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La fin du monde

Publié le 05/04/2023

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« La fin du monde Lorsqu'au chant X de l'Odyssée, Circé indique à Ulysse qu'il devra aller jusqu'au Royaume d'Hadès interroger l'ombre du devin Tiresias pour connaître le chemin du retour vers Ithaque, le protégé d'Athéna tombe en sanglots.

Il sait en effet que ce détour nécessaire l'obligera à traverser le fleuve Océan dont les Grecs disaient qu'entourant le disque plat de la terre, il en constituait la fin.

On comprend alors qu'Ulysse s'effraie de ce terrible voyage au bout du monde d'où il pourrait ne jamais revenir.

Est-ce à dire que l'idée même de fin du monde est si angoissante qu'elle en devient impensable ? La fin, cela peut vouloir dire la limite spatiale, le terme temporel ou le but à atteindre.

Cette ambiguité du terme ne facilite pas la bonne compréhension de ce que l'expression « fin du monde » peut signifier.

S'agit-il ici de montrer comment la cosmologie scientifique a repoussé les limites du monde, d'interroger la pertinence des discours apocalyptiques ou bien d'imaginer que le monde a une finalité qui donnerait sens à son existence? Mais une telle spéculation est-elle bien à notre portée et que nous apporte-t-elle ? Là est peut-être le cœur du problème : vouloir se représenter la fin du monde est-ce conjurer une angoisse existentielle ou la prévenir pour mieux vivre notre présence actuelle au monde ? Est-il bon de méditer sur la fin du monde si c'est pour se convaincre qu'il doit disparaître à jamais ou qu'il est un obstacle à l'accomplissement de notre humanité ? Comment penser la fin du monde sans tomber dans le catastrophisme ou l'évasionisme mais comment s'interdire de la penser sans atrophier notre curiosité pour les espaces lointains et les temps futurs quand bien même l'humanité n'y aurait aucune place? Il s'agit en somme de savoir si l'on peut neutraliser la connotation tragique attachée à l'expression « fin du monde ».

On se demandera si l'évolution des connaissances astrophysiques (I) permet de décider du statut métaphysique de l'idée de fin du monde (II) et des conséquences axiologiques de cette inquiétante expression. I) Repousser les limites du monde Il est bien connu que les Grecs pratiquaient une physique à l'œil nu.

Observant que certaines étoiles tournaient la nuit au-dessus de leur tête en restant à équidistance les unes des autres, ils pensaient que cette « sphère des fixes » constituait l'ultime ciel (le 7) au-delà duquel vivent les dieux, la régularité de la rotation des étoiles lointaines imitant leur éternité.

Ainsi pour Aristote, comme il l'explique dans son Traité du Ciel (- 350), le cosmos ne saurait être « infini », notion d'ailleurs négative car ce qui est sans limite (apeiron) est aussi sans but (ateles) et donc inachevé.

Or la nature, fut-elle élargie au monde, ne fait rien en vain.

Ainsi le monde a-t-il nécessairement une fin et cette fin est ce qui sépare la physique, science des corps en mouvement, de la métaphysique, science des êtres éternels.

Mais cette interprétation du monde, concurrentielle de celle infinitiste défendue par l'atomiste Épicure, ne heurte-+-elle pas la pensée ? Permet-elle par exemple de lever le paradoxe d'Archytas de Tarente qu'il formulait ainsi : « Si je me trouvai à la limite du ciel, autrement dit sur la sphère des fixes, pourrais-je tendre au-dehors la main ou un bâton, oui ou non ? Certes, il est absurde que je ne puisse pas le faire; mais si j'y parviens, cela implique l'existence d'un dehors, corps ou lieu.

»? Que faudrait-il alors pour démontrer que le monde n’est pas spatialement fini ? Que l'on puisse voir des étoiles au-delà de la sphère des fixes.

Or c'est bien là ce que découvre Galilée grâce l'invention de la lunette astronomique.

Ainsi est-il le premier a constater, comme il l'explique dans Le Messager des étoiles (1610), que, par exemple, derrière le groupe des Pleiades se trouvent quarante étoiles invisibles jusque-là.

Il faut donc repousser les limites du monde.

Mais jusqu'où ?Galiée ne dit jamais que s monde est infini et Descartes, systématisant ses idées, ne parlera que d'un monde « indéfini », comme au XIV siècle le cardinal Nicolas de Cues disait qu'il est « interminé ».

C'est que l'idée d'un univers infini est métaphysiquement impossible : elle signerait la fin de Dieu et l'on sait que c'est cette conséquence qui conduira l'Eglise à condamner Galilée.

Mais n'est-elle pas difficilement soutenable mème pour la cosmologie scientifique? En 1823, le savant Olbers objectait encore, en s'appuyant sur le calcul statistique, que si l’univers était infini, le nombre d'étoiles qu'il contient serait tel qu'il devrait nous paraître lumineux de jour comme de nuit.

La noirceur de l'univers n'est-elle pas la preuve de sa fintude? Cette objection tombe cependant dès lors qu'on admet que les étoiles naissent et meurent, que la lumière a une vitesse et surtout que l'univers loin d'être statique comme le croyait encore Einstein est en expansion, ce que prouve l'astronome Hubble en 1929 en observant que la longueur d'onde de la lumière émise par les galaxies se décale vers le rouge et donc augmente.

Ainsi les étoiles s'écartent-elles les unes des autres.

Si l'univers a une limite spatiale, il semble la repousser lui-même.

Cette découverte ajoute à l'expression « fin du monde » une dimension temporelle.

Il ne s'agit plus seulement de savoir jusqu'où l'univers peut s'étendre mais jusqu'à quand.

Autrement dit, avec la découverte de l'expansion de l’univers, la fin du monde peut signifier sa mort.

Mais que sait-on sur le destin de l'univers? Les hypothèses les plus récentes parlent d'un Big Freeze, les étoiles finissant par s'éteindre les unes après les autres en raison d'un éloignement tel que la loi de la gravitation ne pourrait plus les rapprocher pour en fabriquer de nouvelles.

Que penser de cette glaciation qui figerait l'univers dans une noirceur immobile et éternelle? Pascal, qui ignorait toutes ces hypothèses, n'avait-il pas pressenti en pleine révolution galiléenne que le progrès des sciences ne pourrait pas nous rassurer sur notre condition.

Aussi lorsqu'il écrit dans ses Pensées : « Le silence éternel de ses espaces infinis » (§ 206), il semble anticiper l'état d'esprit dans lequel le libertin féru de sciences devrait se retrouver pour peu qu'il soit conséquent avec lui-même.

Mais s'il est vrai que nous « n'enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses » (§ 72), s'il faut en rabattre sur nos prétentions savantes car « comment se pourrait-il qu'une partie connût le tout ? » (id.), devons-nous renoncer pour autant à spéculer sur la fin du monde ? Lorsque dans Micromégas, le géant éponyme venu de Sirius quitte les humains après les avoir observés et s'être étonné que de si petits animalcules soient capables de calculer sa taille, il leur laisse un livre censé leur donner la connaissance du « bout des choses ». Mais ce livre est un livre blanc.

Si donc au tragique pascalien, Voltaire substitue un discours plus apaisé et amusé à l'égard du monde, il n'en reste pas moins qu'il semble s'interroger lui aussi sur le bon usage de la cosmologie scientifique.

N'y a-t-il pas alors une légitimité à spéculer sur la fin du monde par une autre approche que celle de l'astrophysique ? II) Une spéculation sans fin ? Parce qu'elle se veut scientifique, l'astrophysique contemporaine propose une explication « neutre » du scénario de l'univers.

Mais si elle s’affranchît de tout postulat métaphysique, ses hypothèses ultimes laissent vive la question du sens que peut avoir la mort de l'univers qu'elle croit pouvoir prédire de ses observations.

Or les cosmologies précédentes, qui ne dissociaient pas la physique et la métaphysique, n'avaient pas éludé cette question.

On le voit particulièrement chez Thomas d'Aquin pour qui le monde est une création de Dieu dont le destin est de retourner à son Créateur selon un schéma d'extériorisation (exitus) et de retour à soi (reditus), le monde étant créé par amour et ayant pour fin l'amour de Dieu.

Cette origine et cette fin métaphysique confèrent ainsi au monde son sens qui dépend in fine de la liberté bienveillante de Dieu.

C'est ce recours à la liberté divine qui permet à Thomas d'Aquin de prendre position dans le débat sur l'éternité du monde qui opposa les théologiens du XIII* siècle, débat provoqué par la redécouverte de la physique d'Aristote lequel affirmait que le monde supralunaire est ingénéré.

En soutenant dans son Traité sur l'éternité du monde qu'« il peut être fait par Dieu que quelque chose de créé par Lui ait toujours été », Thomas suggère que ce qui importe ce n'est pas tant de croire que Dieu ait choisi de donner une fin au monde, comme l'enseignent les Ecritures, mais plutôt de savoir qu'il aurait pu choisir de le rendre éternel, preuve de sa Toute Puissance.

Mais cette seconde possibilité est-elle bien sensée? Que peut signifier que le monde n'ait pas de fin, c'est-à-dire ni terme ni but? À cette question Schopenhauer répond que c'est là la preuve de son absurdité.

Rejetant, dans Le monde comme volonté et comme représentation (1818), tout.... »

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