Résumé Exécutif Les violences commises contre les enfants sont multiples et s'inscrivent dans des contextes économiques, politiques et socioculturels variés. Nombre de pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre souffrent de pauvreté, de la guerre, de maladies et d'urbanisation croissante qui tendent à aggraver les violences contre les enfants. De manière à pouvoir mieux comprendre l'ampleur du phénomène, la complexité des problèmes et identifier des solutions pérennes favorisant l'émergence d'un environnement protecteur pour les enfants, le Comité des Droits de l'Enfant a demandé en 2002, au Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies de mener une étude globale et approfondie sur la violence contre les enfants. Ce document présente un panorama des situations de violence à l'encontre des enfants en Afrique de l'Ouest et du Centre et représente la contribution de notre région à l'étude des Nations Unies. Les quatre grands thèmes abordés dans ce document sont la violence familiale ; la violence communautaire ; la violence dans les institutions et la violence au travail. I. Les violences familiales Au niveau de la législation, la protection des enfants vis-à-vis des châtiments corporels au sein de la structure familiale est limitée et peu de pays de la région ont des lois claires sur ce phénomène. Cette attitude est essentiellement motivée par la conviction qu'il est acceptable de châtier les enfants "avec discernement ". Les châtiments corporels font le plus souvent partie d'un système de valeur transmis par les normes d'éducation en vigueur et ils sont jugés comme « normaux « par la conscience collective. Maints témoignages montrent que des enfants, pour la majorité des jeunes filles, sont victimes de violences sexuelles commises dans le cadre familial. Il est difficile de connaître l'ampleur des violences sexuelles commises contre les enfants au sein de la famille. Selon le Comité régionale de l'Organisation Mondiale de la Santé, « l'abus sexuel commis contre l'enfant est une situation d'urgence sanitaire silencieuse. Il passe inaperçu, est fortement sous notifié et mal pris en charge. Il s'entoure d'une culture du silence et de l'opprobre, particulièrement lorsqu'il est commis dans ce refuge qu'est le foyer par quelqu'un que l'enfant connaît et à qui il fait confiance. « Les violences psychologiques contre les enfants sont difficiles à identifier d'autant plus que les conséquences peuvent être immédiates aussi bien que latentes, et elles peuvent durer des années après les premières manifestations de violence ; elles varient considérablement selon le contexte et l'âge de l'enfant. D'une manière générale, les violences contre les enfants commises au sein des familles restent peu documentées et il est donc difficile d'en connaître les causes et l'ampleur. Les mesures visant à sensibiliser et à informer les familles des effets néfastes des châtiments corporels restent insuffisantes et les mécanismes pour prévenir et combattre les violences sexuelles au sein des familles sont souvent limités. II. Les violences communautaires Les sociétés d'Afrique de l'Ouest et du Centre ont leurs propres pratiques et coutumes qui appartiennent à un système de valeur et de socialisation des enfants. Le problème est que certaines pratiques comme l'excision et le mariage précoce, sont contraires à la Convention relative des Droits de l'enfant. > L'excision L'excision est une atteinte à l'intégrité physique du corps de la jeune fille et a des effets néfastes sur sa santé physique et mentale. Les résultats des Enquêtes Démographiques et de Santé menées ces dernières années en Guinée, au Mali et en Mauritanie montrent des taux de prévalence de l'excision très élevés compris entre 71% et 99%. Dans la plupart des pays, l'excision est pratiquée avant l'âge adulte, mais aujourd'hui, de plus en plus de filles sont excisées avant l'âge de 4 ans. Des efforts importants ont été fait dans plusieurs pays de la région pour interdire cette pratique. La polémique a ainsi fait place à un véritable travail de sensibilisation, de persuasion et d'explications pour ouvrir les populations aux dangers que présente l'excision. Les mariages précoces La pratique du mariage précoce est largement admise sous couvert de la tradition et représente une grave menace pour le bien-être des enfants. Une des raisons importantes et communément donnée par les parents pour justifier le mariage précoce de leur fille est qu'il s'agit d'un moyen de préserver leur virginité. Dans certaines circonstances, le mariage précoce est également utilisé comme une stratégie de survie économique pour les familles pauvres qui vont recevoir une dote en échange de leur fille. Nombre de filles mariées très jeunes plongent dans la détresse et se retrouvent dans une situation où elles sont incapables de développer une personnalité autonome. Leur manque de pouvoir de décision en matière de contraception entraîne très souvent des grossesses précoces qui peuvent avoir de graves conséquences physiques. En effet, les adolescentes de 15 a 19 ans ont 2 fois plus de chance de mourir en accouchant que les femmes de plus de 20 ans. Ce risque est 5 fois plus élevé chez les moins de 15 ans. Les lois pour réprimer cette pratique sont nécessaires mais ne suffisent pas dés lors que le mariage précoce se situe souvent dans un cadre traditionnel ou il est difficile de poursuivre les contrevenants (parents, officiants ou époux). Aussi, la situation se complique par le fait que l'âge des enfants est souvent ignoré compte tenu du faible enregistrement des naissances. Les enfants sorciers et les croyances mystiques Le phénomène des enfants dits « sorciers « existe sous différentes formes notamment au Bénin, au Gabon, au Nigeria, au Libéria, au Cameroun et en République Démocratique du Congo. Ces enfants sorciers considérés comme ayant des pouvoirs maléfiques, sont rendus responsables des malheurs de la population locale. Ils sont chassés de leur famille, marginalisés par la société ou placés dans des centres de rééducation et sont fréquemment victimes d'abus et de mauvais traitements, voire de torture pouvant aboutir à leur mort. Au Bénin, certains enfants sont porteurs d'une charge négative dés la naissance par rapport à la façon dont ils naissent. Ces enfants sont dits «sorciers« et les dignitaires de la tradition se réservent le droit de commettre un infanticide. Les actions menées depuis plusieurs années par les gouvernements, les agences et les associations dans la lutte contre les pratiques traditionnelles néfastes ont mis en lumière l'importance des mesures qui visent à accompagner les communautés à changer leurs comportements. Ainsi, sur la base d'une meilleure compréhension des pratiques et des effets néfastes pour les filles, de débats ouverts avec l'ensemble des membres de la communauté et d'une approche basée sur les droits humains, plusieurs villages au Sénégal et en Guinée, ont fait des déclarations publiques d'abandon de certaines pratiques traditionnelles néfastes. Stigmatisation des enfants affectés par le VIH/Sida Des milliers d'enfants sont devenus vulnérables avec la pandémie du VIH/Sida. Parmi eux, figurent (i) les enfants orphelins, (ii) les enfants qui ont un parent malade, (iii) les enfants qui vivent dans des ménages pauvres prenant en charge des orphelins, et (v) les enfants qui sont eux- mêmes séropositifs. Ces enfants se retrouvent dans une forte détresse psychologique aggravée par la stigmatisation et les discriminations dont les conséquences sont l'exclusion de la communauté, de l'école, de l'accès aux soins, etc. Leurs conditions d'existence sont extrêmement difficiles. Sans ressources et protection, ils courent le risque d'être exploités économiquement ou sexuellement ou de se tourner vers les chemins de la prostitution et de la délinquance. Des efforts sont faits pour éviter la stigmatisation et le rejet des enfants touchés par le VIH/sida mais, ils restent encore insuffisants. L'accès à l'information, tant au niveau des adultes que des jeunes, est trop souvent limité et pas assez ciblé. La culture de la violence dans les pays ayant connu un conflit Les conflits armés affectent durablement la vie psychologique et sociale des enfants et des adultes ainsi que les mécanismes de solidarité. Durant les conflits armés, les enfants et les adultes sont endoctrinés dans une culture de violence et ont par la suite d'immenses difficultés à s'adapter aux valeurs de la paix car ils sont « désensibilisés « à la violence. L'implication des enfants dans le programme Vérité et Réconciliation mis en place en Sierra Leone a joué un rôle très important dans le processus de reconstruction en permettant d'une part, d'établir les faits et d'autre part, de libérer les traumatismes des enfants. Toutefois, dans la majorité des pays de la région qui ont connu un conflit, il existe un manque de documentation sur l'impact de ces conflits armés sur les relations hommes/femmes, parents/enfants, y compris sur les familles réfugiées. III. La violence dans les institutions > La violence dans les écoles Les violences encourues par les élèves sont multiples que ce soit dans les écoles publiques ou privées, formelles ou non formelles. Si la majorité des pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre interdisent dans les textes de loi, l'utilisation des châtiments corporels au sein des établissements scolaires, force est de constater que la législation n'est pas appliquée. Aujourd'hui comme hier, les discours sur les vertus éducatives des châtiments corporels ont trouvé un écho au sein de l'institution scolaire. Tous les élèves que l'on peut interroger sur ce sujet de la « violence à l'école « disent avoir été, au moins une fois dans leur vie scolaire, témoins d'une violence physique à l'égard de l'un de leurs camarades ou victime de violence. Les filles sont également exposées aux violences sexuelles des enseignants et/ou de leurs camarades. Plusieurs études réalisées en Afrique de l'Ouest et du Centre sur les violences en milieu scolaire illustrent ce phénomène préoccupant ou le harcèlement sexuel prend la forme d'un chantage sur les notes et donc d'une menace de l'échec. Très peu de pays ont mis en place des mécanismes qui permettent de prévenir et de protéger les élèves des violences commises à leur égard. Toutefois, une prise de conscience du phénomène de la violence scolaire est en train de naître et quelques pays commencent à mettre en place des comités de surveillance et des centres d'écoute au sein des établissements scolaires. Aussi, certains pays comme le Ghana, ont mis en place des mécanismes permettant de sanctionner les maîtres qui commettent des violences sexuelles sur leurs élèves. Mais beaucoup reste encore à faire dans la région pour protéger les enfants des violences scolaires et leur permettre de dénoncer, en toute sécurité, ces actes contraires à la Convention des droits de l'Enfant. Par ailleurs, avec l'urbanisation et la paupérisation des familles, on assiste à un détournement de l'enseignement coranique. En effet, certains maîtres coraniques transforment un processus légitime d'éducation religieuse en un phénomène d'exploitation économique des enfants. La violence exercée contre les enfants en conflit avec la loi Les enfants en conflit avec la loi sont souvent victimes de multiples violences que ce soit au cours de leur interpellation ou durant leur incarcération où ils se retrouvent le plus souvent avec des adultes. Ces enfants sont rarement protégés et les prisons sont des lieux de violence où leurs droits sont particulièrement bafoués. Or, quoi qu'il ait fait, l'enfant a des droits. Dans les pays de la région, les tribunaux et les juges pour enfants sont insuffisants et souvent concentrés dans les grandes villes. Aussi, rares sont les pays qui ont mis en place des mesures alternatives à la détention pour les mineurs, reconnaissant ainsi la diversité et les spécificités de leurs besoins. IV. La violence au travail L'offre de main d'?uvre enfantine se développe depuis deux décennies à la faveur d'une paupérisation grandissante des familles et d'un système éducatif incapable de retenir les enfants. Selon l'Organisation Internationale du Travail, environ 48 millions d'enfants âgés de 5 à 14 ans exercent une activité économique en Afrique, soit 29% de la population enfantine. L'exploitation économique et sexuelle des enfants travailleurs La relation entre la traite des enfants et le travail des enfants ainsi que l'exploitation sexuelle à des fins commerciales est bien établie : les enfants sont très souvent déplacés pour exploiter leur force de travail, notamment dans la domesticité, les activités industrielles non réglementées, les chantiers de construction et l'exploitation sexuelle à des fins commerciales. Lors de la traite des enfants, la violence s'exerce à trois niveaux : (i) lors du retrait de l'enfant de son milieu familial (ii) durant le processus de déplacement et (iii) L'exploitation de l'enfant par le travail, y compris l'exploitation sexuelle. Les enfants sont généralement astreints à effectuer des travaux dangereux pouvant entraîner la mort ou des lésions physiques irréversibles. En réalité, il ne s'agit pas de lutter contre les violences liées à la traite des enfants mais de lutter contre la traite des enfants. Au niveau régional, des efforts importants sont développés en partenariat avec les gouvernements, les agences et les associations pour mieux documenter ce phénomène et lutter contre son existence. La multiplication des accords bilatéraux et le développement des comités de surveillance villageois sont également le signe d'un engagement plus fort des Etats et des communautés. Le travail domestique Le travail domestique assuré par des enfants n'est souvent pas reconnu comme une forme de travail car d'une part, il se confond avec les systèmes traditionnels « d'initiation à la vie et au travail « et d'autre part, il est effectué à la maison. Les enfants, essentiellement les filles, qui travaillent derrière les portes closes de maisons privées sont particulièrement exposés aux violences puisqu'elles sont commises à l'insu du monde extérieur. Les conditions de travail et les violences encourues par ces enfants travailleurs sont souvent terrifiantes, mettant en péril leur santé, leur sécurité physiques et psychologiques. Pour les enfants soumis à l'une des pires formes de travail et/ou n'ayant pas l'âge minimum, l'ultime solution doit être la «sortie«. Mais en attendant qu'il soit possible de les en retirer en toute sécurité, il apparaît important de leur apporter un soutien suffisant, en mettant en place une stratégie de protection en accord avec le droit des enfants. Les enfants ayant l'âge minimum d'admission à l'emploi et travaillant dans des conditions qui ne sont ni dangereuses ni apparentées à l'une des pires formes de travail, jouissent de droits garantis par la Convention des droits de l'enfant. C'est dans cette perspective que le Mouvement Africain des Enfants et Jeunes Travailleurs (MAEJT), a identifié 12 droits prioritaires pour lutter contre l'exploitation et les mauvaises conditions de travail des enfants. Leurs actions se basent essentiellement sur l'écoute des enfants dans des structures prévues à cet effet et qui se situent dans leur milieu d'évolution. Les violences ordinaires pour les enfants de la rue La vie quotidienne des enfants des rues est souvent la même aux quatre coins du globe : enfants livrés à eux-mêmes, enfants du monde rural ou de la ville venus grossir les bidonvilles des mégapoles ; privés de tout, même d'état civil, gagnant leur droit à l'existence au prix de la mendicité, de vols, de la prostitution, fuyant dans la drogue un quotidien sans espoir. Leurs droits, même les plus élémentaires, sont bafoués. Il est difficile de connaître le nombre d'enfants des rues. Cette carence de données fiables vient en partie de la difficulté à cerner ce qu'est un enfant de la rue. En Afrique de l'Ouest et du Centre, ces enfants semblent être en augmentation régulière suite à la combinaison de plusieurs facteurs tels que la paupérisation des familles, l'urbanisation accélérée, les migrations liées aux conflits, l'augmentation du nombre d'orphelins liés au VIH/Sida ou l'exode rural. Il n'y a pas qu'une alternative pour aider les enfants à sortir de la rue ; il en existe autant que d'histoires personnelles. Les composantes éducatives et psychosociales sont essentielles pour permettre à ces enfants de se reconstruire et de se réinsérer dans la société. Conclusion Les actions menées depuis plusieurs années dans les pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre pour créer un environnement protecteur conforme à la Convention des Droits de l'Enfant sont multiples. Les efforts développés sont constants que ce soit de la part des gouvernements, des agences ou des associations. La participation des communautés et des enfants constitue de plus en plus un des piliers majeurs des stratégies de prévention et de protection. Mais les changements ne peuvent se faire du jour au lendemain et les violences contre les enfants sont aussi le reflet du manque d'un cadre de référence sur les droits humains. Sommaire Introduction 9 Chapitre 1 : Les violences familiales 12 I La violence physique 13 II Les abus et violences sexuelles au sein de la famille 14 III La violence psychologique 15 Stratégies de réponses 16 Chapitre 2 : Les violences communautaires 19 I La violence rituelle 19 1.1 L'excision des filles 19 1.2 Les mariages précoces 21 1.3 Les enfants sorciers et les croyances mystiques 23 Stratégies de Réponses 24 II Enfants et VIH/Sida : une stigmatisation meurtrière 26 Stratégies de réponses 27 III La culture de la violence dans les pays ayant connu un conflit 28 Stratégies de réponses 30 Chapitre 3 : La violence dans les institutions 32 I La violence au nom de la discipline 32 1.1 La violence dans les écoles 32 1.1.1 Les châtiments corporels 32 1.1.2 Les violences sexuelles 33 1.1.3 Le manque de mesures de protection des enfants dans les écoles 34 1.2 La violence dans les écoles coraniques 35 Stratégies de réponses 36 II La violence exercée contre les enfants en conflit avec la loi 37 Stratégies de réponses 39 Chapitre 4 : Le travail des enfants : une survie faite de violences et de souffrances 41 I L'exploitation économique et sexuelle des enfants travailleurs 42 1.1 La traite des enfants : violences et mensonges 42 1.2 Le travail domestique 44 Stratégies de réponses 45 II Les violences ordinaires pour les enfants de la rue 49 Stratégies de Réponses 50 Conclusion 52 Proposition d'un cadre conceptuel des Recommandations ....................................55 Bibliographie .............................................................................. ............ 60 Introduction En 2005, des milliers d'enfants sont encore victimes de violences multiples qui s'inscrivent dans des contextes économiques, sociaux et culturels particuliers. Les agressions physiques, sexuelles et psychologiques subies par les enfants dans leur environnement familial, communautaire et institutionnels ont de graves répercussions sur leur développement, leur santé, leur capacité d'apprentissage. Elles sont une atteinte à la Convention relative aux droits de l'enfant. Conscient de l'ampleur du problème et des effets dévastateurs de ce fléau sur la vie des enfants, le Comité des Droits de l'Enfant a consacré deux journées de débat général au thème de la violence contre les enfants : en 2000 sur la violence d'Etat contre les enfants et en 2001 sur la violence contre les enfants au sein de la famille et à l'école. Suite à ces journées, le Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies a reçu le mandat de mener une étude globale et approfondie sur la violence contre les enfants. En 2002, la Commission des Droits de l'Homme a proposé que le Secrétaire Général désigne un expert indépendant pour mener l'Etude, en collaboration avec le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme (HCDH) le Fonds des Nations Unies pour l'Enfance (UNICEF) et l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). En février 2003, le professeur Paulo Sergio Pinheiro a été désigné pour diriger cette étude sur la violence contre les enfants. La violence, est l'un de ces mots qui résonne puissamment sur le plan idéologique, un mot dont la signification est en mutation constante et qui englobe un large éventail de problèmes qu'il faut replacer dans leurs contextes afin de mieux en comprendre les contours. Pour le professeur Pinheiro, la violence est définie de façon large, incluant les définitions de l'article 19 de la Convention sur les Droits de l'Enfant : « Les Etats parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié « et de l'Organisation Mondiale de la Santé[i] qui définit la violence comme « la menace ou l'utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir contre soi-même, contre autrui ou contre un groupe ou une communauté qui entraîne ou risque fortement d'entraîner un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un mal développement ou des privations «. Par ailleurs, l'enfant est définit selon l'article premier de la Convention relative aux Droits de l'Enfant comme «tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable«. La violence est la combinaison de plusieurs facteurs, souvent inter corrélés, qui amènent à une déviance des comportements. Nombre de pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre souffrent de pauvreté, de la guerre, de maladies et d'urbanisation croissante. L'urbanisation accélérée est un des aspects les plus importants des changements socio-économiques qui se sont produits dans la plupart des pays africains au cours des trois dernières décennies. Cette urbanisation rapide soulève de nombreux problèmes susceptibles d'affecter le niveau de protection des enfants avec, notamment l'incapacité des services sociaux de base à suivre la pression démographique, le développement des bidonvilles et quartiers précaires, la fragilisation du tissu familial et communautaire, la multiplication des situations de vulnérabilité, etc. La pauvreté est également considérée comme un facteur déterminant de la violence dans la mesure où elle pousse les familles à adopter des stratégies de survie qui ont pour corollaire de renforcer la vulnérabilité des enfants et de marginaliser leur accès aux services sociaux essentiels, notamment sanitaires et éducatifs. Sur les 24 pays de la région, 16 sont classés parmi les pays les moins avancés du monde et 21 parmi les pays à faibles revenus ; la moitié de la population de la région vit en dessous du seuil de pauvreté. Certaines violences se développent avec d'autant plus de facilités dans un contexte marqué par l'analphabétisme. En Afrique de l'Ouest et du Centre, en 2000, seulement deux femmes sur cinq (41%) en moyenne savaient lire et écrire, contre près de deux hommes sur trois (62,7%). Les pays sahéliens de la région enregistrent les taux d'alphabétisation les plus faibles, avec une moyenne de 19,5% pour les femmes et 41% pour les hommes, tandis que les pays d'Afrique Centrale enregistrent des taux plus élevés, avec une moyenne de 54% pour les femmes et 71,6% pour les hommes. Cette situation contribue à l'émergence des situations à risques, rend encore plus aléatoire l'accès à l'information et limite souvent la portée des mesures de protection adoptées, faute de connaissance de leur existence. Par ailleurs, la situation scolaire dans la région est marquée par des faibles taux de scolarisation, des fortes disparités de genre et une déperdition importante dans le primaire. Le taux brut de scolarisation (TBS) des pays d'Afrique subsaharienne en 2000 varient de 29% au Niger à 131 % au Cap Vert avec une moyenne pour la région de 81,2 %. Ce taux est inférieur à celui de toutes les autres régions du monde. Sur les 115 millions d'enfants d'âge scolaire non scolarisés de par le monde, 42 millions (soit 36%) vivent en Afrique subsaharienne. Sur tous les enfants inscrits, moins des deux tiers achèveront leur cycle primaire et, parmi eux, seule une petite moitié maîtrisera les connaissances prévues au programme. Tout ceci joue un rôle catalyseur sur la violence commise contre les enfants. Il existe également dans la région, des pratiques violentes contre les enfants qui sont largement liées aux représentations sociales élaborées par les groupes et les individus. L'objectif du présent rapport est de fournir une vision globale de la violence contre les enfants en Afrique de l'Ouest et du Centre et d'apporter des recommandations pour combattre les différentes formes de violence contre les enfants. Il vise à accompagner le processus de consultation régionale qui aura lieu à Bamako (Mali) du 24 au 25 mai 2005 et à fournir les outils de réflexions pour le suivi des actions à développer pour protéger les enfants. Cet examen de la situation de la violence contre les enfants repose essentiellement sur l'analyse de la documentation existante, sur les questionnaires envoyés par l'expert indépendant aux gouvernements et sur des entretiens réalisés avec des spécialistes qui travaillent sur ces questions (agences des Nations Unies, ONG, juges pour enfants, psychologues, etc.). Une attention particulière a été portée à la participation des enfants à la lutte contre les violences qu'ils subissent. Dans ce rapport, la violence contre les enfants en Afrique de l'Ouest et du Centre est abordée selon quatre grands thèmes : la violence familiale (chapitre1) ; la violence communautaire qui est essentiellement liée aux pratiques violentes en lien avec les représentations sociales de certaines sociétés africaines (chapitre 2) ; la violence à l'école et dans les institutions (chapitre 3) et la violence au travail (chapitre 4). Certaines violences à l'encontre des enfants renvoient aux rapports sociaux entre les sexes et aux disparités de genre. Elles sont souvent l'expression du statut que la société réserve aux femmes et qui se traduit également par des discriminations à l'accès à l'ensemble des services sociaux. L'approche genre sera donc traitée de façon transversale dans chacun des chapitres. Chapitre 1 Les violences familiales Les familles constituent le premier cercle de protection de l'enfant qui y occupe une place centrale. Source de bénédiction pour le lignage, facteur de reconnaissance pour la femme, richesse économique et assurance vieillesse pour les parents, une descendance nombreuse reste encore fortement valorisée. En Afrique de l'Ouest et du Centre, la structure et la dimension de la famille varient, allant de la famille élargie constituée par l'ensemble des noyaux conjugaux, à la famille nucléaire de type occidental, en passant par la « famille élémentaire élargie « en milieu urbain composée d'une famille nucléaire associée à d'autres individus, voire à d'autres familles nucléaires apparentées et intégrées dans un « système résidentiel « de nature sociale et spatiale, marqué par des relations d'interdépendance et de complémentarité fondées sur l'entraide et la redistribution. La concession familiale, qu'il s'agisse des cours rurales ou des carrés citadins, est souvent marquée par la promiscuité, l'imbrication des parentèles et les difficultés économiques qui peut constituer un autre « espace social « où s'exprime une violence tantôt larvée, tantôt explicite, souvent banalisée. Mais elle est aussi un lieu de jeu, de solidarité et de protection pour les enfants. En Afrique de l'Ouest et du Centre les violences familiales contre les enfants existent, comme partout ailleurs, mais restent cachées. Les contours de ces violences sont multiples et polymorphes : ils varient selon le contexte et la position dans lesquels se trouvent les uns et les autres. En effet, au sein d'une famille, les enfants ne se retrouvent pas dans la même position et le même rôle et certains peuvent être plus vulnérables que d'autres. Les enfants handicapés vivent souvent dans des conditions particulièrement difficiles. Ils représentent une charge lourde pour leurs parents et, ils sont souvent perçus comme la conséquence d'une malédiction. Ils souffrent alors d'une négligence tacite ou ouverte, voire de violences acceptées et parfois soutenues par la famille. Si certains actes sont violents, ils ne sont pas toujours vus comme tels par tous. Enfants / parents / société sont en interrelations dialectiques. Il n'y a pas de causes uniques à la violence. Il y a plusieurs facteurs culturels, économiques, sociaux, géographiques et politiques qui déterminent les différentes formes de violences familiales (physiques, sexuelles et psychologiques). Malheureusement, les études sur ce phénomène qui permettraient de mieux en comprendre les causes, les effets et son ampleur, sont insuffisantes. I La violence physique Au niveau de la législation, la protection des enfants vis-à-vis des châtiments corporels au sein de la structure familiale est limitée et floue dans la majorité des pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre. Les textes (Code Pénal, Code de la Famille, Constitution, etc.) condamnent les mauvais traitements et la négligence des parents vis-à-vis de leurs enfants sans pour autant définir la notion de mauvais traitement. Plusieurs pays de la région (République Centrafricaine, République Démocratique du Congo, Guinée Equatoriale, Gambie, Mali, Nigeria et Sénégal), reconnaissent le droit aux parents ou aux personnes qui ont la garde de l'enfant, d'infliger une « correction « à l'enfant. Cette distinction entre le fait de corriger un enfant et la violence est très artificielle et subjective. Peu de pays ont des lois claires sur la question des châtiments corporels dans la famille. Cette attitude est essentiellement motivée par la conviction qu'il est acceptable de châtier les enfants "avec discernement ". Mais, il est essentiel de rappeler que le Comité des droits de l'enfant considère sans ambiguïté que les châtiments corporels sont " incompatibles " avec la Convention relative aux droits de l'enfant. Les violences physiques peuvent toucher toutes les familles. Ce n'est pas une question de pauvreté, même si celle-ci peut être un facteur supplémentaire de la violence dans les familles. Les châtiments corporels font partie d'un système de valeur transmis par les normes d'éducation en vigueur, dans des sociétés où les difficiles conditions de vie imposent que chacun, grand ou petit, contribue le plus efficacement possible à la vie quotidienne et à ses multiples tâches. Ainsi, ils font partie du processus normal de l'éducation de l'enfant et les raisons données par les parents varient d'une société à l'autre. Par exemple, il est symptomatique qu'en wolof, le mot " yar " signifie à la fois éduquer et cravache ou alors qu'en Gambie, cette pratique se réfère à une formule Biblique : "Spare the rod and spoil the child" (littéralement : épargner le bâton et gâter l'enfant). Toutefois, il faut être prudent dans les jugements précipités d'attribution de la violence car il est essentiel de contextualiser les problèmes et de prendre en compte les dynamiques du groupe concerné au sein duquel la violence s'inscrit. Le portrait que l'on pourrait tracer du milieu familial peut changer selon la spécificité de chaque groupe socioculturel et de chaque famille. Cela peut avoir des incidences sur les approches et les actions à développer pour lutter contre la violence. Par exemple, une analyse comparative effectuée entre deux enfances très différentes au sein d'une vaste société, à savoir les populations de langue Haoussa du Nord du Nigeria montre que les Maguzawa non musulmans, s'oppose à ce que leurs enfants soient battus alors que les Haoussa musulmans, tolèrent les châtiments corporels au sein de la famille et dans les écoles coraniques. L'article avance des raisons économiques ainsi que politiques au rejet du châtiment corporel, tout en indiquant qu'aux yeux de la société musulmane citadine, la menace d'un tel châtiment est essentielle pour éduquer les jeunes en imposant le niveau nécessaire de discipline et de maîtrise de soi. En bref, « la culture du châtiment résulte de conditions historiques spécifiques et varient considérablement quant à la sévérité et à la fréquence des châtiments subis par les enfants, mais aussi quant à la personne qui les exécute « [ii]. Lorsque les châtiments corporels sont jugés comme « normaux « par la conscience collective, les enfants qui sont victimes de violences par un membre de leur famille n'ont même pas conscience que ce qui leur est fait est condamnable. Cette forme de violence est alors considérée comme un mode de socialisation normal au sein de certaines familles. Par exemple, dans une récente étude réalisée en Mauritanie sur la violence contre les enfants[iii], les adultes considèrent que « les violences physiques font parties de l'éducation et qu'elles sont nécessaires pour que l'enfant comprenne ses erreurs, intègre les valeurs sociales et morales, et apprenne le respect des aînés. Elles correspondent le plus souvent à des fautes graves telles que l'insoumission, l'irrespect des aînés, la délinquance, etc. « Lors d'une enquête nationale réalisée au Togo auprès de 2700 ménages, quelques questions ont été posées aux enfants âgés de 10 ans à 17 ans, sur les violences dont ils ont été ou sont encore l'objet[iv]. Les châtiments corporels sont le lot commun de presque tous les enfants enquêtés. Sur les 1613 enfants interrogés, seuls 5 % ont déclaré n'avoir jamais été battus. Il n'existe pas de données plus précises sur la nature des châtiments corporels, ce qui demanderait une enquête plus détaillée et plus ciblée, mais les réponses à la question posée montrent à l'évidence que l'ensemble des adultes considèrent qu'il est légitime de battre un enfant, et la généralité de la pratique renforce le sentiment de leur "bon droit". Cinq catégories d'auteurs de violences physiques faites aux enfants ont été distinguées : le père, la mère, les autres parents, les autres éducateurs (enseignants, tuteurs, patrons d'apprentissage et employeurs), enfin les autres personnes. Les enfants battus au cours du dernier mois ont cité, en ordre décroissant : les "autres éducateurs" (39 %), leur père (22 %), leur mère (18 %), une autre personne non apparentée (12 %) et un autre parent (9 %). Si on réunit les parents biologiques en une catégorie, on voit qu'ils infligent des châtiments à égalité avec les "autres éducateurs". En Afrique, la violence familiale renvoie le plus souvent à des relations très hiérarchisées où les frères peuvent l'exercer sur les s?urs, les aînés sur les cadets, et le père sur tous. La violence sur les enfants au sein du huis clos familial est d'autant plus forte que ces derniers n'ont généralement pas le droit à la parole et sont entièrement soumis à l'autorité des aînés. Au niveau de la structure familiale, les enfants se situent dans des relations affectives différentes en fonction de leur sexe, leur place dans la fratrie, leur âge et leur statut. Cela peut les placer dans une situation de violence différente. Ils sont généralement plus vulnérables à la violence lorsqu'ils sont confiés, ou conçus hors mariage, issus de mariages inter-ethniques ou polygames, orphelins, etc. Aussi, compte tenu de la place différente accordée aux hommes et aux femmes dans la société et des violences domestiques faites contre les femmes en Afrique, il est possible que les jeunes filles soient plus touchées par les violences au sein de la famille, mais très peu d'études permettent d'affirmer ce lien. II Les abus et violences sexuelles au sein de la famille En Afrique de l'Ouest et du Centre, comme partout ailleurs, il est extrêmement difficile de parler des violences sexuelles au sein de la famille, notamment quand l'acte à un caractère incestueux. Pourtant, maints témoignages montrent que des enfants, pour la majorité des jeunes filles, sont victimes de violences sexuelles commises dans le cadre familial. Certaines études plus générales menées dans le cadre du phénomène de l'exploitation sexuelle des enfants révèlent que le milieu familial peut être une source de violence sexuelle. Les familles ne représentent pas toujours un cadre de référence et un lieu de sécurité pour les enfants. De nombreux cas d'abus et de violences sexuelles sont commis par des membres de la famille. Si l'inceste n'est pas un phénomène nouveau en Afrique, il semblerait qu'une certaine reconnaissance de ce phénomène est en train de naître au sein des sociétés, même si les tabous et les silences perdurent autour de ce crime. Au Bénin, une étude réalisée en 2002 sur 1688 élèves dont 916 filles, a révélé que l'origine de l'agresseur était intrafamiliale dans 31,4 % des cas. Les cousins et cousines étaient impliqués dans 47,7% des agressions, les oncles et les tantes dans 43 %, le père et le frère dans 2,4 %, les tuteurs dans 2,3 % et les beaux-parents dans 4,6 %. Au Cameroun, l'analyse de 413 fiches collectées dans les services de l'Etat où la nature de l'outrage était mentionnée, font ressortir que dans la grande majorité des cas, l'agression sexuelle est majoritairement perpétrée par des collatéraux : oncles, parents par alliance, amis de la famille. Le père abuseur apparaît 10 fois sur 56 fiches, et le frère deux fois. Les auteurs utilisent la ruse, la flatterie, la gentillesse, la tentative de corruption par l'argent ou des méthodes moins douces telles que le chantage pour obtenir le consentement de la victime. Quand elle refuse, ils emploient invariablement la force physique. Après l'acte, une violence psychologique est exercée à l'encontre de la victime au cas où elle parlerait. Bien qu'unanimement condamnées, les violences sexuelles dans le cadre familial restent secrètes et cachées par les victimes qui n'osent pas ou n'ont pas les moyens de porter plainte. Les cas d'inceste parviennent très rarement à la justice. Le refus de dénonciation se fonde généralement sur l'idée selon laquelle l'abus sexuel est vécu parfois comme une honte, un déshonneur familial entraînant souvent l'exil, voire le mariage forcé avec l'agresseur. Le silence des témoins trouve aussi son explication dans la condamnation familiale et sociétale de ces actes qui s'expriment en termes de rejet, victimisation, et de stigmatisation. Il est difficile de connaître l'ampleur des violences sexuelles commises contre les enfants au sein de la famille. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé[v], « l'abus sexuel commis contre l'enfant est une situation d'urgence sanitaire silencieuse. Il passe inaperçu, est fortement sous notifié et mal pris en charge. Il s'entoure d'une culture du silence et de l'opprobre, particulièrement lorsqu'il est commis dans ce refuge qu'est le foyer par quelqu'un que l'enfant connaît et à qui il fait confiance. « Par ailleurs, dans certains pays, comme au Libéria, en Côte d'Ivoire et au Cameroun, les enfants ne sont pas autorisés à parler durant les procédures judiciaires et donc à raconter les cas d'exploitation sexuelle dont ils sont les victimes : ce sont les parents ou les tuteurs qui portent plainte et les déclarations des enfants ne sont pas considérées comme des témoignages au sens de la loi. Ceci représente un obstacle supplémentaire pour l'enfant victime car il sait qu'il ne sera pas entendu lors de sa plainte. Il est également important de noter que l'inceste est pratiqué dans certains pays, et notamment en République Démocratique du Congo, pour des raisons de croyances mystiques. En effet, dans certains milieux aisés les pères sont convaincus par des féticheurs qu'ils doivent entretenir des relations sexuelles avec leurs filles pour conserver des postes à hautes responsabilités ou pour accéder à la prospérité matérielle[vi]. La plupart du temps, les législations nationales ne prennent pas en considération certaines pratiques telles que l'inceste, l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales et la pornographie enfantine. Le système judiciaire se révèle ainsi le plus souvent inopérant pour la protection de l'enfant, dans un contexte culturel et social où la saisie des tribunaux par les justiciables est encore mal perçue. En effet, très souvent les familles vont préférer rechercher des solutions extrajudiciaires, intra-communautaires voir...