Maine de Biran par Georges Le Roy Professeur à la Faculté des Lettres de Dijon Pour qui s'arrêterait aux apparences, Maine de Biran ne ferait pas figure de philosophe.
Publié le 05/04/2015
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Maine de Biran par Georges Le Roy Professeur à la Faculté des Lettres de Dijon Pour qui s'arrêterait aux apparences, Maine de Biran ne ferait pas figure de philosophe. L'existence qu'il a menée - vue du dehors et réduite aux événements extérieurs les plus notables - est celle d'un fonctionnaire et d'un homme politique. Né à Bergerac en 1766, il songea d'abord à une carrière militaire, mais la Révolution le fit renoncer assez vite à de simples projets de jeunesse ; il devint, sous le Directoire, administrateur adjoint du département de la Dordogne, puis membre du Conseil des Cinq-Cents ; en 1798, les circonstances l'obligèrent pendant quelque temps à une sorte de demi-retraite, qu'il décida de passer, près de Bergerac, dans sa propriété de Grateloup ; mais, à partir de 1805, il reprit une vie active et, sauf quelques interruptions momentanées, il ne cessa d'exercer des fonctions politiques ; malgré ses sentiments royalistes et son opposition à l'Empire, il fut successivement conseiller de préfecture, sous-préfet de Bergerac et membre du Corps législatif ; sous la Restauration, et jusqu'à sa mort en 1824, on le vit député, questeur à la Chambre et conseiller d'État. Les hasards de la vie n'ont toujours tendu, semble-t-il, qu'à l'éloigner de la philosophie. Rien, à première vue, ne parait donc annoncer chez lui le goût de l'analyse intérieure et de la réflexion. Pour qui regarde cependant au-delà des apparences, Maine de Biran est un philosophe, et l'un des plus grands. Sans doute n'a-t-il publié lui-même que quelques études - au total peu nombreuses et assez minces - sur des sujets qui peuvent paraître d'importance secondaire : un mémoire qui traite de l'Influence de l'habitude sur la faculté de penser, en 1803 ; un bref opuscule, Examen des Leçons de philosophie de M. Laromiguière, en 1817 ; enfin un article de dictionnaire, pour la Biographie universelle de Michaud, Exposition de la doctrine philosophique de Leibniz, en 1819. Mais, à ses heures de loisir, en dehors des occupations qui tendaient à le distraire, il a poursuivi, par la méditation et la lecture, une inlassable analyse intérieure. Certaines questions, mises au concours par quelques grands corps savants - Institut de France, Académie de Berlin, Société royale de Copenhague - l'ont conduit par ailleurs à rédiger une série d'ouvrages. Le Mémoire sur la décomposition de la pensée, en 1804, l'Essai sur les fondements de la psychologie et les Rapports des sciences naturelles avec la psychologie, vers 1812-1813, les Nouveaux essais d'anthropologie enfin, interrompus par la mort en 1824, constituent à cet égard l'expression la plus nette d'une pensée toujours en éveil. Au reste, une foule d'études plus ou moins longues, de remarques ou d'esquisses relatives à quelque problème particulier, de notes rédigées à la suite de conversations ou de lectures, bref une masse impressionnante de travaux, où les mêmes observations se trouvent perpétuellement reprises, ont constamment accompagné les grands mémoires, dont ils forment une sorte de commentaire. A quoi vient s'ajouter encore un Journal intime, où de 1814 à sa mort Maine de Biran n'a cessé de s'observer et de s'interroger, faisant état sans relâche de ses sentiments, de ses aspirations et de ses idées, afin de se mieux connaître, mais dégageant aussi par delà son cas individuel les problèmes d'un intérêt plus général auxquels venait se heurter sa réflexion. Maine de Biran se révèle alors dans toute sa grandeur et se place au premier rang des métaphysiciens français. Ce qui a peu à peu conduit Maine de Biran vers la philosophie, c'est moins le désir de trouver une solution à quelque problème de spéculation pure, que le souci d'apaiser une inquiétude sur le plan de la vie pratique et de l'action. En lui s'opposaient par nature deux puissances contraires : celle des impressions sensibles, dont il ne pouvait jamais se déprendre et dont, à toute heure, il se sentait irrémédiablement l'esclave ; celle des aspirations volontaires, qui trop facilement tournaient court et se révélaient sans force pour commander aux sens. Dès qu'il se regarde vivre, Maine de Biran se voit le jouet de toutes sortes d'impressions fugitives qui l'assaillent et le font passer malgré lui par les états les plus divers. " Ainsi cette malheureuse existence n'est qu'une suite de moments hétérogènes, qui n'ont aucune stabilité. Ils vont flottant, fuyant rapidement, sans qu'il soit jamais en notre pouvoir de les fixer. Tout influe sur nous, et nous changeons sans cesse avec ce qui nous environne. Je m'amuse souvent à voir couler les diverses situations de mon âme ; elles sont comme les flots d'une rivière, tantôt calmes, tantôt agités, mais toujours se succédant sans aucune permanence. " Il avoue d'autre part son impuissance et constate que tout effort pour se ressaisir est vain. " Ma volonté n'exerce aucun pouvoir sur mon état moral ; elle approuve ou elle blâme, elle adopte ou elle rejette ; elle se complaît ou elle se déplaît ; elle se livre ou elle fuit tels ou tels sentiments donnés, mais jamais elle ne les procure, jamais elle ne les écarte. Qu'est-ce donc que cette activité prétendue de l'âme ? Je sens toujours son état déterminé par tel ou tel état du corps. Toujours remuée au gré des impressions du dehors, elle est affaissée ou élevée, triste ou joyeuse, calme ou agitée selon la température de l'air, selon une bonne ou mauvaise digestion. Je voudrais, si jamais je pouvais entreprendre quelque chose de suivi, rechercher jusqu'à quel point l'âme est active, jusqu'à quel point elle peut modifier les impressions extérieures, augmenter ou diminuer leur intensité par l'attention qu'elle leur donne ; examiner jusqu'où elle est maîtresse de cette attention. Cet examen devrait, ce me semble, précéder un bon traité de morale. " Il n'aspire, dans ces conditions, qu'à pouvoir mettre un terme au conflit dont il souffre. Il ne cherche pas à faire naître en lui quelque vertu surnaturelle, mais rêve seulement d'établir au plus intime de sa conscience un équilibre aussi parfait et aussi durable que possible. Le problème ainsi posé implique à la fois une doctrine et une méthode, assez simples peut-être l'une et l'autre, mais directement inspirées d'une réflexion sur la vie. La doctrine, explicitement formulée, assure que l'homme est double, homo duplex : d'un côté, il est passif, lorsque toutes sortes d'impressions l'accablent et l...
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