Devoir de Philosophie

Situation de la philosophie à la fin du XXe siècle Un entretien avec Jacques Bouveresse, professeur au Collège de France, réalisé par Henri Salha Pensez-vous que la manière de pratiquer la philosophie a changé au XXe siècle ?

Publié le 05/04/2015

Extrait du document

philosophie
Situation de la philosophie à la fin du XXe siècle Un entretien avec Jacques Bouveresse, professeur au Collège de France, réalisé par Henri Salha Pensez-vous que la manière de pratiquer la philosophie a changé au XXe siècle ? Comment la caractériseriez-vous ? C'est assez difficile de parler d'une manière dont la philosophie a changé au XXe siècle, car il y en a probablement plusieurs. Il y a de plus quelque chose d'un peu artificiel dans le fait même de parler d'une philosophie du XXe siècle ; il n'y a pas tellement de raison que deux phases de la philosophie clairement déterminables se soient succédé exactement au changement du siècle ; 1900 est la date de la mort de Nietzsche ; Nietzsche appartient-il au XIXe ou au XXe siècle ? Cependant, il est évident qu'il y a eu des changements dans le style et dans le contenu de la philosophie. Il se trouve que je me suis intéressé à un changement particulier, qui est l'avènement de la logique nouvelle. Je crois qu'il s'agit là en effet d'un des événements qui ont entraîné des changements d'importance dans la façon même de pratiquer la philosophie. De quand date-t-on l'avènement de la nouvelle logique " formelle " ? On la fait commencer officiellement avec Frege, car c'est à ce moment que le changement est vraiment devenu apparent ; mais il y a de bonnes raisons de dire que le véritable père de la logique moderne est Bolzano, ou même Leibniz. Mais ni Leibniz (au moins dans ses travaux logiques) ni Bolzano n'ont exercé d'influence notable immédiate (l'influence de la logique sur la philosophie a été considérablement retardée du fait que ces deux " grands " de l'histoire de la logique, pour des raisons différentes, n'ont pas exercé d'influence notable). On a donc l'habitude de faire commencer les choses avec Frege, c'est-à-dire dans le dernier quart du XIXe siècle ; par exemple, le premier volume des Grundgesätze der Arithmetik a été publié en 1893, le deuxième en 1903, donc exactement au tournant du siècle. Et cela correspond effectivement à la fois à ce qu'on peut appeler une révolution logique et une révolution dans l'utilisation qu'on faisait alors de la logique en philosophie. C'est d'abord un instrument nouveau, qui donne aux gens l'impression de comporter des possibilités tout à fait extraordinaires : Russell dit de la logique classique qu'elle était un instrument incroyablement pauvre et même rudimentaire ; c'est une grande injustice vis-à-vis des logiciens aristotéliciens et scolastiques, mais c'est en tous cas le sentiment qu'ont les gens à ce moment, qu'on a réussi à mettre au point un instrument tout à fait nouveau. Simultanément, il y a une tendance chez certains à décréter que la logique est la méthode de la philosophie, voire même parfois à dire que la philosophie, c'est désormais la logique. Vous faites ici allusion à la tradition analytique. Accepteriez-vous l'idée d'un dualisme propre au XXe siècle, opposant cette tradition analytique, majoritaire dans les pays anglo-saxons, à une tradition " phénoménologique " au sens large, majoritaire en Europe continentale, qui se caractériserait notamment par son dédain, voire son rejet de la nouvelle logique ? Oui ; si on considère les choses de manière un peu superficielle, il y a une opposition assez massive que l'on peut caractériser ainsi. On peut dire que la philosophie continentale à partir de l'époque dont nous parlons, va être dominée par la phénoménologie, bien qu'il y ait quantité d'autres mouvements qu'il faudrait situer par rapport à cela, comme l'herméneutique, l'existentialisme... On parle souvent, pour caractériser la philosophie continentale, de tradition phénoménologico-herméneutique, ce qui est peut-être un peu plus satisfaisant. Il y a donc cette opposition, qui est devenue très apparente, et même parfois très virulente, entre d'une part l'héritage de la phénoménologie et d'autre part ce que l'on appelle la philosophie analytique, et qui est finalement une entité assez difficile à caractériser de manière satisfaisante. On a tenté toutes sortes de définitions ; dès qu'on regarde les choses d'un peu près, on s'aperçoit qu'elles finissent toutes par boiter plus ou moins. Dummett a proposé une définition qui permet tout de même de se faire une idée de la différence d'approche qu'il y a entre philosophie analytique et philosophie phénoménologique ; cela concerne la position respective que doivent occuper dans l'édifice philosophique, la philosophie du langage et la philosophie de l'esprit : la philosophie analytique considère comme un axiome le fait que ce qui doit être premier n'est pas l'analyse de la pensée, pratiquée de manière directe, mais l'analyse du langage ; l'analyse de la pensée doit se faire par l'intermédiaire de l'analyse des expressions linguistiques qui servent à l'exprimer. Du côté phénoménologique, se trouve la conviction qu'on peut aborder le mental de manière beaucoup plus directe. Aujourd'hui la situation s'est inversée, du fait du " tournant cognitiviste ", et ce serait la philosophie de l'esprit plutôt que la philosophie du langage qui occuperait à nouveau la position fondamentale. De ce fait on assiste à un retour en force de la phénoménologie, et il y a dans certains cas des tentatives de coopération explicites et directes entre les cognitivistes et les phénoménologues. Cela est une façon très schématique de présenter les choses, mais je crois qu'elle comporte une part de vérité : il y a du côté des philosophes analytiques une attention beaucoup plus grande portée au langage lui-même. Gadamer dit qu'à partir d'un certain moment l'herméneutique a été pratiquée " selon le fil conducteur du langage ", plutôt que directement en référence à des entités ou des phénomènes ou des processus de nature mentale. Aux origines de la philosophie analytique s'est produit ce que Quine appelle le " phénomène d'extériorisation de l'empirisme " : tout ce qui était supposé être dans l'esprit, comme les significations, a été " extériorisé " et on a cherché à remplacer l'analyse directe de ces entités un peu problématiques par l'analyse de choses plus concrètes, plus " tangibles ", c'est-à-dire des expressions linguistiques qui les représentent (on peut penser que cette conversion qu'a effectué la philosophie analytique n'a pas du tout été effectuée, ou en tous cas, pas suffisamment, par la phénoménologie, qui en est restée à une idée beaucoup plus traditionnelle de ce que doit être l'approche de choses comme les significations, ou les entités mentales en général). Peut-on situer le moment exact de cette divergence, et éventuellement son lieu ? L'Autriche de la fin du siècle dernier comptait parmi ses philosophes à la fois Brentano et Wittgenstein... Il y a en effet une chose qu'on découvre de plus en plus, c'est que cette opposition tranchée entre philosophie analytique et philosophie continentale, est une opposition beaucoup plus récente qu'on ne l'a généralement cru. Elle date pour l'essentiel d'après la Deuxième Guerre mondiale. Si notre attention se porte à la période que vous évoquez, on constate des similitudes, des relations étroites entre la philosophie analytique naissante, c'est-à-dire ce que font des personnes comme Russell et Moore à Cambridge, et ce que font des philosophes comme Brentano et ses élèves. Il y a donc à l'origine de ces deux courants qui ont divergé par la suite de manière si importante une tradition qu'on pourrait appeler " autrichienne " bien que cela ne soit pas une tradition réellement nationale, et que souvent ses grands représentants ne soient pas autrichiens... A l'origine de cette tradition se trouve encore une fois Bolzano, bien qu'il n'ait pas immédiatement exercé d'influence. C'est véritablement avec Brentano et ses élèves que s'est constituée une tradition, et que l'on a vu naître un mouvement qui a conquis très rapidement des positions très importantes dans toutes les universités autrichiennes et ailleurs. Il est certain qu'il n'existe alors rien de l'opposition virulente que l'on voit se manifester aujourd'hui. Les préoccupations des gens sont très proches les unes des autres, les problèmes sont souvent les mêmes, les méthodes utilisées ou les styles philosophiques sont beaucoup moins divergents qu'ils ne le sont devenus par la suite. Par conséquent, on peut répondre par l'affirmative à la question d'une origine commune entre les deux mouvements, et on pourrait la situer dans ce que l'on appellera avec beaucoup de précautions la " tradition philosophique autrichienne "...Mais y a-t-il eu des contacts réels entre la " psychologie descriptive " de Brentano et la nouvelle logique ? Les (grands représentants de la " psychologie descriptive " se sont dans l'ensemble peu intéressés à la nouvelle logique et ont été peu concernés par elle, si on regarde des gens comme Stumpf, Meinong, Brentano - bien sûr Brentano a une logique, une philosophie de la logique, et une théorie du jugement qui est tout à fait originale, mais aussi intéressante que puisse être la logique de Brentano, elle reste à peu près complètement à l'écart de ce que nous appelions tout à l'heure la " révolution logique ". C'est la même chose avec Husserl : Husserl a eu des contacts assez étroits avec l'école de Hilbert, dont il a fréquenté le séminaire. Donc en philosophie des mathématiques il s'est intéressé à ce qu'on appelle le formalisme, mais il n'a pas subi d'influence réelle exercée par la tradition logiciste : Frege, Russell et le premier Wittgenstein. Il y a semble-t-il une coupure qui s'est produite, et qu'il faut rattacher à la fameuse critique du psychologisme, telle qu'elle a été formulée par Frege et par Husserl, si bien qu'il n'y a pas eu par la suite beaucoup de gens qui se soient intéressés à la fois à la logique et à la psychologie. Des gens ont continué à s'illustrer dans la grande tradition de la psychologie, d'autres ont révolutionné la logique, mais entre ces deux tendances on ne voit pas de contact direct. Cela se voit dans l'attitude des gens du Cercle d...
philosophie

« Un entretien avec Jacques Bouveresse, professeur au Collège de France, réalisé par Henri Salha. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles