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La peinture contemporaine par Bernard Dorival Musée National d'Art Moderne, Paris Si l'expressionnisme,

Publié le 05/04/2015

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La peinture contemporaine par Bernard Dorival Musée National d'Art Moderne, Paris Si l'expressionnisme, dont les origines remontent au moins à Goya et à Daumier, et à qui l'apport de Van Gogh, de Toulouse-Lautrec, d'Ensor et de Munch donna une décisive impulsion, est la caricature passionnée et tragique qui définit l'art de Rouault, de Soutine, de Kokoschka, de Permeke, de Solana, de Diego Rivera, etc., mais aussi celui de Vlaminck, de Kirchner et de leurs émules, il n'est guère contestable qu'il faille voir en lui une des idées-forces les plus actives de la peinture de notre temps. D'autant que l'on n'en épuise pas par cette définition la réalité complexe, contradictoire. Expression fougueusement, frénétiquement subjective d'un artiste qui crie, qui hurle son expérience du monde - expérience visuelle, intellectuelle, spirituelle, viscérale, expérience de tout son être - l'expressionnisme n'est pas seulement cet art tourné exclusivement vers un moi égocentrique, il est aussi effort pour pénétrer la réalité cachée des idées et des choses, tentative parfois désespérée pour ne faire qu'un avec elle. Et le miracle, c'est que ce subjectivisme outrancier soit aussi prise de possession de ces secrets, de ces essences. En se disant, le peintre les dit. Parce qu'il se dit, il les dit, et parce qu'il les dit, il se dit. Cette plongée en lui lui permet de les atteindre. Le moi et le non-moi profonds coïncident dans leurs racines. En descendant à celles de l'un, le peintre rencontre celles de l'autre. D'être subjectif avec exaspération, de ne pas pouvoir ne pas l'être, son art nous explique le mystère intérieur aux choses extérieures, dans le même temps qu'il est, selon le mot de Rouault, " confession ardente ", aveu passionné par le peintre de sa vie intérieure tragique. Art douloureux, comment cet art expressionniste aurait-il pu ne pas prospérer de nos jours ? Tant de raisons poussent partout à l'angoisse ou à la colère. Menaces de guerre, guerres, révolutions matées, manquées, trahies, spectacle de la misère, de la faim, de l'oppression, et l'épée de Damoclès du danger atomique, impossible à la peinture de rester indifférente en face de tous ces périls. De fait, il n'y a pas de solution de continuité entre l'expressionnisme qu'alimentèrent le spectacle et le souvenir de la Première Guerre mondiale et celui qui s'est développé un peu partout aujourd'hui : un Gruber jette le pont entre l'un et l'autre, en France, où, après la fin de la Seconde, leva une nouvelle moisson de peinture expressionniste : de ses champions Bernard Buffet est le coryphée, auprès de qui l'on pourrait citer vingt, trente, cinquante noms. Favorisée par la sympathie du public qui s'accroche à ce qui reste de réalisme - si interprété soit-il - dans cette peinture ; encouragée par des critiques tels que Jean Bouret, auteur du Manifeste de l'Homme Témoin (1948) ; trouvant un théâtre fort achalandé dans le Salon des Peintres Témoins de leur temps, cette tendance expressionniste a connu, depuis la guerre, en France, plus de fortune et moins de résistances qu'en leur temps l'art de Rouault et celui, plus tardif, de Gromaire, de Goerg, de Soutine. Face au raz de marée non-figuratif et abstrait, en prenant la relève d'un réalisme devenu peut-être désormais impossible, il a défendu les droits de la figuration et proposé des versions de la réalité où, pour déformée que celle-ci fût, elle n'en demeurait pas moins présente et reconnaissable. Comme, jadis, les fervents du néoclassicisme davidien se jetèrent, par peur du romantisme, dans les bras d'Ingres, qu'ils honnissaient naguère pour ses infidélités aux exemples de David et traitèrent ensuite en sauveur pour ce qu'il subsistait de néoclassicisme chez lui, de même les amateurs de peinture réaliste, pour qui la peinture doit offrir une image de la réalité, firent fête, par horreur de l'abstrait, à cet expressionnisme, auquel ils reprochaient quelque trente ans plus tôt d'interpréter à l'excès cette réalité, et à qui ils sont maintenant reconnaissants de ne point rompre avec elle. Ainsi s'explique, tout au moins en partie, la faveur de cette tendance dans une France qui avait toujours semblé n'éprouver auparavant pour elle qu'une assez tiède sympathie. Étrange contradiction : au moment où l'expressionnisme a acquis droit de cité de ce côté-ci du Rhin, il s'est étiolé et se flétri de ce côté-là, où il formait pourtant la tradition par excellence, disons davantage : l'être même de l'art allemand. Semblablement, il a cessé de prospérer dans les pays qui avaient été ses principaux bastions au cours de la décennie 1920-1930 : Belgique, Pays-Bas, Scandinavie, États-Unis : les Permeke, les de Smet, les Brusselmans, les Sluyters ne paraissent avoir guère plus de postérité que les Max Weber, tandis que d'autres pays se sont ouverts à cet expressionnisme qu'ils n'avaient guère cultivé jusqu'alors. Ainsi la Grande-Bretagne de Bacon, de Stanley Spencer, et l'Italie de Guttuso. Parti d'Allemagne à la conquête du Nouveau Monde, où les persécutions racistes des Nazis obligèrent maints de ses champions israélites à chercher un refuge, l'expressionnisme trouva un terrain favorable dans les pays inclinés vers le pathétique par leur tradition ibérique et leur tradition autochtone. S'il prospéra dans le Brésil de Portinari et de Lasar Segall, il fit surtout florès au Mexique : la relève des Orozco et des Diego Rivera y est assurée par Siqueiros, le plus frénétique des tribuns picturaux, dont le lyrisme et la rhétorique s'épanchent en oeuvres colossales, vociférant es et forcenées. Ayant ainsi compensé ici les pertes qu'il avait faites là, l'expressionnisme est devenu une force mondiale, qui a gagné en étendue et en audience ce qu'il a peut-être perdu en incisive âpreté. Le surréalisme présente des ressemblances avec l'expressionnisme, dont il constitue, d'un certain point de vue, l'apogée, voire l'exaspération. Même conception subjective de l'art. Même confession du peintre. Même abandon aux forces irrationnelles. Même conviction qu'en plongeant au plus profond du moi, on y trouve également l'essentiel des choses, leur essence cachée, leur vérité fondamentale. Seulement, le surréalisme fait la place plus belle que l'expressionnisme au subconscient, à l'inconscient, à toutes ces forces obscures dont la psychanalyse de Freud a révélé l'importance et qu'un certain snobisme avait mises à la mode vers 1925. Mais voici qu'en regardant par cette " fenêtre " - l'image est d'André Breton lui-même - en s'engageant à travers elle dans le paysage sur quoi elle ouvrait, l'adhérent du surréalisme entre dans un monde fantastique que l'expressionnisme n'avait guère exploré. L'univers de celui-ci demeurait l'univers de la réalité. Celui de celui-là est l'univers de l'imaginaire ou, plutôt, celui d'un certain au-delà perceptible aux seuls visionnaires. Des formes étranges, inconnues, nouvelles peuplent la peinture du surréaliste, d'autant plus déroutantes qu'il les suscite plus froidement, plus objectivement, comme mieux vues à distance et plus extérieures, plus étrangères à lui. C'est qu'il procède tout autrement que l'expressionnisme. L'un donnait libre cours à des passions qu'il ne contrôlait pas, mais sur lesquelles il projetait le regard lourd et douloureux de sa conscience. Pratiquant l'écriture automatique, l'autre se fait médium, consent à une manière de passivité supérieure, et cherche peut-être moins à connaître son drame individuel qu'à enregistrer les confidences d'un monde extérieur mystérieux. Moins tourné vers soi-même, plus attentif aux révélations du non-moi, ce sont des réalités moins psychologiques et plus métaphysiques qu'il entend capter et emprisonner dans un art qui se charge davantage de magie. L'expressionniste était douloureux, frénétique, exalté. La transe des surréalistes est plus calme. Précisément parce qu'ils sont seulement médiums, instruments d'autre chose, ils se confondent moins avec ce qu'ils expriment, prennent leurs distances vis-à-vis d'un message qui leur est partiellement étranger, distinguent mieux entre ce qui est eux et ce qui vient d'ailleurs, ou plutôt savent bien qu'en passant à travers eux, ces voix, ces figures, qui viennent d'ailleurs, ne se laissent pas dénaturer, d'autant moins altérées qu'ils mettent plus de soin à les enregistrer avec une passivité qui est le meilleur garant de leur objectivité. Une faille s'ouvre ainsi entre eux et leur peinture, qui n'existe pas dans l'expressionnisme. Et c'est cette faille qui rend compte du décalage qu'on y constate entre le contenu du message et son expression, qui en rend compte partiellement du moins. Car d'autres raisons président à l'élaboration de cette expression volontairement conventionnelle, traditionnelle, académique chez certains adeptes du mouvement. C'est, d'une part, le désir d'affirmer que la plastique compte si peu pour eux, en regard de la traduction du document psychologique, métaphysique, magique, que les problèmes à proprement parler picturaux ne valent même pas la peine d'être pris en considération, et qu'il suffit de s'en remettre au vieux métier convenu avec ses principes et ses trucs. D'autant que ces trucs s'harmonisent bien avec cet univers où tout est truqué ! Après un demi-siècle et plus de recherches picturales, d'efforts pour mettre au point un vocabulaire, une syntaxe, une grammaire artistiques nouveaux, pas de meilleur moyen de faire figure de novateur que d'en revenir à l'académisme le plus désuet, le plus dédaigné, le plus oublié. Autre avantage à ce recours : ce décalage entre l'expression, l'exprimé et celui qui exprime, n'est-il pas en harmonie avec cette distance que l'on entend garder par rapport à l'autre ? Bien davantage ne la figure-t-il pas ? N'en est-il pas le symbole, l'équivalent, l'image ? Ajoutons enfin qu'héritier de dada, le surréalisme ne répugne pas à l'ironie - cette ironie si étrangère à l'expressionnisme qu'elle lui est rigoureusement inconcevable et impossible. Ainsi s'explique que, voisins dans leurs positions fondamentales, expressionnisme et surréalisme soient si différents dans leurs résultats, j'entends par là les oeuvres auxquelles ils donnent naissance. Moins plastique, plus poétique (d'aucuns diront plus littéraire) le surréalisme avait bien de quoi séduire artistes et public du monde entier, surtout dans les pays attachés à l'art à idées, et de quoi aussi jeter les bases d'une poétique et d'une éthique assez accordées à notre temps pour pouvoir survivre même au mouvement qui leur avait donné naissance. C'est, en fait, ce qui se produisit. Né à Paris en 1924 dans un milieu essentiellement international, il avait dès son origine une vocation universelle, et, cette vocation, il l'avait réalisée dès avant la deuxième guerre mondiale. A ses premiers adeptes français (Masson, Tanguy) allemands (Max Ernst) et espagnols (Dalí, Miró), il en avait rapidement ajouté d'autres : en France, Coutaud, Labisse, Brauner ; en Espagne, Dominguez ; en Allemagne, Bellmer ; en Autriche, Paalen ; en Tchécoslovaquie, Toyen ; en Suisse, Seligmann ; en Belgique, Magritte et Delvaux ; aux États-Unis, Dorothée Tanning, etc. La guerre devait lui être tout à la fois fatale et favorable. D'une part, en effet, elle fit fuir loin de Paris bon nombre de ses champions qui, réfugiés aux États-Unis, l'y enracinèrent solidement, tandis que, dans la France désertée par eux, d'autres mouvements artistiques d'avant-garde, profitant de ce vide, se développaient et assuraient la relève. Aussi, quand il y fit sa rentrée, le surréaliste fit-il figure de revenant ; dans l'exposition présentée par la galerie Maeght, on pensait tout ensemble à ces vieux acteurs qui, après une retraite, veulent de nouveau se faire entendre, et à ces émigrés qui, de retour dans leur pays après une longue absence, n'y sont plus à leur place et ne sont plus de leur temps. D'autant que la guerre, accélérant l'histoire, avait rejeté dans le passé lointain même les événements du passé le plus proche. En 1945, à peine moins que le cubisme, le surréalisme appartenait tout à coup à l'histoire. Mais, outre une solide implantation outre-Atlantique, la guerre lui avait rendu d'autres services signalés. Autant qu'à l'expressionnisme, elle lui avait donné raison, d'abord, en démontrant, par ses horreurs mêmes, la légitimité de ses inquiétudes, de sa révolte, de sa dérision. Ensuite elle traînait après elle assez de séquelles sinistres pour que ce climat fût propice à la prolifération d'une sorte de néo-surréalisme. Celui des années 25 avait donné vie et succès à l'un, celui, analogue, des années 45 ne pouvait que favoriser l'apparition et le développement de l'autre. Rien que de très naturel, ainsi, si dans bon nombre de pays, et principalement en France et aux États-Unis, fructifia l'héritage du surréalisme, qui le fit également dans la plupart des pays du monde dit occidental. A New York, cette espèce de néo-surréalisme ne gagna pas seulement des adhésions parmi les Américains, mais aussi parmi des étrangers, enfants surtout du Nouveau Monde que de lointains atavismes exotiques prédisposaient peut-être à sentir mieux que d'autres son message magique. De fait, les deux champions principaux de ce néo-surréalisme furent un Cubain, Wilfredo Lam...

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