L'Angleterre par François Crouzet Professeur à la Sorbonne A la fin XVIe siècle, l'Angleterre, malgré les faits d'armes maritimes et l'éclat culturel du règne d'Elisabeth Ire, n'était qu'un petit royaume peu peuplé d'une Europe du Nord encore marginale.
Publié le 05/04/2015
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L'Angleterre par François Crouzet Professeur à la Sorbonne A la fin XVIe siècle, l'Angleterre, malgré les faits d'armes maritimes et l'éclat culturel du règne d'Elisabeth Ire, n'était qu'un petit royaume peu peuplé d'une Europe du Nord encore marginale. En dépit de son insularité et de certaines particularités dans ses structures, elle ne se différenciait pas nettement des pays voisins, et par exemple son Parlement était-il si différent des Assemblées d'États que toléraient encore les monarchies continentales ? Pendant une grande partie du XVIIe siècle, son originalité ne s'est pas sensiblement accentuée. Certes, l'Angleterre a connu une révolution qui a décapité judiciairement un monarque oint du Seigneur, mais la " Grande Rébellion " s'est terminée par un échec, tout comme les révoltes qui ont ébranlé au terme moment plusieurs États continentaux, dont la France de la Fronde. C'est seulement à la fin du siècle, pendant le tournant décisif des guerres contre Louis XIV, dont les impératifs ont précipité de multiples transformations, que l'Angleterre s'est orientée dans une voie propre, à contre-courant du reste de l'Europe. Face à l'absolutisme de Louis XIV, elle limite la monarchie, affaiblit l'État, protège la liberté - ou plutôt les libertés - du sujet. En mettre temps, elle s'assure une avance économique et technique, et elle conquiert une décisive supériorité navale. Au long d'un XVIIIe siècle dont la stabilité et le conservatisme contrastent avec les orages du XVIIe, l'originalité britannique s'est néanmoins affirmée. A l'âge des monarchies administratives et du despotisme éclairé, certaines formes du régime parlementaire s'esquissent ou se consolident. L'expansion coloniale fait du petit archipel la tête d'un immense empire et, surtout, l'Angleterre entame une révolution technique qui constitue une coupure décisive de l'histoire humaine et dont est né le monde contemporain. Révolution industrielle qu'elle est le premier pays à réaliser, donc le seul à accomplir spontanément, sans exemple ni aide extérieurs. Enfin, seule puissance à avoir résisté victorieusement à la France révolutionnaire et impériale, l'Angleterre émerge triomphante en 1815 comme la première et seule puissance mondiale, pour exercer pendant le XIXe siècle une prépondérance longtemps incontestée. Une histoire originale, mais aussi mouvementée, marquée par deux révolutions, un foisonnement d'intrigues et de soubresauts politiques, d'âpres luttes religieuses et des guerres incessantes, qui, notamment, ont occupé tout juste une année sur deux du XVIIIe siècle. Mais sous ce complexe événementiel, on trouve des forces profondes relativement simples, dont l'analyse peut s'organiser autour de deux grands thèmes : la terre et la mer, c'est-à-dire la grande propriété et le commerce, la country-house et l'orgueilleux vaisseau à trois ponts. L'Angleterre, nation de marchands et de marins ? Certes, mais d'abord pays des landlords. De la Réforme à la Révolution, une redistribution importante de la propriété foncière est intervenue en Angleterre, en raison de la dissolution des monastères, de l'aliénation des terres de la Couronne et des troubles politiques ; d'anciennes familles se sont éteintes, d'autres ont perdu leurs terres par suite de confiscations ou d'amendes, cependant que des parvenus enrichis par le commerce ou le service de la Couronne leur succédaient. Mais cette mobilité au sein de la classe supérieure n'a pas sérieusement morcelé la grande propriété héritée du Moyen Âge. Le domaine proche des seigneurs est resté intact et distinct de la propriété paysanne, parce qu'il était loué à des fermiers " capitalistes " - dont l'existence était liée à celle d'une paysannerie " substantielle ", dont ils étaient issus, et à l'activité du commerce - et parce qu'en période de hausse rapide des prix, les fermages pouvaient être régulièrement ajustés, ce qui n'était pas le cas des redevances coutumières payées par les tenanciers. Si, au XVIIe siècle encore, les yeomen restaient en nombre important, à partir de 1680, les grands domaines se sont étendus aux dépens de la propriété paysanne, non par expropriation des paysans, en liaison avec les enclosures, comme on l'a longtemps cru, mais par achat des terres paysannes. En effet, entre 1660 et 1740, la baisse des prix et des profits agricoles, l'alourdissement de la fiscalité - par suite des guerres contre la France - ont créé une situation difficile pour les petits propriétaires, et terme pour la petite gentry, qui ont été contraints de vendre leurs terres. Au même moment, nombre de riches propriétaires avaient les moyens financiers d'acheter, et ils y étaient poussés par le désir d'augmenter leurs revenus, d'acquérir du prestige social et de l'influence politique. Plus tard, après 1730-1740, le marché immobilier s'étant rétréci, les nouveaux riches qui voulaient s'établir en gentlemen ne pouvaient le faire qu'en achetant des terres paysannes. Avant même la grande poussée des enclosures à la fin du XVIIIe siècle, la disparition du paysan anglais était presque consommée, et moins de 20 % du sol restait aux mains de propriétaires exploitants. La concentration de la propriété s'était renforcée, la structure sociale des campagnes, encore diversifiée au XVIIe siècle, s'était simplifiée en une pyramide à trois étages strictement séparés : landlords, fermiers, ouvriers agricoles. En même temps, le grand domaine - souvent agrandi par d'habiles politiques de mariages - s'était définitivement consolidé, le droit d'aînesse traditionnel étant complété par les pratiques de l'entail (substitution) et du strict settlement (transfert en succession garantie), grâce auxquelles les patrimoines de nombreuses familles passaient intacts de génération en génération, l'héritier unique n'en étant qu'un usufruitier. Ces pratiques - qui expliquent la fermeture du marché immobilier au XVIIIe siècle - furent facilitées par le développement du système des hypothèques, qui permettait aux landlords de s'endetter pour doter leurs filles ou leurs cadets, et aussi pour améliorer leurs terres. Enfin, à partir du milieu du XVIIIe siècle, la hausse des prix agricoles et des rentes vint consolider la position des grands propriétaires. Dans une société où, vers 1770 encore, l'agriculture assurait 40 % au mo...
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