La beauté du monde
Publié le 05/04/2023
Extrait du document
«
La beauté du monde
Caeli enarrant gloriam Dei et opera manuum eius adnuntiat firmamentum (« Les cieux
racontent la gloire de Dieu, et l'étendue manifeste l'œuvre de ses mains ».
Le deuxième
verset du Psaume 19 célèbre la puissance de Dieu se manifestant à même sa Création.
selon la Genèse, la Création est reconnue par Dieu lui-même comme «bonne ».
Cette
bonté, qui relève de l'être lui-même, est-elle aussi beauté? Pourquoi distinguer les deux,
pourrait-on dire aussi bien ? Les cieux produisent un effet esthétique, une admiration.
La
finalité qui, pour certains, se manifeste dans la nature, ne lui donne-t-elle pas une quasiperfection que l'on peut comparer à l'œuvre d'art ? En ce sens, il y aurait une beauté de
l'univers comme totalité, et une beauté de ses composantes les plus infimes.
Plusieurs questions se posent néanmoins.
D'une part, que signifie réellement cette beauté
? Est-elle réellement dans les choses mêmes ? Dire que le ciel est « beau » ne traduit-il
pas un regard superficiel sur la complexité du cosmos ? D'autant que, depuis l'antiquité,
les arguments sur la perfection finale ont été constamment critiqués.
Du reste, même si on
accepte le concept de finalité, le lien n'est certes pas évident entre l'adaptation d'un
organe à sa fonction et sa « beauté » : là encore, le terme peut traduire la simple
admiration du savant devant un processus naturel.
D'autre part, peut-on réduire le monde
à la nature ? Qu'il y ait des beautés naturelles est une chose, que l'on puisse appliquer
une valeur esthétique à l'univers dans son ensemble paraît douteux : encore faudrait-il en
avoir une vision suffisamment unifiée.
Finalement, la beauté du monde n'est-elle pas
plutôt une injonction ? Ne faut-il pas chercher à embellir le monde, ou à en voir la beauté,
même cachée, ce monde étant « notre monde », le monde dans lequel je vis, celui qui
m'entoure, plutôt que ce cosmos qui me dépasse de touie part, et qui relève peut-être d'un
autre qualificatif le « sublime » Mais, « embellir » le monde, est-ce simplement changer de
regard, au prix de la naiveté, ou produire cette beauté, sinon dans mon monde
environnant, dans ce monde que je vais créer, celui de l'œuvre d'art par exemple?
I)
La beauté de l'univers
Quel rapport entre la « beauté » et le « monde » ? Et quel «monde »? Si l'on considère ce
dernier comme la totalité du réel, le « tout du monde », ne faut-il pas lui donner une
certaine « forme » pour qu'on puisse la trouver belle ? On pourrait dire qu'il suffit de lever
les yeux pour admirer le ciel étoilé, mais que voit-on alors ?
Empiriquement, une multiplicité de points lumineux sur un fond obscur.
On peut certes «
trouver cela beau », mais cela ne permet en rien d'en déduire la valeur proprement
esthétique d'un objet.
D'une part, ce n'est pas « le monde » qui est vu, mais le « ciel », ou
plutôt sa simple apparence.
D'autre part, ce « sentiment » reste essentiellement subjectif.
Pour passer d'une impression subjective donnée par une portion de la nature à la
qualification objective de la beauté du monde en tant que tel, il faut, on le voit, changer de
perspective, et passer des sens à l'intelligence : c'est en s'efforçant de connaître ce
monde qui se trouve derrière les apparences du «ciel », que l'on pourra donner un sens à
sa valeur esthétique.
Ce dépassement définit le regard métaphysique sur le monde.
On passe alors d'une vision
du monde à une représentation précise, ordonnée.
Si l'on reprend l'adjectif « beau », s'il
ne doit pas seulement traduire une impression, il doit posséder une définition précise: le
monde ne peut être beau que s'il possède des caractéristiques comme l'ordre, l'harmonie,
la stabilité, l'unité dans la diversité, etc.
Or, comment « savoir » si le monde possède ces
caractéristiques? La métaphysique nous en donne-t-elle la certitude ? Il est frappant que
le premier auteur à fonder rationnellement la beauté du monde reconnaisse lui-même la
part d'incertitude que suppose cette construction.
Dans le Timée, c'est à travers un
discours vraisemblable que l'on « raconte » la production du monde par le dieu.
Comme
on le voit, la beauté est alors inséparable de la dimension intelligible du monde : « Or, il
n'était pas permis, et ce ne l'est pas, à l'être le meilleur de faire autre chose que ce qu'il y
a de plus beau.
Ayant réfléchi, il se rendit compte que, de choses par nature visibles, son
travail ne pourrait jamais faire sortir un tout dépourvu d'intellect qui fût plus beau qu'un tout
pourvu d'intellect et que, par ailleurs, il était impossible que l'intellect soit présent en
quelque chose dépourvue d'une âme ».
Mais cela signifie que la « beauté » ne peut être
perçue au premier regard : c'est seulement si l'on sait, par exemple, reconnaître dans le
ciel des mouvements réguliers, et les rapports harmoniques entre la régularité parfaite du
mouvement des étoiles « fixes » et les astres « errants » (les planètes) que l'on aura le
droit de donner à la beauté du monde un sens adéquat.
D'autre part, le monde est un «
grand vivant ».
Étant un corps doté d'une âme, il manifeste cette finalité que l'on retrouve
dans les êtres vivants et qui en fait justement la beauté.
Le prix paraît donc lourd à payer.
D'une part il faut se « donner » rationnellement la totalité
du monde, d'autre part introduire dans cette totalité des principes qui vont bien au-delà
des apparences.
Ce n'est pas par hasard que Platon évoque la simple vraisemblance.
Ne peut-on pas donner un sens plus admissible à cette intuition platonicienne? En effet,
sans accepter son aspect le plus métaphysique, et notamment l'idée du monde comme «
animal », ne peut-on retenir que, si l'on veut donner un sens à la « beauté du monde », il
faut accepter d'en dépasser les apparences, pour apprendre à lire Cette harmonie
cachée ? Or, c'est paradoxalement ce que la science moderne va considérer comme sa
conquête principale.
Qu'est-ce a dire? On associe l'essor de la connaissance moderne du
monde à la naissance de la physique mathématique au dix-septième siède.
Or, Galilée, l'auteur de la première loi « physico-mathématique », celle de la chute des
corps, déclare justement dans l'Essayeur le caractère « caché » de cette mathématique
naturelle : « La philosophie est écrite dans ce livre gigantesque qui est continuellement
ouvert à nos yeux (je parle de l'Univers), mais on ne peut le comprendre si d'abord on
n'apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est
écrit.
Il est écrit en langage mathématique, et les caractères sont des triangles, des
cercles, et d'autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible d'y comprendre
un mot ».
Il existe donc une beauté du monde, mais « cachée », accessible à ceux qui savent en
pénétrer la langue, la logique profonde.
Mais l'on peut s'interroger : y a-t-il véritablement
un lien entre la capacité de donner quelques lois mathématiques à la nature et la
connaissance d'une beauté générale du monde en général? N'est-ce pas encore une
projection de l'esprit humain, qui n'est pas plus admissible que cette admiration naïve que
l'on rencontrait initialement ?
II) Rien de beau dans l'univers
On voit qu'il semble difficile d'échapper à une forme de pétition de principe: nous jugeons
le monde beau parce que nous y mettons ce qui plaît à notre raison...
Mais le monde
dépasse sans doute largement les quelques lois que la physique classique y découvre.
Celle-ci procède nécessairement par « simplification ».
De même que le cosmos grec est
une simplification du réel reposant sur quelques mouvements finalises, de même le
monde « mécaniste» suppose de réduire la totalité de l'univers à un espace euclidien ou
se déroulent des évènements physiques réduits à quelques principes inertie d'abord,
attraction ensuite).
Est « beau » ce qui plait à notre esprit qui y retrouve sa logique.
Mais,
si l'on veut se défaire de l'anthropomorphisme inhérent à une certaine simplification de
notre regard, qu'y a-t-il de beau dans le monde ? Ne faut-il pas, d'abord, se défaire de
l'idée de « forme », et prendre acte du fait que Je terme même de monde implique une
réalité qui nous dépasse de toute part.
Cette idée n'est pas incompatible avec un regard
scientifique sur la nature, bien au contraire.
Le fameux texte de Pascal, un des plus
grands savants de son siècle, sur les deux infinis, vise à nous faire rompre avec ce confort
esthétique de la forme du monde, qui nous dépasse de tous côtés: « Que l'homme
contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu'il éloigne sa vue des
objets bas qui l'environnent.
Qu'il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe
éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste
tour que cet astre décrit....
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