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29 Auprès de Marion, dont les pas résonnaient, Yvan gravissait l'escalier qui conduisait à son appartement.

Publié le 06/01/2014

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29 Auprès de Marion, dont les pas résonnaient, Yvan gravissait l'escalier qui conduisait à son appartement. L'ascenseur était en panne. -- C'est rien, avait-il assuré, tandis qu'ils soufflaient sur le palier du quatrième. Avant-hier, c'était la minuterie. Et la semaine dernière, le code de la porte d'entrée. -- Et demain ? -- On attend une invasion de cafards. Marion fit une grimace d'horreur et, d'une poussée de l'épaule, invita le flemmard à reprendre l'ascension. Il ne leur restait qu'un étage, et la nuit serait courte.   De retour de leur visite au château de Fontainebleau, ils avaient décidé de poursuivre leurs recherches sans attendre. La richesse de leurs trouvailles les excitait au plus haut point. Yvan ouvrit sa porte machinalement et s'effaça pour laisser passer la jeune femme. Un court instant, celle-ci se vit dans le rôle du petit chaperon rouge qui vient se jeter dans la gueule du loup. Yvan l'avait déjà reçue chez lui, mais pas en soirée. Pourtant, il n'y avait pas de traquenard en vue. Seulement la nécessité du moment. Et un plaisir ingénu à s'y plier. Yvan entra à son tour et jeta un oeil vers son bureau. Des feuilles avaient glissé par terre. Il était pourtant persuadé de les avoir rangées sous le pot à crayons avant de partir. Marion posa son sac sur une chaise et regarda par la fenêtre. -- Romantique, la vue. Elle s'excusa aussitôt de la remarque. -- Eh oui, je ne suis qu'une petite Américaine émerveillée par les toits de Paris. So, very nice... Yvan n'ayant pas réagi, elle se retourna. Il n'était plus là. Elle l'entendit faire du bruit dans la pièce voisine. L'entrebâillement de la porte laissait deviner un coin de lit. Une porte de placard grinça. Elle détourna les yeux et contempla la bibliothèque. Les étagères ployaient légèrement sous le poids des livres d'art et des catalogues d'exposition. -- On m'a toujours dit qu'un jour je finirais écrasé par ces livres, déclara Yvan, mais j'ai confiance, cette bibliothèque a un siècle et n'a encore tué personne. Marion lui sourit, remarquant qu'il avait troqué sa chemise pour un polo qui ne laissait rien ignorer de sa musculature. -- Peut-être qu'avant de plancher sur la doc tu veux boire quelque chose ? -- Pour être franche, je crève surtout de faim. On a galopé toute la journée. Yvan ouvrit la porte du réfrigérateur et parut dubitatif. -- Faim comment ? lança-t-il à Marion. -- On peut commander une pizza, ça m'ira très bien. -- Va pour la pizza, conclut-il, soulagé. Dans les vingt minutes qui suivirent, le livreur déboula en scooter au pied de l'immeuble. Installé au volant de sa voiture, Eddy vit le garçon couper le contact du deux-roues, extraire deux cartons de son top-case et sonner à l'interphone. Il leva les yeux vers les fenêtres éclairées du dernier étage. La vie était bizarre, pensa-t-il, si on lui avait dit qu'il devrait un jour planquer devant cette façade, ça l'aurait fait marrer. C'était bien le dernier endroit qu'il avait à repérer. Il en connaissait tous les recoins. Le livreur était monté. Eddy aurait préféré que ces deux-là s'abstiennent de dîner en amoureux. La soirée risquait fort de s'éterniser et il tombait de sommeil. Yvan disposa des couverts sur la table basse, devant le canapé, pendant que Marion pianotait sur son Iphone. De Marion à Jane, 21 h 10 Ne m'attends pas, je risque de rentrer tard. Kiss Marion Quand Yvan déboucha une bouteille, Marion eut un haut-le-corps. Jane suivait des cours d'oenologie et organisait des dégustations pour ses amis. Marion y avait pris part quelquefois, les vins de Bourgogne ayant sa préférence. -- Tu sors un côte-de-beaune pour arroser des pizzas ? lança-t-elle, offusquée. -- J'espère que ce crime restera impuni. -- Oh non ! Elle plongea une main dans l'encolure de son pull et fit mine d'en sortir une dague pour le frapper au coeur. Yvan sentit le poing se poser sur sa poitrine. Il le saisit entre ses mains et le baisa. Elle le laissa faire. Se redressant, il étudia ses yeux. Ils riaient. -- Tu ne seras pardonné qu'après avoir rempli mon verre, dit-elle d'une voix enrouée. S'il avait poursuivi, elle se serait fait croquer sur-le-champ. Mais il s'était ressaisi, comme chaque fois. Non, ce n'est jamais simple quand des ombres vous collent à la peau. -- Excellente, cette pizza, fit Yvan la bouche à moitié pleine. -- Je pensais être la seule à avoir faim ! Il allongea le bras pour atteindre son MP3, et fit défiler des titres de chansons avant de presser la touche « lecture ». It Could Happen to You, de Diana Krall. Yvan reposa le boîtier et s'adossa au canapé, le verre à la main. En face de lui, Marion rencontrait des difficultés avec sa garniture de pizza. Elle renonça à découper une portion de fromage fondu et l'avala stoïquement, en veillant à ne pas le laisser filer sur son menton. Puis elle repoussa l'assiette en carton et adopta la même position qu'Yvan, jambes allongées, nuque inclinée contre l'assise du canapé. Diana Krall faisait son show. Yvan ronronnait presque. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. -- Tu crois qu'on y arrivera ? dit soudain Marion. -- Tu en doutes ? Elle fit non de la tête avant de déclarer : -- Et si on met la main sur un trésor, des toiles de maîtres ou je ne sais quoi d'autre, on en gardera un peu pour nous... Une enfant. -- On ne garde pas pour soi des découvertes pareilles, Marion. Ça intéresse d'abord la communauté scientifique, et forcément les autorités. Et puis, ce serait trop dangereux. -- Dangereux ? -- Tu n'as pas idée des convoitises que suscitent certaines oeuvres d'art. Je suis bien placé, hélas, pour savoir les drames qu'elles peuvent engendrer. Et ce après quoi nous courons s'annonce trop sérieux pour que nous agissions sans précautions. Une expression à la fois triste et désabusée apparut sur son visage. Mais Marion n'eut pas le temps de s'y arrêter. Les premières notes de Isn't This a Lovely Day ? la frôlaient de leurs ailes. Elle frissonna. Yvan s'était relevé pour débarrasser la table. L'heure était venue de se remettre au travail. Marion prit ses affaires. Elle disposa chacun des croquis, plans et feuilles qu'ils avaient crayonnés dans la journée. Ils passèrent en revue l'ensemble des hypothèses et des analyses formulées depuis le début. Marion fit une pause pour consulter un ouvrage dans la bibliothèque. Effleurant des doigts les tranches dorées des livres les plus anciens, elle s'émerveilla devant certains volumes rares et se demanda d'où Yvan les tenait. -- Fais attention à celui-ci, il ne m'appartient pas. Un ami conservateur a eu la gentillesse de le sortir de ses archives pour mes besoins personnels, mais c'est contraire à son règlement. -- Voilà le secret de vos savants commentaires, monsieur Sauvage, lui souffla-t-elle à l'oreille. Diane Krall avait enchaîné sur Come Dance With Me. Yvan traça de nouvelles lignes sur une carte de France qu'il venait d'imprimer, puis dut travailler sur plusieurs autres, toujours plus détaillées, entre la région parisienne et la ville de Reims. Marion creusait de son côté, explorant des sites web et les ouvrages à sa disposition. La bouteille de vin aux trois quarts vide ne trouvait plus d'amateur. Les yeux de Marion commençaient à papillonner. Elle regarda l'heure : une heure dix-sept. Diana Krall s'était tue depuis longtemps, sans que personne n'y ait prêté attention. Marion se leva et rangea son sac. -- Je crois que j'en ai assez fait pour aujourd'hui. Yvan pointa du bout de sa règle une ville qu'il avait entourée sur sa dernière carte. Marion pencha la tête. -- C'est à mi-chemin entre Reims et Paris, si je ne m'abuse, dit-elle. -- Précisément, toujours cette notion de milieu. Il la raccompagna jusqu'à la porte. Ce fut elle qui prit l'initiative. Elle effleura sa joue de la main et déposa un premier baiser sur ses lèvres, avant de les goûter avidement, puis, sans un mot, elle s'éclipsa dans l'escalier. Yvan referma la porte, se demandant s'ils avaient réellement échangé ce baiser ou si l'alcool et la fatigue avaient trompé ses sens. Il flottait littéralement. Soulagé, peut-être. Déconcerté, sûrement. Il s'approcha de la fenêtre. La carrosserie sombre de la BMW s'engageait au milieu de la rue. C'est à peine s'il remarqua qu'une autre voiture avait pris son sillage.   Marion se sentait légèrement grise mais calme, et pour la première fois de sa vie en paix avec ellemême. Ce baiser l'avait délivrée d'un sort. La belle endormie. Elle sourit. Yvan n'était pas le prince des contes, mais il était charmant, et presque malgré lui. Elle enclenchait les vitesses avec douceur et roulait dans Paris lavé par la pluie. Elle franchit la Seine, remonta l'avenue Winston-Churchill, jetant un oeil sur les ombres du Petit Palais, sans s'inquiéter des phares qui scintillaient dans son rétroviseur. Elle alluma la radio et tomba sur un concerto de Chopin. Voilà que des larmes lui venaient. Elle essuya ses paupières. C'était idiot. Un feu passa au rouge. Elle se mit au point mort. Soudain, l'émotion la submergea. Cette fois, d'irrépressibles sanglots l'emportèrent. Derrière elle, on se retint de klaxonner. Elle démarra lentement et prit des rues étroites, laissant courir alternativement sur son visage la lueur orangée des lampadaires et de furtives ténèbres. Un instant, elle crut toucher au fond d'elle-même, là où se tenaient tapis ses fantômes. Mais, ce soir-là, elle n'y rencontra qu'un soupir qui avait le parfum du bonheur. Portée par la musique de Chopin, son âme s'était mise à danser. Combien de temps était-elle restée à l'arrêt, le moteur au ralenti, devant la grille d'accès au parking souterrain de son domicile ? Elle n'en savait rien. Elle se saisit du boîtier à ultrasons. Une lumière clignota. Le véhicule de Marion plongea dans la descente. Une silhouette l'avait suivie discrètement. La grille se referma, les pas de Marion résonnèrent bientôt sur le béton. Accroupi, Eddy caressa la calandre de la BMW. Il entendait les pas de la jeune femme s'éloigner. Ses doigts poursuivirent leur exploration jusqu'à l'endroit qu'il jugea approprié. Après avoir essuyé avec un chiffon une nervure du châssis, il y positionna son mouchard de géolocalisation et le fixa par un ruban adhésif noir. Une fois le dispositif en place, il laissa courir sa main gantée sur les baguettes latérales de la carrosserie jusqu'à la poignée, côté conducteur. Un battant de porte claqua. L'éclairage de secours grésilla. Eddy serra la poignée en grimaçant. Puis il porta son autre main à son cou et ferma les yeux. Le désir montait en lui, douloureux tant il était puissant, incontrôlable, insatiable...

« — Je pensais êtrelaseule àavoir faim ! Il allongea lebras pour atteindre sonMP3, etfitdéfiler destitres dechansons avantdepresser la touche « lecture ».

It Could Happen toYou, de Diana Krall.Yvan reposa leboîtier ets’adossa au canapé, leverre àla main.

Enface delui, Marion rencontrait desdifficultés avecsagarniture depizza. Elle renonça àdécouper uneportion defromage fonduetl’avala stoïquement, enveillant àne pas le laisser filersurson menton.

Puisellerepoussa l’assietteencarton etadopta lamême position qu’Yvan, jambes allongées, nuqueinclinée contrel’assise ducanapé.

DianaKrallfaisait sonshow.

Yvan ronronnait presque.Toutallait pourlemieux danslemeilleur desmondes. — Tu croisqu’on yarrivera ? ditsoudain Marion. — Tu endoutes ? Elle fitnon delatête avant dedéclarer : — Et sion met lamain suruntrésor, destoiles demaîtres oujene sais quoi d’autre, onengardera un peu pour nous… Une enfant. — On negarde paspour soides découvertes pareilles,Marion.Çaintéresse d’abordla communauté scientifique,etforcément lesautorités.

Etpuis, ceserait tropdangereux. — Dangereux ? — Tu n’aspasidée desconvoitises quesuscitent certaines œuvresd’art.Jesuis bien placé, hélas, pour savoir lesdrames qu’elles peuvent engendrer.

Etce après quoinous courons s’annonce trop sérieux pourquenous agissions sansprécautions. Une expression àla fois triste etdésabusée apparutsurson visage.

MaisMarion n’eutpasletemps de s’y arrêter.

Lespremières notesde Isn’t This aLovely Day ? la frôlaient deleurs ailes.

Elle frissonna.

Yvans’était relevé pourdébarrasser latable.

L’heure étaitvenue deseremettre autravail. Marion pritses affaires.

Elledisposa chacundescroquis, plansetfeuilles qu’ilsavaient crayonnés dans la journée.

Ilspassèrent enrevue l’ensemble deshypothèses etdes analyses formulées depuisledébut. Marion fitune pause pourconsulter unouvrage danslabibliothèque.

Effleurantdesdoigts lestranches dorées deslivres lesplus anciens, elles’émerveilla devantcertains volumes raresetse demanda d’où Yvan lestenait. — Fais attention àcelui-ci, ilne m’appartient pas.Unami conservateur aeu lagentillesse dele sortir deses archives pourmesbesoins personnels, maisc’estcontraire àson règlement. — Voilà lesecret devos savants commentaires, monsieurSauvage, luisouffla-t-elle àl’oreille. Diane Krallavait enchaîné sur Come Dance WithMe.

Yvan traçadenouvelles lignessurune carte deFrance qu’ilvenait d’imprimer, puisduttravailler sur plusieurs autres,toujours plusdétaillées, entrelarégion parisienne etlaville deReims.

Marioncreusait de son côté, explorant dessites webetles ouvrages àsa disposition.

Labouteille devin aux trois quarts vide netrouvait plusd’amateur.

Lesyeux deMarion commençaient àpapillonner.

Elleregarda l’heure : une heure dix-sept.

DianaKralls’était tuedepuis longtemps, sansquepersonne n’yaitprêté attention. Marion seleva etrangea sonsac. — Je croisquej’enaiassez faitpour aujourd’hui. Yvan pointa dubout desarègle uneville qu’il avait entourée sursadernière carte.Marion pencha la tête. — C’est àmi-chemin entreReims etParis, sije ne m’abuse, dit-elle. — Précisément, toujourscettenotion demilieu. Il la raccompagna jusqu’àlaporte.

Cefutelle quiprit l’initiative.

Elleeffleura sajoue delamain et déposa unpremier baisersurses lèvres, avantdeles goûter avidement, puis,sansunmot, elles’éclipsa dans l’escalier.

Yvanreferma laporte, sedemandant s’ilsavaient réellement échangécebaiser ousi l’alcool etlafatigue avaient trompésessens.

Ilflottait littéralement.

Soulagé,peut-être.

Déconcerté, sûrement.

Ils’approcha delafenêtre.

Lacarrosserie sombredelaBMW s’engageait aumilieu delarue. C’est àpeine s’ilremarqua qu’uneautrevoiture avaitprisson sillage.   Marion sesentait légèrement grisemaiscalme, etpour lapremière foisdesavie enpaix avec elle- même.

Cebaiser l’avaitdélivrée d’unsort.

Labelle endormie.

Ellesourit.

Yvann’était pasleprince des contes, maisilétait charmant, etpresque malgrélui.Elle enclenchait lesvitesses avecdouceur etroulait dans Paris lavéparlapluie.

Ellefranchit laSeine, remonta l’avenue Winston-Churchill, jetantunœil sur les ombres duPetit Palais, sanss’inquiéter desphares quiscintillaient danssonrétroviseur.

Ellealluma la radio ettomba surunconcerto deChopin.

Voilàquedeslarmes luivenaient.

Elleessuya ses paupières.

C’étaitidiot.Unfeu passa aurouge.

Ellesemit aupoint mort.

Soudain, l’émotion la submergea.

Cettefois,d’irrépressibles sanglotsl’emportèrent.

Derrièreelle,onseretint deklaxonner. Elle démarra lentement etprit des rues étroites, laissantcouriralternativement surson visage lalueur orangée deslampadaires etde furtives ténèbres.

Uninstant, ellecrut toucher aufond d’elle-même, làoù se tenaient tapissesfantômes.

Mais,cesoir-là, ellen’yrencontra qu’unsoupir quiavait leparfum du bonheur.

Portéeparlamusique deChopin, sonâme s’était miseàdanser.. »

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