L'Orient et la philosophie par Maurice Merleau-Ponty Professeur au Collège de France Cette immense littérature pensante, qui exigerait à elle seule un volume, fait-elle vraiment partie de la " philosophie " ?
Publié le 05/04/2015
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L'Orient et la philosophie par Maurice Merleau-Ponty Professeur au Collège de France Cette immense littérature pensante, qui exigerait à elle seule un volume, fait-elle vraiment partie de la " philosophie " ? Est-il possible de la confronter avec ce que l'Occident a appelé de ce nom ? La vérité n'y est pas comprise comme l'horizon d'une série indéfinie de recherches, ni comme conquête et possession intellectuelle de l'être. C'est plutôt un trésor épars dans la vie humaine avant toute philosophie, et indivis entre les doctrines. La pensée ne se sent pas chargée de pousser plus loin les tentatives anciennes, ni même d'opter entre elles, et encore moins de les dépasser vraiment en formant une nouvelle idée de l'ensemble. Elle se donne comme commentaire et syncrétisme, écho et conciliation. L'ancien et le nouveau, les doctrines opposées font bloc, et le lecteur profane ne voit pas qu'il y ait là de l'acquis ni du révolu ; il se sent dans un monde magique où rien n'est jamais fini, où les pensées mortes persistent, et où celles qu'on croyait incompatibles se mélangent. Certes, il faut ici faire la part de notre ignorance : si nous voyions la pensée occidentale aussi cavalièrement et d'aussi loin que celle de l'Inde et de la Chine, peut-être nous donnerait-elle aussi l'impression d'un ressassement, d'une éternelle réinterprétation, d'une trahison hypocrite, d'un changement involontaire et qui ne se dirige pas. Pourtant, ce sentiment à l'égard de l'Orient persiste chez des connaisseurs. Masson Oursel disait de l'Inde : " Nous avons affaire ici à un monde immense, sans unité aucune, où rien n'apparaît à quelque moment d'une façon tout à fait neuve, où rien qu'on croirait " dépassé " non plus ne s'abolit, chaos de groupes humains, jungle inextricable de religions disparates, pullulement de doctrines. " Un auteur chinois contemporain écrit : " Dans certains écrits philosophiques, tels que ceux de Mencius ou de Siun-Tseu, on trouve un raisonnement et des arguments systématiques. Mais, comparés aux écrits philosophiques de l'Occident, ils ne sont pas encore assez articulés. C'est un fait que les philosophes chinois avaient l'habitude de s'exprimer sous forme d'aphorismes, d'apophtegmes ou d'allusions et d'apologues... Les paroles et les écrits des philosophes chinois sont si inarticulés que leur puissance de suggestion est sans limites... Les brèves sentences des Entretiens de Confucius et de la philosophie du Lao-Tseu ne sont pas simplement des conclusions dont les prémisses sont perdues... On peut réunir toutes les idées contenues dans le Lao-Tseu et les noter dans un nouveau livre de cinq mille ou même de cinq cent mille mots. Qu'il soit bien ou mal fait, il s'agira d'un nouveau livre. On pourra le confronter page par page avec le Lao-Tseu original ; il aidera peut-être grandement à le comprendre, mais il ne pourra jamais le remplacer. Kouo-Siang... est un des grands commentateurs de Tchouang-Tseu. Son commentaire constitue lui-même un livre classique de la littérature taoïste. Il transcrivit les allusions et les métaphores de Tchouang-Tseu sous forme de raisonnements et d'arguments... Mais, entre le style suggestif de celui-ci et le style articulé du commentaire de Kouo-Siang, on peut se demander encore : quel est le meilleur ? Un moine de l'école bouddhiste Tch'an ou Zen d'une période postérieure dit un jour : " Tout le monde dit que Kouo-Siang a écrit un commentaire sur le Tchouang-Tseu ; moi, je voudrais dire que c'est Tchouang-Tseu qui a écrit un commentaire sur Kouo-Siang. " Certes, pendant les vingt derniers siècles de la philosophie occidentale, les thèmes chrétiens demeurent. Et peut-être, encore une fois, faut-il être dans une civilisation pour percevoir, sous l'apparence de la stagnation, le mouvement et l'histoire. Pourtant il est difficile de mettre en comparaison la durée du christianisme en Occident et celle du Confucianisme en Chine. Le christianisme qui persiste parmi nous n'est pas une philosophie ; c'est le récit et la méditati...
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