet second est introduit par la préposition à (à ses créanciers), qui désigne la personne en faveur de laquelle est faite la renonciation. 3. Abandon prend un sens particulier dans la langue de la Bourse : \" Acte par lequel l'acheteur renonce à un marché conclu en consentant à payer la prime. \" (Dictionnaire de la langue française (ÉMILE LITTRÉ))
— En marge ou en dehors de la langue du droit (le lien antérieur avec l'objet était un lien moral). Action de cesser de s'occuper d'une chose à laquelle on était lié par l'intérêt qu'on lui portait, par un engagement, etc. :
Ø 3. Abandon de poste. (Terme de législation militaire.)
Dictionnaire de l'Académie française, Compléments. 1842.
Ø 4. Il a fallu près d'un siècle pour que le service rendu par Louis-Philippe fût compris et apprécié. En 1831, sa renonciation à la Belgique passa pour une trahison, un lâche abandon des traditions révolutionnaires et napoléoniennes.
JACQUES BAINVILLE, Histoire de France, 1924, page 170.
Ø 5. Il ne voulait pas de ces larmes, elles n'avaient pour lui aucun sens. (...) C'étaient comme des larmes versées en vain. La simple acceptation, l'abandon de la lutte inutile, le geste qui avoue la défaite, s'offre au vainqueur, cela seul eût ouvert la vraie source des pleurs, et il redoutait plus cette délivrance qu'aucun supplice.
GEORGES BERNANOS, L'Imposture, 1927, page 376.
Ø 6. Il existe un scandaleux écart, une scandaleuse distance entre ce qu'énonce la philosophie et ce qui arrive aux hommes en dépit de sa promesse; (...) Elle n'est jamais là où l'on aurait besoin de ses services. Elle est, ou plutôt paraît, démissionnaire. Il faudra même parler d'abandon de poste, de trahison.
PAUL NIZAN, Les Chiens de garde, 1932, page 53.
Ø 7. En lui [le mysticisme chrétien] se manifeste un étonnant équilibre entre l'agir et le pâtir, entre la possession du monde et son abandon, entre le goût des choses et leur mépris.
PIERRE TEILHARD DE CHARDIN, Le Milieu divin, 1955, page 144.
Remarque : Le domaine auquel appartient l'objet est généralement politique ou militaire; une nuance dépréciative (exprimable par des adjectifs comme lâche : confer exemple 4) s'attache à la rupture du lien moral. La langue de l'escrime connaît un emploi technique non appréciatif : \" Mouvement par lequel on quitte le fer soit en marchant, soit en prenant le plus long pour aller aux parades. \" (Dictionnaire de l'Académie Française, Compléments 1842); plus récemment la langue du sport a donné une nouvelle vitalité à l'emploi de ce substantif, par exemple dans la langue de la boxe : être battu par abandon par opposition à être battu aux points, être battu par disqualification de l'arbitre; la même langue connaît aussi la construction de abandon avec un complément déterminatif indiquant l'agent de l'abandon, exemple : [le combat de boxe] devait durer jusqu'à l'abandon d'un des 2 hommes (La Vie au grand air, 11 décembre 1909).
2. [L'objet est une personne] Action de cesser de s'occuper de quelqu'un à qui on était lié par un lien d'affection ou d'obligation. (Nuance péjorative comme dans l'acception précédente).
a) [La personne objet est différente de l'agent] :
Ø 8. Tristesse grandissante de la maison. Chez la maîtresse, comme une perception de l'abandon qui se fait autour d'elle, du lâchage des peintres, qui y viennent comme à une corvée; de la désertion des ambitions, qui renoncent à cette maison qui ne mène à rien.
EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1868, page 456.
Ø 9. Il a subi le délaissement de son père, l'abandon de Dieu, la sécheresse et le désert des dérélictions absolues...
JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 2, 1933, page 474.
b) [La personne objet est la même que l'agent (abandon de soi)] :
Ø 10. Elle [Nana] ... tuait le temps à des plaisirs bêtes, dans son unique attente de l'homme... et, au milieu de cet abandon d'elle-même, elle ne gardait guère que le souci de sa beauté...
ÉMILE ZOLA, Nana, 1880, page 95.
Ø 11. Le peu qu'il a de doctrine politique ou sociale est commandé par ce même besoin pathétique de se livrer à l'ennemi, de livrer son âme. Ce que les niais qui l'entourent appellent indépendance, hardiesse, n'est que le signe visible, bien que méconnu, de sa morose nostalgie de l'abandon total, d'une définitive liquidation de lui-même. Tout ennemi de la cause qu'il prétend servir a déjà son coeur;...
GEORGES BERNANOS, L'Imposture, 1927, page 315.
Ø 12. Cette collaboration avec l'Allemagne, si souhaitable, si souhaitée par nous en un temps où le grand nombre, où l'opinion la considéraient comme impie (je veux dire en 1918), qu'elle nous soit aujourd'hui proposée, imposée, par ceux-là mêmes qui la tenaient hier pour inadmissible; qu'elle devienne pour nous un gage de la défaite, un témoignage d'abandon de soi, d'abdication, de reniement... C'est ce qui met la conscience (la mienne du moins) à la torture.
ANDRÉ GIDE, Journal, 1942, page 123.
— [Le substantif est suivi d'un complément d'objet secondaire indiquant la personne en faveur de qui se fait l'abandon (notamment dans la langue de la morale ou de la religion), avec une nuance appréciative ou dépréciative suivant l'échelle des valeurs du sujet parlant] :
Ø 13.... c'est bien plus par leurs défauts que par leurs qualités qu'on gouverne les hommes. Personnalité, goût pour l'argent, amour de la domination, tous ces penchants se fortifient quand une femme, en les connaissant, ne cesse de nous reprocher notre générosité, notre oubli de nous-mêmes, notre abandon à la volonté des autres.
GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres inédites à Louis de Narbonne, 1792, page 44.
Ø 14. De tous les port-royalistes, Du Guet est celui peut-être dont les lettres conviennent le mieux par la netteté de la doctrine à tous les stricts chrétiens selon Saint Paul. Il professe l'abandon pur et simple de tout l'homme à la merci de Dieu...
CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 4, 1859, page 508.
Remarque : Chez les mystiques, qui parlent de l'abandon à la volonté de Dieu, la nuance appréciative l'emporte; chez les historiens de ces derniers la nuance peut être plus ambiguë (confer exemple 14, où à la merci introduit un élément critique à l'égard de l'abandon).
— [Dans la langue de l'amour, en parlant d'une femme, l'objet secondaire restant généralement implicite; la nuance est dépréciative] :
Ø 15.... Octave Pouret était le conquérant audacieux, l'esprit net, résolu à demander aux femmes la royauté de Paris, tombé en pleine bourgeoisie gâtée, faisant là une terrible éducation sentimentale, passant du refus fantasque de l'une au mol abandon de l'autre,...
ÉMILE ZOLA, Le Docteur Pascal, 1893, page 110.
Ø 16.... la femme qui se débattait en le suppliant, sur le plancher où ils étaient tombés, puis sur ce lit, et ce consentement soudain, cet incompréhensible abandon : elle avait cédé tout à coup;...
JULIEN GREEN, Moïra, 1950, page 225.
B.— [Le verbe correspondant serait au passif; l'agent reste généralement implicite; valeur toujours péjorative] État résultant de l'action de délaisser.
1. [L'objet est une chose] :
Ø 17. Ce n'était plus l'ancienne campagne d'abandon, de saleté et de misère où les paysans croupissaient depuis des siècles, dans l'entêtement borné de la routine et de la haine.
ÉMILE ZOLA, Travail, 1901, page 261.
De là l'expression : (laisser) à l'abandon, Expression qui s'applique souvent aux choses, mais aussi aux personnes et aux animaux :
Ø 18. Il fallait laisser le temps, aux caractères effacés, de reparaître, ne pas chercher à les former. Laissant donc mon cerveau, non pas à l'abandon, mais en jachère, je me livrai voluptueusement à moi-même, aux choses, au tout, qui me parut divin.
ANDRÉ GIDE, L'Immoraliste, 1902, page 399.
Remarque : La valeur péjorative peut être soulignée par des adjectifs comme triste.
2. [L'objet est une personne] :
Ø 19.... le profond néant de sa faiblesse, toute fuite fermée, aucun appui, son abandon, son isolement, ces pensées et mille autres l'avaient accablée.
VICTOR HUGO, Notre-Dame de Paris, 1832, page 524.
Remarque générale : L'action de rompre affectant une chose ou une personne dans sa totalité, abandon (qui contient cette notion) se trouve fréquemment employé avec des adjectifs comme total, complet, et à un degré de fréquence moindre, avec les adjectifs entier et absolu.
II.— Action de laisser aller son corps, son coeur, son esprit, etc. à leur pente naturelle, (avec suggestion de l'effet qui en résulte).
Remarque : Ce sens se rattache au sens I A 2 b : le verbe correspondant serait à l'actif, l'objet désigne la même personne que l'agent; il s'agit d'un cas particulier de l'abandon de soi avec insistance sur l'impression produite.
— L'effet produit peut être désagréable :
Ø 20. La Faustin est couchée sur une chaise longue, sans être habillée, dans le négligé, l'abandon d'une femme mal en train...
EDMOND DE GONCOURT, La Faustin, 1882, page 254.
— Il est habituellement envisagé comme agréable (éventuellement déterminations intensives ou qualitatives par des adverbes de quantité ou des adjectifs comme complet, entier, confiant); il s'applique volontiers à la parole :
Ø 21. Abandon, se dit aussi en parlant des discours, des ouvrages, des manières, etc. d'Une sorte d'abondance facile, de négligence aimable, qui exclut toute recherche, tout effort, toute affectation. Il y a dans cette partie de son discours un heureux abandon. Elle a dans ses manières un abandon séduisant
Dictionnaire de l'Académie française. 1798.
Ø 22. Je m'étonne d'être si content de moi-même et des autres hommes avec lesquels je me suis trouvé aujourd'hui en rapport et en accord; point de méfiance, beaucoup d'abandon et aussi d'indiscrétion et d'imprudence.
MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal, 1819, page 246.
Ø 23. Cette femme a dans ses manières un abandon séduisant. Le maintien, les gestes de cette actrice ont un gracieux abandon, un doux abandon. Il a dans la conversation le plus aimable abandon. On trouve dans cet ouvrage, dans l'exécution de ce tableau un heureux abandon.
Dictionnaire de l'Académie française. 1835.
Ø 24. Madame et Mesdemoiselles Katchiflisse sont les trois personnes les plus célèbres de Syrie pour leur beauté et pour le charme des manières, mélange piquant de la réserve asiatique avec le gracieux abandon des femmes grecques, et la politesse accomplie des femmes les plus élégantes de l'Europe...
ALPHONSE DE LAMARTINE, Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient (1832-1833) ou Note d'un voyageur, 1835, page 269.
Ø 25.... une femme s'exprimant bien, mais parlant comme on écrit, sans abandon, avec une garde, sans rien de la liberté, ni du charme, ni du laisser-aller charmant de la femme; (...)
EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1858, page 476.
Ø 26. Les deux hommes étaient d'accord. Il suffisait, pour en avoir la certitude, de voir la détente physique qui s'était produite chez l'un et chez l'autre, l'abandon, l'espèce de lassitude qui suit un entretien mouvementé.
RENÉ BAZIN, Le Blé qui lève, 1907, page 145.
Remarque : Une nuance de confiance peut s'ajouter : \" Il m'a parlé avec abandon. \" (Dictionnaire de l'Académie Française 1835).
— Au lieu d'une manière d'être de la personne elle-même, il peut s'agir, par extension, d'une manière d'être de choses qui, comme les vêtements, en expriment le goût :
Ø 27.... ses habits, de couleur bleue et de forme austère, n'avaient jamais ni recherche, ni couleurs éclatantes, ni négligence, ni abandon dans les plis.
ALPHONSE DE LAMARTINE, Nouvelles Confidences, 1851, page 18.
Ou de la manière d'écrire (style) ou de peindre :
Ø 28. [Rivarol] avait senti la nécessité de retremper la langue, de lui donner plus de franchise, plus de mouvement et d'abandon, de créer en peignant
CHARLES-JULIEN LIOULT DE CHÊNEDOLLÉ, Journal, 1822, page 118.
Ø 29. Il n'est pas de composition plus rigoureuse que « le règne de Flore », (...) il n'en est pas qui respire mieux le naturel ou qui simule mieux l'abandon.
ANDRÉ LHOTE, Peinture d'abord, 1942, page 60.
STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 2 224. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 2 810, b) 2 969; XXe. siècle : a) 3 279, b) 3 497.
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