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35 Une quinzaine de minutes après l'accident, alors que Marion avait disparu dans la forêt, la dernière image qu'Yvan emporta de la soirée fut une myriade d'étoiles.

Publié le 06/01/2014

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35 Une quinzaine de minutes après l'accident, alors que Marion avait disparu dans la forêt, la dernière image qu'Yvan emporta de la soirée fut une myriade d'étoiles. Armé d'une matraque, Eddy l'avait surpris pendant qu'il rassemblait ses affaires. Il l'avait cueilli à l'arrière du crâne, d'un coup bien ajusté, suffisant pour l'étourdir. Puis il l'avait ficelé, bâillonné et jeté dans le coffre de sa coiffure. Il aurait bien aimé lui gâter le portrait à ce gardien de brebis, le larder de coups de rasoir et lui défoncer la gueule au final, mais il avait encore besoin de lui. Il lui avait quand même décoché un coup de pied dans le ventre après l'avoir allongé par terre. Il partit chercher le téléphone de Marion et le mit dans le sac qu'il plaça sur le capot. Il s'agenouilla pour récupérer le dispositif de géolocalisation logé sous le châssis de la BMW. L'engin n'était pas endommagé, mais Eddy fut obligé de gratter la terre pour passer la main sous le pare-chocs défoncé. Il repensa au moment où il avait percuté l'arrière du véhicule, quelques secondes avant l'accident.   L'esprit brumeux, la gorge sèche, Yvan revenait lentement à lui. Des acouphènes vrillaient son cerveau. Le son, insupportable, commençait à le rendre fou. Il était secoué de spasmes, la douleur irradiait de la nuque aux lombaires. Il s'aperçut, enfin, qu'il portait un bâillon et que des liens entravaient ses membres. Il ne distinguait rien, plongé dans une obscurité totale. Ballotté et suffoquant, il tenta de se tourner et de se relever, mais il se cogna à des parois métalliques. On l'avait coincé dans un coffre de voiture. La panique d'Yvan augmentait au fil des minutes. Pas moyen de fuir. Il pensa à Marion. Que lui était-il arrivé ? Se contorsionner lui coupait le souffle, et lui sciait bras et jambes. L'odeur du ruban adhésif collé sur sa bouche lui donnait la nausée. Le roulis des essieux et le couinement des suspensions l'effrayaient. Où l'emmenait-on ? À chaque bosse, quelque chose grinçait à côté de sa tête. Il ne parvenait pas à l'identifier. Du bout des pieds, il tenta de partir à la recherche d'un objet susceptible de l'aider à se libérer. Après plusieurs minutes, il abandonna, en proie à des crampes naissantes. Il n'avait jamais enduré pareil supplice. Son dos lui faisait de plus en plus mal. Le moindre cahot lui donnait l'impression de recevoir un coup de poing dans les reins. Il avait perdu ses repères, et jusqu'à la notion du temps écoulé depuis le choc qui lui avait fait perdre conscience. Quand le véhicule réduisit son allure, Yvan tendit l'oreille pour percevoir les sons extérieurs. Les yeux écarquillés, il traquait désespérément le moindre indice. Il crut percevoir le bruit du trafic, son ravisseur devait rouler en zone urbaine. Les freins crissèrent. Le véhicule stoppa. Le moteur tournait au ralenti. Un ronronnement sourd se fit entendre. Un camion ou un bus, juste à côté. Des voix. Yvan cria pour signaler sa présence. Eddy serra le volant et donna deux coups d'accélérateur dans le vide avant d'enclencher la première. Le feu passa au vert. Le brusque démarrage propulsa Yvan à l'avant du coffre, lui écrasant les côtes. Eddy relâcha la pression sur l'accélérateur. Yvan roula vers l'arrière et vint heurter une masse métallique. Il sentit bientôt un liquide chaud serpenter sur sa peau... 36 Pelotonnée sous les couvertures, serrant un carnet contre elle, Marion dormait. Quelques heures plus tôt, elle avait réfléchi à ce qu'elle pouvait ou devait entreprendre pour aider Yvan. Alerter la police ? On lui avait ordonné de se taire. Un court instant, elle avait pensé à une mise en scène, mais c'était absurde, Yvan n'aurait jamais joué de la sorte avec elle. Que faire ? Elle se sentait terriblement seule, sans soutien, piégée. Sa responsabilité était énorme. Celui ou ceux qui détenaient Yvan en otage risquaient à tout moment de lui faire du mal, de le tuer... On n'enlève pas quelqu'un pour le relâcher sans rançon, sans gage. Et que pouvait-elle leur offrir ? Elle avait lutté contre le sommeil jusqu'à l'aube avant de sombrer, vaincue par la fatigue et le désespoir. Un appel téléphonique la réveilla en milieu de matinée. D'une main tâtonnante, elle se saisit de l'appareil posé sur la table de chevet et le porta à son oreille. -- C'est moi... Je me suis inquiétée pour toi hier soir. Où es-tu ? J'espère que tout va bien. Marion se redressa d'un coup. Bon Dieu ! Jane... Elle l'avait complètement oubliée. -- Je te réveille, peut-être ? -- Oui... euh... non. -- Marion ? Tu es sûre que tout va bien ? Elle ne savait que répondre, les idées se heurtaient dans sa tête. Parler à sa tante, ne pas lui parler, et de quoi, comment... -- Que se passe-t-il, ma chérie ? -- Rien de grave. J'ai... j'ai embouti la voiture. Mais pas de bobos, de la tôle froissée, c'est tout. Son corps était mâché de partout, des estafilades barraient ses pommettes, et des courbatures la rendaient incapable de bouger normalement. -- La voiture, je m'en fiche, c'est toi, Marion, qui m'angoisse. -- Je rentrerai en train. -- En train ? -- La voiture est inutilisable, en fait. -- Marion, étais-tu seule ? Quand est-ce arrivé ? Marion allait répondre qu'ils étaient deux, mais elle se mordit les lèvres. -- J'étais seule, oui. La pluie avait rendu la route glissante, il faisait nuit et j'ai perdu le contrôle. La voiture est allée dans le fossé. -- Où es-tu ? -- Près de Reims. -- Reims ? Que faisais-tu là-bas ? -- Des recherches pour un projet. Tu sais, pour mes études... Jane percevait l'hésitation dans la voix de sa nièce. Elle se doutait que tout n'était pas clair mais elle n'insista pas. Ce qui comptait avant tout, c'était de savoir Marion saine et sauve. -- Marion, si tu as besoin d'aide, tu peux vraiment compter sur moi. Je serai toujours là quoi qu'il arrive. Tu le sais, n'est-ce pas ? -- Oui, mais rassure-toi, ce n'était qu'un banal accident. Jane lui proposa de s'occuper de la déclaration pour l'assurance, et lui demanda si elle avait contacté un dépanneur. Non, elle n'avait prévenu aucun garage. Elle avait juste songé à chercher un hôtel. -- Où se trouve la voiture ? Là, Marion sentit qu'elle s'enfonçait : Jane ne comprenait plus rien à son récit. La voiture était restée au bord d'une route, à vingt kilomètres de Reims ? Marion n'était quand même pas rentrée à pied ! -- J'ai fait du stop. -- À la nuit tombée ? -- Et alors ? Deux heures plus tard, Jane s'entretenait par téléphone avec le dépanneur qui avait récupéré le véhicule. Elle apprit qu'il était hors d'usage, calandre défoncée, arbre de direction faussé, pare-brise en miettes. -- C'est pourtant solide, une allemande comme ça... Mais là, ça a cogné fort. -- C'est donc sérieux ? -- Pour sûr, elle a eu de la chance de s'en sortir indemne, votre nièce. Marion lui avait dissimulé la gravité de l'accident. Y avait-il quelqu'un à son côté ? Était-elle sous l'emprise d'une drogue ? 37 La chemise déboutonnée au col, les pieds sur le bureau, le commandant Morel relisait le communiqué qu'il allait devoir fournir aux médias. Comme s'il n'en avait pas assez sur le dos, il lui fallait se charger en plus du service de presse. Et cela alors que les journalistes en savaient parfois plus long que lui. Le feuilleton promettait de durer, avec son cortège de fantasmes, de pressions, de bobards... Morel l'avait prédit à ses hommes. Ils n'étaient pas sortis des emmerdes. Et ce téléphone qui sonnait encore ! -- Morel, j'écoute. -- On a identifié les empreintes de pneus. Une Ford Mondéo. Morel fit craquer ses phalanges. Enfin une bonne nouvelle. Ces empreintes coïncidaient avec celles relevées près du chantier de Guyancourt. Même relief, et présentant les mêmes traces d'usure. Il s'agissait d'une berline de gamme moyenne, un modèle de grande série, mais c'était mieux que rien. On allait vérifier si des véhicules de ce type avaient été volés récemment. -- Le fichier des cartes grises ? Les infractions ? -- C'est en cours, commandant. -- Très bien, mais vous gardez l'info, on ne communique rien là-dessus, compris ? La garde à vue de Raymond Foulonneau allait prendre fin. Morel l'avait fait interroger une seconde fois dans la nuit, sans rien obtenir d'autre que l'aveu du vol sur le cadavre. Les empreintes complètes de ses mains avaient été prises pour que le légiste puisse les analyser et les comparer avec les traces de strangulation relevées sur les victimes. Le légiste n'avait pas formellement écarté la possibilité que le clochard soit l'auteur du geste. Morel n'y croyait toujours pas. En revanche, il suspectait l'homme d'avoir été témoin de l'agression, voire de connaître l'agresseur. Sans parler du collier. La mise en examen était inévitable. * Dans le TGV qui la ramenait à Paris, Marion était en proie aux pires tourments. L'idée de ne plus revoir Yvan la terrifiait. On l'avait kidnappé, déjà tué peut-être. Elle ne savait toujours pas quelle conduite adopter. Prévenir les autorités ? Garder le silence ? Elle éprouvait un sentiment d'irréalité angoissant. Son voisin était plongé dans ses mots croisés, d'autres passagers somnolaient dans des postures grotesques, bouche ouverte, des écouteurs aux oreilles. Marion ferma les yeux. Que serait-elle prête à faire pour quelqu'un qui comptait réellement ? Quelqu'un qu'elle voudrait protéger à tout prix ? Elle serra sa tête entre ses mains, cherchant encore et encore. Pourquoi Yvan avait-il disparu après leur dispute ? Pourquoi s'était-elle enfuie ? Elle se sentait coupable de l'avoir laissé seul. Son téléphone portable sonna. Son coeur bondit lorsqu'elle découvrit le nom d'Yvan à l'écran. Elle quitta aussitôt son siège pour gagner le coin bagages, plus tranquille. -- Yvan ? -- Pas tout à fait, Marion, dit une voix qu'on avait déguisée. -- Qui êtes-vous ? Où est Yvan ? -- C'est moi qui pose les questions. Tu vas m'écouter et respecter mes ordres, sinon... Elle entendit un claquement, suivi d'un cri étouffé. -- Yvan ? Répondez-moi ! Eddy reposa la ceinture de cuir avec laquelle il avait rageusement fouetté Yvan au visage. Celui-ci, ligoté à une chaise, se débattit un instant puis laissa retomber sa tête. -- T'as compris ? Tu fais ce qu'on te dit ou ton mec est puni à ta place. -- Je vous en supplie, dit Marion en essayant de retenir ses larmes. Le bruit du train et le va-et-vient des passagers dans le couloir rendaient la communication difficile. Elle entra dans les toilettes. Le signal faiblissait. La voix reprit, sifflante. -- Tu as un travail à finir. On attend des résultats. -- Mais nous n'avons encore rien trouvé, c'est impossible de savoir où l'on va. -- Tout dépend de toi, ma jolie. Plus tu traîneras, moins t'auras de chances de le revoir vivant. Capter la voix de cette gamine au creux de son oreille excitait Eddy au plus haut point. Il aurait voulu l'attraper sur-le-champ, glisser ses mains autour de son cou et les faire coulisser doucement, longtemps. -- Qui êtes-vous ? Comment pouvez-vous être aussi cruel ? -- Pas de commentaires. Tu vas commencer par déposer une copie de vos travaux à l'adresse que je vais t'indiquer. Il me faut tous les éléments. On en aura besoin pour travailler de notre côté et t'aider à avancer. Lors de cette livraison, tu trouveras un petit quelque chose qui te sera bien utile. Attention, au moindre faux pas, ton ami ne pourra plus compter sur ses dix doigts. Marion tressaillit. Il n'y avait plus de signal. La communication était coupée. Elle sortit de la cabine avec un regard vitreux, les membres glacés. Elle regagna sa place et laissa le vide l'envahir pour ne pas hurler de rage et de terreur. En descendant de la rame, elle aperçut une silhouette familière sur le quai. Jane l'attendait. -- J'étais très inquiète, Marion. Cet accident aurait pu être beaucoup plus grave.

« 36 Pelotonnée souslescouvertures, serrantuncarnet contre elle,Marion dormait.

Quelques heures plus tôt,elle avait réfléchi àce qu’elle pouvait oudevait entreprendre pouraider Yvan.

Alerter lapolice ? On luiavait ordonné desetaire.

Uncourt instant, elleavait pensé àune mise enscène, maisc’était absurde, Yvann’aurait jamaisjouédelasorte avecelle.Que faire ? Ellesesentait terriblement seule, sans soutien, piégée.Saresponsabilité étaiténorme.

Celuiouceux quidétenaient Yvanenotage risquaient àtout moment deluifaire dumal, deletuer… Onn’enlève pasquelqu’un pourlerelâcher sans rançon, sansgage.

Etque pouvait-elle leuroffrir ? Elleavait luttécontre lesommeil jusqu’àl’aubeavant de sombrer, vaincueparlafatigue etledésespoir. Un appel téléphonique laréveilla enmilieu dematinée.

D’unemaintâtonnante, ellesesaisit de l’appareil posésurlatable dechevet etleporta àson oreille. — C’est moi…Jeme suis inquiétée pourtoihier soir.

Oùes-tu ? J’espère quetoutvabien. Marion seredressa d’uncoup.

BonDieu ! Jane… Ellel’avait complètement oubliée. — Je teréveille, peut-être ? — Oui… euh…non. — Marion ? Tuessûre quetoutvabien ? Elle nesavait querépondre, lesidées seheurtaient danssatête.

Parler àsa tante, nepas luiparler, et de quoi, comment… — Que sepasse-t-il, machérie ? — Rien degrave.

J’ai…j’aiembouti lavoiture.

Maispasdebobos, delatôle froissée, c’esttout. Son corps étaitmâché departout, desestafilades barraientsespommettes, etdes courbatures la rendaient incapable debouger normalement. — La voiture, jem’en fiche, c’esttoi,Marion, quim’angoisse. — Je rentrerai entrain. — En train ? — La voiture estinutilisable, enfait. — Marion, étais-tuseule ?Quandest-cearrivé ? Marion allaitrépondre qu’ilsétaient deux,maisellesemordit leslèvres. — J’étais seule,oui.Lapluie avaitrendu laroute glissante, ilfaisait nuitetj’ai perdu lecontrôle.

La voiture estallée dans lefossé. — Où es-tu ? — Près deReims. — Reims ? Quefaisais-tu là-bas ? — Des recherches pourunprojet.

Tusais, pourmesétudes… Jane percevait l’hésitation danslavoix desanièce.

Ellesedoutait quetoutn’était pasclair mais elle n’insista pas.Cequi comptait avanttout,c’était desavoir Marion saineetsauve. — Marion, situ as besoin d’aide,tupeux vraiment comptersurmoi.

Jeserai toujours làquoi qu’il arrive.

Tulesais, n’est-ce pas ? — Oui, maisrassure-toi, cen’était qu’unbanalaccident. Jane luiproposa des’occuper deladéclaration pourl’assurance, etlui demanda sielle avait contacté undépanneur.

Non,ellen’avait prévenu aucungarage.

Elleavait justesongé àchercher un hôtel.

— Où setrouve lavoiture ? Là, Marion sentitqu’elle s’enfonçait : Janenecomprenait plusrienàson récit.

Lavoiture étaitrestée au bord d’une route, àvingt kilomètres deReims ? Marionn’étaitquand mêmepasrentrée àpied ! — J’ai faitdustop. — À lanuit tombée ? — Et alors ? Deux heures plustard, Jane s’entretenait partéléphone avecledépanneur quiavait récupéré le véhicule.

Elleapprit qu’ilétait hors d’usage, calandre défoncée, arbrededirection faussé,pare-brise en miettes.

— C’est pourtant solide,uneallemande commeça…Mais là,çaacogné fort. — C’est doncsérieux ? — Pour sûr,elleaeu delachance des’en sortir indemne, votrenièce. Marion luiavait dissimulé lagravité del’accident.

Yavait-il quelqu’un àson côté ? Était-elle sous l’emprise d’unedrogue ?. »

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