Le Corbeau Traduit par Stéphane Mallarmé Edgar Allan Poe Une fois, par un
Publié le 05/04/2015
Extrait du document


«
Alors cet oiseau d'ébène induisant ma triste imagination au sourire, par le grave et
sévère décorum de la contenance qu'il eut : “ Quoique ta crête soit chenue et rase, non !
Dis-je, tu n'es pas, pour sûr, un poltron, spectral, lugubre et ancien Corbeau, errant loin
du rivage de Nuit — dis-moi quel est ton nom seigneurial au rivage plutonien de
Nuit.
” Le Corbeau dit : “ Jamais plus.
”
Je m'émerveillai fort d'entendre ce disgracieux volatile s'énoncer aussi clairement,
quoique sa réponse n'eût que peu de sens et peu d'à-propos ; car on ne peut s'empêcher
de convenir que nul homme vivant n'eut encore l'heur de voir un oiseau au-dessus de la
porte de sa chambre — un oiseau ou toute autre bête sur le buste sculpté au-dessus de
la porte de sa chambre -, avec un nom tel que : “ Jamais plus.
”
Mais le Corbeau perché solitairement sur ce buste placide, parla ce seul mot comme si
son âme, en ce seul mot, il la répandait.
Je ne proférai donc rien de plus ; il n'agita donc
pas de plume, jusqu'à ce que je fis à peine davantage que marmotter : “ D'autres amis
déjà ont pris leur vol, demain il me laissera comme mes espérances déjà ont pris leur
vol.
” Alors l'oiseau dit : “ Jamais plus.
”
Tressaillant au calme rompu par une réplique si bien parlée ; “ Sans doute, dis-je ce qu'il
profère est tout son fonds et son bagage, pris à quelque malheureux maître que
l'impitoyable Désastre suivit de près et de très près suivit jusqu'à ce que ses chansons
comportassent un unique refrain ; jusqu'à ce que les chants funèbres de son Espérance
comportassent le mélancolique refrain de “ Jamais — jamais plus.
”
Le Corbeau induisant toute ma triste âme encore au sourire, je roulai soudain un siège à
coussins en face de l'oiseau, et du buste, et de la porte ; et m'enfonçant dans le velours,
je me pris à enchaîner songerie à songerie, pesant à ce que cet augural oiseau de jadis, à
ce que ce sombre, disgracieux, sinistre, maigre, et augural oiseau de jadis signifiait en
croissant : “ Jamais plus.
”
Cela, je m'assis occupé à le conjecturer, mais n'adressant pas une syllabe à l'oiseau dont
les yeux de feu brûlaient, maintenant, au fond de mon sein ; cela et plus encore, je
m'assis pour le devine, ma tête reposant à l'aise sur la housse de velours des coussins
que dévorait la lumière de la lampe, housse violette de velours qu'Elle ne pressera plus,
ah ! jamais plus.
L'air, me sembla-t-il, devint alors que dense, parfumé selon un encensoir invisible
balancé par les Séraphins dont le pied, dans la chute tintait sur l'étoffe du parquet.
“ Misérable ! m'écriai-je, ton Dieu t'a prêté ; il t'a envoyé par ces anges le répit, le répit et
le népenthès dans ta mémoire de Lénore ! Bois ! oh ! bois ce bon népenthès et oublie
cette Lénore perdue ! ” Le Corbeau dit : “ Jamais plus.
”.
»
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