Pierre Marivaux par Claude Roy Rien n'est plus mince que le fil d'un rasoir, rien ne tranche moins (si on en voit seulement l'épaisseur) sur ce qui entoure.
Publié le 05/04/2015
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Pierre Marivaux par Claude Roy Rien n'est plus mince que le fil d'un rasoir, rien ne tranche moins (si on en voit seulement l'épaisseur) sur ce qui entoure. Rien n'est cependant plus fort, ni plus tranchant. Ainsi de l'oeuvre de Marivaux. Elle semble mince, à qui voit mal ; elle semble se confondre avec ce qui l'entoure, à qui est myope. Marivaux paraît avoir si bien la couleur de son temps, qu'on l'en distingue à peine. Il brille si gracieusement, que l'on s'aperçoit malaisément de ce qu'il a de redoutable. On se sert de son théâtre pour inventer un mot : le marivaudage, qu'on en vient à confondre avec le vrai génie de Marivaux. On finit par croire que ses pièces sont de bijouteries, que leur fini est un peu court, leur poli de seule politesse, leur élégance un peu vaine, leur précision comme futile. Ce théâtre sans un grand mot, on s'abuse jusqu'à y voir un théâtre sans grande substance. Ces personnages bien élevés qui sortent du salon pour entrer sur la scène, qui ont l'air de danser un ballet courtois, réglé avec toutes les précautions du goût et toutes les ressources de la finesse, qui préfèrent sourire plutôt que de hurler, dont les chagrins badinent et dont les désespoirs tracent des arabesques vives et maigres, ces personnages qui ont trop l'air de n'être que des personnages, deux siècles hésitent, jusqu'à nous, à les prendre au sérieux. Peut-on croire qu'Arlequin souffre, que Silvia pleure, que ces marionnettes italiennes se soutiennent par d'autres ressorts que les fils ingénieux dont le montreur feint de tenir le bout ? Il faudra longtemps pour que Marivaux échappe à sa légende et que la vraie lumière de son oeuvre se lève enfin. Il n'y a rien dans sa vie même qui puisse aider à le mieux découvrir. De sa naissance à sa mort, Marivaux est de si bonne compagnie qu'il n'en accepte quasiment aucune ; il ne livre de lui-même rien, ou presque. Il est plus facile d'écrire la biographie de Marianne ou de Lelio, du Paysan parvenu ou d'Arlequin, que celle de Pierre Carlet Chamblain de Marivaux. On lui suppose des amours, on lui prête des passions, on lui imagine des soucis. Mais il ne donne prise ni au romanesque, ni même à la curiosité. On ne s'aperçoit presque pas qu'un homme ne dit mot, quand il écoute attentivement, écrit-il quelque part. Il semble que sa vie se soit passée à écouter attentivement. On s'est à peine aperçu qu'il était là. Il a fait de la littérature sa vie. Normand, comme Corneille, il n'a pas un destin plus héroïque que celui de l'auteur du Cid. Il a de la fortune, il la perd. Il se marie, sa femme meurt. Il a une fille, et c'est le seul personnage de Marivaux qui semble n'avoir jamais marivaudé, puisqu'elle entre au couvent. Il a une interprète, Silvia, on suggère qu'il dut en être amoureux. Il aurait bien eu raison, mais nous n'en savons rien. Il fut de l'Académie, comme d'autres aussi, moins estimables. Il meurt, laissant trente-deux pièces de théâtre, six romans, et d'innomb...
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