Li T'ai-po 701-762 Li T'ai-po, " le poète immortel ", vécut à l'époque T'ang, la plus féconde de l'histoire des lettres chinoises.
Publié le 05/04/2015
Extrait du document
«
Le nuage ressemble à sa robe.
Et la fleur à son visage.
Cette vie heureuse eut une fin pourtant.
On fit croire au souverain qu'un des poèmes de
son protégé contenait à l'adresse de Yang Kouei-fei des allusions méchantes.
Li T'ai-po fut
exilé.
Mais l'empereur ne le renvoya pas durement.
Il aimait trop son “ immortel poète ”,
et, avant son départ, le chargea de présents.
Li T'ai-po reprit alors ses habitudes
vagabondes, erra comme dans sa jeunesse en buvant et en chantant.
Vers la fin de sa vie il
se compromit encore.
Il fit partie, on ne sait pourquoi, d'une conspiration conduite par le
prince Li-lin, un de ses anciens amis de T'chang-ngan.
De nouveau, l'empereur n'eut pas le
courage d'être sévère.
Au lieu d'emprisonner le poète vieillissant, il lui pardonna.
Il finit
même par le rappeler à sa cour.
Li T'ai-po ne profita pas de cette faveur : ses forces
l'abandonnaient.
Il ne put entreprendre le voyage vers la capitale et mourut à Tang-t'ou en
762.
La légende lui donne une autre mort, celle du héros bachique et inspiré qu'il était devenu
dans l'imagination populaire.
Voguant sur un lac, par une nuit claire, le poète, ivre comme
toujours, se pencha pour embrasser le reflet de la lune sur l'eau, tomba par-dessus bord et
se noya.
Celui qui veut traduire un poème chinois est toujours arrêté par un problème désespérant.
Il pourrait, à la rigueur, essayer de transposer dans notre langue la signification des mots
et leur musique, mais comment donnerait-il ce qui est essentiel pour le lettré fils du ciel,
l'équivalent de leur écriture elle-même ? Il le devrait pourtant car, dans une œ uvre
classique, le dessin de chaque ligne est plus important que sa sonorité.
On sait que le
chinois possède un caractère différent pour chaque mot.
Ces petits idéogrammes, où
l'initié retrouve stylisées mais pleines de fraîcheur les formes de la nature, il en existe
plusieurs dizaine de milliers dans les gros dictionnaires.
Chacun a une histoire.
Son
étymologie est toujours ingénieuse et souvent d'une surprenante poésie, son invention
remonte aux premiers siècles de l'histoire de la Chine et cette origine lointaine le pare de
tout le prestige du passé.
Un poème est donc, à première vue, une suite de petits tableaux.
La manière dont le poète les a choisis touche avant tout le lecteur qui ne peut séparer, dans
son esprit, l'émotion visuelle des joies littéraires.
Devant un art aussi différent du nôtre,
comment ne laisserions-nous pas tomber les bras ? Comment ne donnerions-nous pas
raison à nos amis chinois qui trouvent nos traductions puériles ?
Pourtant la force de certains poètes est assez grande pour que, même traduites et trahies,
leurs œ uvres conservent beaucoup de vie.
Il en est ainsi de Shakespeare et, je crois, de Li
T'ai-po.
Ce qui leur confère à tous deux une beauté universelle, c'est un mélange de gravité
et de licence, de tristesse et d'appétit vigoureux de la vie.
Li T'ai-po possède d'éblouissants
dons de peintre.
Il les exerce, bien entendu, à la manière chinoise, dans de très courts
poèmes ouvragés avec minutie.
Mais il y enferme d'immenses paysages, les ciels que
balaient les grands vents, la grandeur du passé irrémédiablement perdue et la mélancolie
toujours renouvelée des hommes.
Avec le pessimisme du bouddhiste, il constate à chaque
vers combien peu durables sont les empires et vains nos espoirs.
Mais cette amertume de
son intelligence cède sans cesse devant les explosions de sa vitalité.
Il demande l'ivresse au
vin et à la nature tout entière.
Dans son œ uvre, ponctuée de courtes marques de désespoir,
nous allons d'un paysage admirable à un autre plus merveilleux encore..
»
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