LES ORIENTATIONS DE LA SOCIOLOGIE D'AUJOURD'HUI

« nommer ce que Mauss appelait un système d'échanges, et traitée, de ce fait et par analogie, selon les méthodes dela communication linguistique. « La méthode phonologique, dit Lévi-Strauss dans Anthropologie structurale (1958), se ramène à quatre démarchesfondamentales : en premier lieu, elle passe de l'étude des phénomènes linguistiques conscients à l'étude de leurinfrastructure inconsciente ; puis elle refuse de traiter les termes comme des entités indépendantes, prenant aucontraire pour base de son analyse les relations entre les termes ; elle introduit alors la notion de système, ellemontre des systèmes phonologiques concrets et met en évidence leur structure ; enfin elle vise à la découverte delois générales soit trouvées par induction, soit déduites logiquement, ce qui leur donne un caractère absolu.

» Appliquant cette méthode, Lévi-Strauss expose d'abord qu'elle exclut radicalement les explications des phénomènessociaux par le recours à l'histoire, à la causalité, à un inconscient collectif à la manière de Jung, à un Volkgeist ou àune idéologie quelconque.

Les phénomènes sociaux présents et observables dans le présent sont les seules données(elles correspondent aux phénomènes linguistiques conscients), et nous avons à analyser le système de leursrelations.

Ces systèmes, soumis à une sorte de superposition méthodique, laissent paraître une structure formellenon consciente, invariant que l'histoire et les lieux comblent de contenus variables, structure formelle qui donne unsens à ces contenus, lesquels lorsqu'ils sont considérés comme des termes absolus égarent à tout coup lechercheur. Dans Les structures élémentaires de la parenté (1949) Lévi-Strauss donne un échantillon remarquable de laméthode.

Le système de réglementation des mariages dans une société donnée correspond à une figuremathématique dont la forme se retrouve dans toutes les sociétés avec des dispositions variables.

Si l'on s'étaitplacé au niveau des rituels, de leur description ou même de leur classification, on eût laissé échapper cettestructure, qui est leur essence et leur sens. A travers ses autres ouvrages (Race et histoire 1952, Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss 1952, Tristestropiques 1955, Le totémisme d'aujourd'hui 1961, La pensée sauvage 1962, Le cru et le cuit 1964, Du miel auxcendres 1966) une vaste conception générale de la sociologie et de l'anthropologie se dégage.

Nous ne donneronsqu'un mince aperçu centré sur la notion d'inconscient et la critique de Freud. La société apparaît à l'auteur comme un univers de règles qui se heurte à la nature, laquelle est l'univers desinstincts et des besoins.

Un conflit permanent existe donc entre la société et la nature.

Prenons l'exemple le plusfondamental et le plus typique, celui du mariage : la nature cherche l'accouplement pur et simple, « accouplementque la société doit admettre puisqu'elle ne se perpétue qu'à ce prix ».

Mais « puisqu'il faut céder à la nature, il fautau moins que la société la démente en même temps qu'elle lui cède, et que le geste que la société accomplit vers lanature s'accompagne d'un geste qui la restreint ».

Ce sera l'interdiction de certains mariages. L'interdiction de l'inceste n'est donc pas, comme le croyait Freud, le tabou moral individuel lié au désir œdipien etl'interdisant, elle est le symbole même de la société, car « l'inceste, entendu au sens le plus large, consiste àobtenir par soi-même et pour soi-même au lieu d'obtenir par autrui et pour autrui ».

C'est l'égocentrisme sans loi nifrein qui est interdit en fait, et la règle sociale est essentiellement restriction de la nature. De même la filiation est de l'ordre de la nature, mais la société surimpose le principe unilinéaire.

De même encorel'appropriation pure et simple est de la nature, et la société impose la réciprocité des échanges.

La prohibition del'inceste résume et symbolise donc le passage de la nature à la culture et à la société. La reconstruction des origines sociales par Freud, qui soutient, dans Totem et tabou, que dans la horde primitive,les fils auraient tué le patriarche, est ainsi l'extrapolation mythologique d'un contenu actuel qui lui-même n'a pas desens au niveau de son contenu puisqu'il est déjà symbolique.

Une nouvelle définition de l'inconscient est proposéepar Lévi-Strauss : c'est la structure dynamique qui donne une forme (et un sens au niveau sociologique comme auniveau psychologique) aux contenus variables qui s'offrent à lui ; par là il est un invariant formel et non pas uneautre conscience. « De même que la structure de la langue reste inconnue de celui qui parle jusqu'à l'avènement d'une grammairescientifique, et que même alors elle continue à modeler le discours en dehors de la conscience du sujet, imposant àsa pensée des cadres conceptuels qui sont pris pour des catégories objectives », dit Lévi-Strauss (Anthropologiestructurale, p.

26) « de même la structure des faits historiques, celle des faits sociologiques et celle des contenusactuels de la conscience individuelle restent inconnues du témoin ou du sujet qui les vit, jusqu'à l'avènement d'unescience de ces données, connaissance qui découvre la subjectivité essentielle de ces contenus et dégage au delàd'eux, les structures à la fois objectives et inconscientes qui les modèlent constamment ».. »