Matière et Mémoire Henri Bergson Extrait traitant des deux mémoires J'étudie une leçon, et pour l'apprendre par coeur je la lis d'abord en scandant chaque vers ; je la répète ensuite un certain nombre de fois.
Publié le 05/04/2015
Extrait du document
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pour essence de porter une date, et de ne pouvoir par conséquent se répéter.
Tout ce
que les lectures ultérieures y ajouteraient ne ferait qu'en altérer la nature originelle ; et si
mon effort pour évoquer cette image devient de plus en plus facile à mesure que je le
répète plus souvent, l'image même, envisagée en soi, était nécessairement d'abord ce
qu'elle sera toujours.
Dira-t-on que ces deux souvenirs, celui de la lecture et celui de la leçon, diffèrent
seulement du plus au moins, que les images successivement développées par chaque
lecture se recouvrent entre elles, et que la leçon une fois apprise n'est que l'image
composite résultant de la superposition de toutes les autres ? Il est incontestable que
chacune des lectures successives diffère surtout de la précédente en ce que la leçon y est
mieux sue.
Mais il est certain aussi que chacune d'elles, envisagée comme une lecture
toujours renouvelée et non comme une leçon de mieux en mieux apprise, se suffit
absolument à elle-même, subsiste telle qu'elle s'est produite, et constitue avec toutes les
perceptions concomitantes un moment irréductible de mon histoire.
On peut même
aller plus loin, et dire que la conscience nous révèle entre ces deux genres de souvenir
une différence profonde ; une différence de nature.
Le souvenir de telle lecture
déterminée est une représentation, et une représentation seulement ; il tient dans une
intuition de l'esprit que je puis, à mon gré, allonger ou raccourcir ; je lui assigne une
durée arbitraire ; rien ne m'empêche de l'embrasser tout d'un coup, comme dans un
tableau.
Au contraire, le souvenir de la leçon apprise, même quand je me borne à
répéter cette leçon intérieurement, exige un temps bien déterminé, le même qu'il faut
pour développer un à un, ne fut-ce qu'en imagination, tous les mouvements
d'articulation nécessaire : ce n'est donc plus une représentation, c'est une action.
Et, de
fait, la leçon une fois apprise ne porte aucune marque sur elle qui trahisse ses origines
et la classe dans le passé, elle fait partie de mon présent au même titre que mon
habitude de marcher ou d'écrire : elle est vécue, elle est “ agie ”, plutôt qu'elle n'est
représentée ; — je pourrais la croire innée, s'il ne me plaisait d'évoquer en même temps,
comme autant de représentations, les lectures successives qui m'ont servi à l'apprendre..
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