Socrate par Victor Goldschmidt Maître de Conférences à la Faculté des Lettres de Rennes Cicéron, lorsqu'il veut rendre hommage à Platon, l'appelle magnifiquement " le prince des philosophes " ; de Socrate, il dit plus simplement qu'il est " le père de la philosophie ".
Publié le 05/04/2015
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Socrate par Victor Goldschmidt Maître de Conférences à la Faculté des Lettres de Rennes Cicéron, lorsqu'il veut rendre hommage à Platon, l'appelle magnifiquement " le prince des philosophes " ; de Socrate, il dit plus simplement qu'il est " le père de la philosophie ". Cette double appréciation se vérifie bien au-delà de Cicéron. A la rigueur, on pourrait écrire l'histoire de la pensée antique, sans jamais prononcer le nom de Platon : il y manquerait sans doute le compétiteur le plus éminent, mais nullement le moteur essentiel, dès lors qu'on aurait conservé Socrate. Plus tard, il n'en va plus de même, et c'est avec saint Augustin déjà que commence cette " tradition philosophique de l'Europe " dont Whitehead a pu dire qu'elle consistait " dans une série d'annotations à Platon ". En revanche, l'influence de Socrate ne se manifeste que sporadiquement et, le plus souvent, dans un contexte qui n'est pas proprement philosophique, au sens où l'entend cette " tradition ". Elle apparaît, d'une part, chez les théoriciens politiques et sociaux. Après Voltaire, Condorcet interprète la mort de Socrate comme " le premier crime qui ait signalé cette guerre de la philosophie et de la superstition ; guerre, ajoute-t-il, qui dure encore parmi nous, comme celle de la même philosophie contre les oppresseurs de l'humanité ". D'autre part, c'est volontiers sous le patronage de Socrate qu'on rattache la philosophie à ce qui n'est pas elle, la religion ou la vie. Le portrait du " Socrate chrétien ", gage et modèle d'une anima naturaliter christiana, se transmet continûment de Justin à Guez de Balzac, en passant par Érasme. On sait, enfin, combien les deux précurseurs des philosophies contemporaines de l'existence ont médité sur Socrate. Peu importe que Nietzsche ait fini par le chasser de cette " république des génies " ou il l'avait d'abord reçu comme le dernier grand citoyen : il ne lui doit guère moins que Kierkegaard. Il y a là un renversement dont le mot de Whitehead, dans la précision même de sa métaphore, peut fournir une explication. Pour faire des annotations, il faut un texte. Or, en face des Dialogues de Platon, le non-savoir de Socrate, moins dogmatique en cela que les gros traités de certains sceptiques, ne s'est jamais exprimé par écrit. Aussi bien, les philosophes, dont Platon est le prince, sont-ils des écrivains, c'est-à-dire, dans le sens le plus large, des contemplatifs : contemplata aliis tradere. Mais les époques où Socrate se révèle comme le père de la philosophie sont généralement celles où la pensée pure commence à douter d'elle-même. Longtemps engourdie dans la certitude des manuels et exténuée dans la virtuosité et le savoir-faire, elle se met à répudier la scolastique et l'académisme sous toutes ses formes. C'est alors qu'elle se souvient du doute de Socrate et de sa vie : ces seuls enseignements que les témoignages nous aient transmis fidèlement. Cette opposition est correcte dans l'ensemble et en première approche. Elle n'est sans doute pas définitive. Car le platonisme même consiste déjà, et comme de son propre aveu, dans une série d'annotations au message socratique. A ce compte, le prince des philosophes est lui-même fils de celui qui fut le père de la philosophie. C'est un sujet digne de réflexion, qu'un message non-écrit, dont l'érudition de deux siècles désespère de restituer la teneur exacte, ait pu susciter, de loin en loin, et ressusciter la méditation philosophique. Et, tout d'abord, il faut à la fois comprendre et admirer ce fait même qu'un philosophe renonce à confier sa pensée à l'écriture. Pour les Anciens, le texte écrit est seulement la reproduction, sous une forme figée et imparfaite, du texte parlé. Simple instrument mnémonique, il n'a pas encore en lui-même sa fin propre et on le juge de beaucoup inférieur à la parole vivante. Aussi bien l'exemple de Socrate n'est-il pas isolé. Pyrrhon n'a jamais écrit, pas plus qu'Arcésilas ou Carnéade. Les Entretiens d'Epictète ne nous sont parvenus que grâce au dévouement d'un auditeur qui en prenait des copies sténographiques, et Plotin s'est longtemps désintéressé, non seulement de la publication, mais même de la rédaction de ses cours. Il n'en est pas moins vrai que, depuis au moins Anaximandre, les philosophes recourent à la publication et qu'au Ve siècle le commerce des livres est fort bien organisé à Athènes. A cet égard, l'attitude de Socrate s'oppose très consciemment à la pratique des auteurs du jour, tels que les sophistes ou Anaxagore. Elle est encore plus étonnante pour un auteur moderne. Nous savons sans doute que la confection d'un livre requiert certaines conditions, comme la réflexion, l'expérience et, peut-être, l'enseignement. Sans doute aussi serait-il cruel de généraliser cette phrase de Nietzsche qu...
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